Le guinéen Mamady Keïta, l’un des plus grands djembéfolas du monde, célèbre ses 50 ans de carrière par la parution de Hakili, un superbe album CD/DVD. Entretien.
Entré à 14 ans dans le prestigieux Ballet national de Guinée, Djoliba, Mamady Keïta est devenu vite batteur solo puis directeur artistique, et emmènera cet ensemble musical en tournée dans le monde entier. Installé en Belgique en 1988 pour répondre aux nombreuses sollicitations artistiques, il vit aux USA depuis 3 ans, où il est très demandé. Plus qu’un musicien, c’est aussi un pédagogue et un passeur, qui a créé 15 écoles de djembé dans le monde entier, jusqu’au Japon...
Dans son nouvel album, Hakili, accompagné de son groupe Sewa Kan, on l’écoute - et, mieux, on le voit sur scène (CD et DVD sont des “live”) : une quinzaine de musiciens formidables, notamment Souleymane “Cobra” Camara à la kora, Djelimady Kouyaté au balafon ou encore Manu Hermia à la flûte et au saxophone (le seul “blanc” du groupe). Ensemble, ils jouent des pièces d’une énergie à réveiller un mort - les percussions étant notamment jouées lors des funérailles, en Afrique, pour célébrer la vie qui continue et effacer la tristesse ; et ils jouent aussi d’autres pièces plus douces, balades rythmées par une kora mélodique qui nous emmène au rythme animalier d’une longue marche entre deux villages... Au total un concentré d’énergie et de vibrations positives, qui vous donneront immanquablement envie de bouger et de danser, et chasseront, c’est sûr, toutes vos idées noires ! Car “Le djembé c’est la joie”, “le djembé c’est la fête”, comme le dit Mamady Keïta : un euphorisant naturel, à consommer sans modération ! Entretien avec un artiste qui est, même lorsqu’il vous parle et qu’il ne joue pas, un concentré d’énergies positives !
Afrik.com : Le djembé connaît un énorme succès en Occident aujourd’hui, alors qu’il était pratiquement inconnu du public il y a 30 ans : comment expliquez-vous ce phénomène ?
Mamady Keïta : Le phénomène a commencé dans les années 65-66 - à l’époque, il n’y avait aucun djembé en Europe. Avec le Ballet National de Guinée, on faisait des tournées mondiales - ça a peut -être contribué à faire connaître cet instrument. Et c’est arrivé peu à peu, après 1968. J’espère que ça n’est pas une mode : parce qu’une mode, ça passe. Le djembé c’est une vie, parallèlement à la vie quotidienne. C’est un instrument chaleureux, c’est le symbole de la joie. Et il est facile d’accès. Ce n’est pas un instrument du froid : c’est un instrument de la chaleur, de la fête. C’est lui qui célèbre toutes les cérémonies du Mandingue. Donc quand on apprend le djembé, on est dans la fête. Tu es assis, le prof t’apprend le djembé, tout se passe dans une atmosphère extraordinaire de fête ! Aucun instrument occidental, quand tu l’apprends, ne suscite comme ça une foule de 50-60 personnes, par exemple si tu joues dans un jardin. Donc on apprend cet instrument, et c’est la fête ! Alors que quand on apprend un instrument comme la flûte ou le violon, au conservatoire, c’est très différent. Mais le djembé s’apprend dans les fêtes, dans les cérémonies, à côté de ton maître. Et même si ici on se met en 1/2 cercle à l’écoute du maître, c’est quand même une fête !
Afrik.com : Justement, vous avez créé de nombreuses écoles de djembé, un peu partout dans le monde : parlez-en nous...
Mamady Keïta : J’ai créé la première école de djembé au monde : à Bruxelles, en 1992. Le film que Laurent Chevalier m’a consacré, “Djembefolo”, dans les années 80, a été une véritable explosion. Ce film a gagné beaucoup de prix, et on m’a appelé pour donner des cours partout : à Genève, à Londres, en Allemagne... J’ai passé 15 ans en Europe, et maintenant je suis installé aux Etats-Unis, parce que je suis très demandé là-bas. J’ai créé 6 écoles : à Washington DC, à Chicago, à San Francisco, à San Diego, à Santa Cruz,... En tout, j’ai créé 15 écoles de djembé dans le monde : en Belgique, France, USA, Suisse, Allemagne, Japon, Singapour, Israël, et Portugal.
Afrik.com : Y a-t-il aujourd’hui des musiciens de djembé “blancs” qui arrivent à atteindre le niveau des musiciens africains ?
Mamady Keïta : Absolument ! César Ewonde, Pierre Marcot, Alain Bramer, Michel Wallen, ou Coco Sell, qui sont des amis, jouent vachement bien ! Si tu les entends jouer et que tu ne les vois pas, tu ne vas pas dire que ce sont des Blancs ! Le djembé n’a pas de frontières, n’a pas de couleur.
Afrik.com : On dit qu’au Japon, vous avez été complètement adopté par les habitants d’un village sur une île...
Mamady Keïta : J’étais parti en 1994, invité après mon film, pour donner une conférence de presse pour la télévision nationale. J’ai dit : “est-ce que je peux venir avec mon groupe ?”. Et là-bas, j’ai créé un nouveau spectacle, avec les enfants de 3 îles : il y a l’île du Soufre, l’île du Bambou et l’île Noire, qui ensemble forment les îles Mishima. Ce travail a été filmé par la télévision nationale japonaise, et on a fait le tour des grandes villes du Japon. Donc sur ces îles je suis devenu très connu. Et ça fait 17 ans que, chaque année au mois d’Août, je suis au Japon, dans l’une des 3 îles. J’ai ma maison. Et les Japonais sont en train de construire un dispensaire dans mon village en Guinée, Balandougou.