Marceline en Italie
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Curieux ce petit livre jaune qui fait se côtoyer le journal tenu à Milan par Marceline Desbordes-Valmore et le Voyage d’Italie de Louis Aragon. Jean Ristat dans une préface éclairante souligne l’admiration que portait Aragon à la poétesse. Il rappelle qu’au retour de Venise, à l’été 1928, après la rupture avec Nancy Cunard, Aragon s’arrêta à Milan, comme Marceline. Il y séjourna quinze jours « pour aller six fois entendre à la Scala « l’Othello de Verdi « .
Après son histoire d’amour avec Henri de Latouche, elle venait en Italie pour guérir son cœur blessé. C’était, selon ses propres mots, à la fois « étrange » et « fatal ». Que fit-elle à Milan ? Elle hanta les églises pour aller prier Dieu de l’épargner ainsi que son amant. Ces visites, on s’en doute, nous valent quelques descriptions fort mélancoliques qui séduiront les amateurs de tableaux de Monsu Desiderio. Mais Marceline ne va pas seulement se pâmer devant des Christs ou des Nativités, elle va aussi au théâtre. Il est possible qu’elle y prenne moins de plaisir. Rappelons tout de même que ce voyage à Milan est un voyage de comédiens, avec plein de bagages, de folles fantaisies, de douleur. En effet, son mari, Prosper Valmore, qui avait été désigné administrateur gérant du second Théâtre-Français, se trouvait de nouveau menacé par le chômage, car le premier exercice de l’Odéon étant déficitaire, la Comédie-Française refuse de prolonger l’expérience. Il signa donc avec un impresario italien. Ses deux filles, Ondine et Ines, ainsi que Marceline sont du voyage. L’organisation de la tournée laissa très vite à désirer. Les conditions quotidiennes furent peu agréables. Quant à la location du théâtre Carcano, vétuste et loin du centre, elle concourut à clairsemer le parterre. On compta très vite sur Mlle Mars pour renverser la situation. La grande comédienne, proche des Valmore, arriva à Milan et fut dignement fêtée. Laissons Marceline errer dans les églises et lisons quelques vers du Voyage d’Italie d’Aragon :
Ne t’en va pas méchant ne t’en va pas fantôme Mon cœur après vingt ans et plus est toujours une porte qui bat Sur ton départ J’ai beau dire de la fermer aux servantes Les rideaux frémissent encore où tu les as froissés Je n’ai jamais jeté ces roses qui périrentEt pour encore rester parmi les spectres, écoutons la poétesse nous raconter sa rencontre avec l’ex-impératrice Marie-Louise ; elle la croise dans les escaliers du théâtre de la Canobiana, faisant plus âgée que son âge, portant toute son attention à ne pas trébucher : « Il me passa quelque chose devant les yeux dans ce moment, qui me saisit. Je vis l’empereur mort et le roi de Rome, également comme une ombre, qui la suivait dans ce froid corridor, et il me fut difficile de rester jusqu’à la fin de Jeanne la Folle, dont elle n’avait pu supporter le terrible dénouement. » Il pleut à Milan (Aragon décrit fort bien cette pluie italienne de septembre). Marceline a horriblement froid dans les maisons humides qu’elle habite. Le moral des comédiens français est au plus bas. Cependant, grâce à une représentation donnée par Mlle Mars à leur bénéfice, on put leur distribuer de l’argent et la troupe se dispersa.
À lire les lignes qui précédèrent, on aura l’impression de se laisser entraîner dans un vent de folie. Marceline nous conforte dans cette tourmente, si l’on en croit ce qu’elle écrit à la fin de son journal : « Milan, encore Milan ! C’est en Italie que Tasso a perdu la raison… et toi aussi, pauvre Violet… (le valet de Mlle Mars). Cette ville en apparence si déserte enferme dans un hospice deux mille aliénés. »
Michel Bulteau
Les Yeux pleins d’églises : le voyage d’Italie, de Marceline Desbordes-Valmore, Louis Aragon. Avant-propos de Jean Ristat, préface et notes Claude Schopp. 16 euros, 175 pages, Éditions La Bibliothèque, collection « l’Écrivain voyageur ».N°76 – Novembre 2010