Naguère lorsqu'un média relatait un fait divers particulièrement sordide dans lequel apparaissaient tous les ingrédients de la misère humaine, immanquablement la conclusion tenait en trois mots : « C'est du Zola! »
Cette affirmation n'était guère laudative pour l'auteur de « La Bête humaine ». Elle revenait à déprécier ses romans, mais les médias contemporains se faisaient à leur manière, lapidaire, l'écho lointain de la critique littéraire. Ainsi, un journaliste du « Figaro » après avoir lu « Thérèse Raquin » titra son article¹ : « La littérature putride ». On relèvera que pour la circonstance ce journaliste, Louis Ulbach, avait pris comme pseudonyme, Ferragus, le nom d'un héros de Balzac. J'ai voulu à mon tour me faire ma propre opinion et je viens de lire ce roman de 1867 : je n'ai pas été déçu!
Sans être un spécialiste de Zola, je n'ai pas encore lu l'intégralité des vingt volumes qui composent les Rougon-Macquart, cette "Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire", je vous conseille de lire son étude remarquable sur « Le Roman expérimental », et je pourrais résumer ici « Thérèse Raquin » à la façon de « Twitter », qui limite votre expression à un nombre de signes restreint, ça pourrait donner : "Adultère en région parisienne. Trois morts. La morale est sauve".
Bon sang! ce roman, quelle noirceur!
D'abord par le thème choisi, l'adultère, paraphrasant Aragon je pourrais écrire : « Il n'y a pas d'adultère heureux » (témoignages bienvenus!), ensuite, par l'issue fatale de cette liaison extraconjugale (ici, c'est Madame qui fait "des extras"...), la description du passage du Pont-Neuf qui rappelle le « Mort à crédit » de Louis-Ferdinand Céline, le pittoresque en moins, l'aspect sordide en plus, la visite de l'amant à la morgue au chapitre XIII, là, Zola s'est souvenu de « La Dame aux camélias » ; Alexandre Dumas fils avait fait en 1849 une relation particulièrement réaliste dans sa crudité de la reconnaissance du corps de Marguerite Gautier par Armand Duval. Mais ce qui a pu choquer l'honorable critique du « Figaro », outre que pour les amants, Thérèse et Laurent, c'est constamment la chair qui parle, qui dicte leur comportement, c'est ce passage² :
« Elle eût injurié Dieu, si elle avait pu crier un blasphème. Dieu l'avait trompée pendant plus de soixante ans, en la traitant en petite fille douce et bonne, en amusant ses yeux par des tableaux mensongers de joie tranquille. »
Il ne s'agit pas de toucher, à l'époque, aux valeurs de l'Église catholique, apostolique et romaine, l'ordre moral du maréchal Mac Mahon³ ne se profile-t-il pas en perspective? Et Louis Ulbach, le dos déjà courbé, de se préparer à s'écrier : « Maréchal, nous voilà! »
Dans l'intervalle le verdict de « Thérèse Raquin » sera tombé : trois morts. Il renvoie à la notion de justice immanente et à cet égard, oui, la morale est bien sauve. S'accommode-t-elle du bonheur des dames?
Pauvre Thérèse!
Notes
¹ « Le Figaro », édition du 23 janvier 1868
² Émile Zola, « Thérèse Raquin », éditions GF Flammarion, p. 217
³ Edme Patrice comte de Mac Mahon (1808-1893), Maréchal de France, fut élu président de la République en 1873
Post-scriptum: retrouvez Émile Zola en grande discussion avec Honoré de Balzac dans mon livre à paraître début 2012 : Balzac et Zola au miroir d'une mise en scène