“La poésie conjuguait les émotions dans les brumes de l’imaginaire. C’était pour moi une forme d’aération divine, une passerelle jetée entre l’immatériel et les choses de la vie.”
Annoncé comme un roman, disons-le tout de suite : « Non ce n’est pas un roman. C’est un livre de littérature, la vraie, la belle où les senteurs et émotions mêlées, d’un temps que les moins de 60 ans n’ont pas pu connaître, nous emmène hors de nous, dans un ailleurs proche et lointain à la fois.
L’écriture de Max Santoul est une peinture. La force des images, la puissance évocatrice de ces mots simples emportent, au son d’une douce poésie, le lecteur dans l’âme occitane de l’écrivain. A petites touches de mémoire capricieuse, un passé, un présent, un pays apparaissent rythmés par les odeurs et les couleurs. “Après la pluie, le ciel était lavé et la lumière magnifique. Les odeurs bleuissaient doucement. Cette curieuse impression de teinte des odeurs, je la ressentais souvent. C’était aussi le cas pour les choses et les sentiments. La chaleur était jaune, le froid blanc ou transparent, l’attente mauve, la tristesse grise, le bonheur vert, la colère rouge, la douceur en camaïeu et l’amour de toutes les couleurs.”
Parce que l’enveloppe de tout masque l’essentiel, Max Santoul nous détaille dans un texte aux phrases longues, inspirées remplies d’une poésie envoutante les métiers, les gens, les rues, les couleurs, de Caunes à Carcassonne, de Montpellier à Paris recherchant l’essentiel derrière l’enveloppe du tout.
Extraits
Les métiers de passages scandaient les saisons. Le rémouleur préférait le printemps, le mercelor suivait l’arrivée des hirondelles, le rempailleur ou mandelier, le collecteur de peaux s’annonçait en patois, le chineur de cuivre et sa carriole à bras, le raccommodeur de porcelaine à la fin de l’été, le vitrier à la morte-saison, le ramoneur avec le raccourcissement des jours, le nain et son poney laineux l’hiver, le montreur d’ours, le photographe…Et en toute saison celui qui reliait le village au monde, c’était le facteur.
Distances et temps
“Les distances sont d’un rapport variable mais subtil de l’espace au temps. Variable parce que ces deux facteurs le sont également, subtil parce qu’il n’obéit pas aux lois statiques de la nature, mais dynamique de l’esprit. L’enfance étale l’écoulement de son rythme depuis l’éveil de la conscience dans une régression lente, on pourrait dire progressive. Aussi, quelques heures s’étirent, paresseuses, sur une vie à peine courue, en donnant de l’ampleur aux durée, et les distances s’en éloignent d’autant dans l’espace. Cette mer, qui me semblait si proche à présent, était encore un lointain rivage.”
Les années 50
“Les années cinquante sont une époque de transition. Ceux qui ont connu le siècle précédent vivent avec ceux du siècle présent. Deux guerres ont laminé le nombre des hommes. Ils connaîtront, pour la plupart d’entre eux, ceux qui vivront au siècle suivant. Tout une culture basculera deux fois.”
Mon village
“Je me souviens de cette après-midi, quand j’ai quitté mon village. Il s’est installé une petite mort entre lui et moi. Cet abandon hurlait dans mon crâne. Les maisons se découpaient en gris, bien nettes, sur un fond noyé de flou. Elles penchaient vers le haut pour pincer le ciel. Un seul de mes pas sonnait dans ma tête comme un coup de baguette sur la peau d’un tambour. Je vous offres ses sensations en cadeau d’alliance, parce qu’elles sont vraies, et que personne ne fut dans la confidence.”
Du mensonge et autres baliverne, esbroufe et sornettes
“Toute l’astuce était de laisser déballer les sornettes des amateurs de balivernes, avant d’entrer dans la grande illusion. […] Il respectait toujours des temps de pause entre ses bouts de phrases, Pasoline. Ça donnait une ampleur dramatique au récit et faisait saliver l’auditoire. Mais ces silences pesés avaient une autre raison : ils laissaient le temps au petit génie qui vivait sous son chapeau d’escalader les sommes de l’esbroufe. […] Il était épicier, Pasoline. Épicier et menteur, de ces petits mensonges qui font le sel des conteurs. Simples retouches utiles à la vérité pour ajouter aux choses juste ce qui leur manquait.
Il faut bien admettre qu’il y avait des niveaux pour le mensonge, une certaine souplesse pour la vérité. Sur le seuil, on pouvait mettre la fierté, s’y trouvaient les souvenirs de guerre à peine exagérés. La vantardise venait après, c’était bien pour le sport. Puis arrivait l’affabulation, parfait pour la chasse, la pêche ou la séduction. Au-dessus on trouvait la tromperie, qui mettait la politique et la religion en compétition et, au-delà, le sacrilège.”
Ménino de Max Santoul, Le cherche midi, 2010, 480 pages