Il a commencé par avouer ceci, le Millon : « Le président de la République [Jacques Chirac] m’a dit […] qu’il souhaitait une moralisation de la vie publique et politique et qu’il y avait trop de bruit autour des contrats d’armement dû à l’existence de rétrocommissions. Il m’a donc demandé de faire procéder à une vérification sur tous les contrats. »
Dans la foulée, il a ajouté cela : « Pour le contrat pakistanais, au vu des rapports des services secrets et des analyses qui ont été effectuées par les services du ministère, on a eu une intime conviction qu’il y avait des rétrocommissions […]. Je me suis basé sur les rapports qui ont été faits verbalement par la DGSE .«
Les dites rétrocommissions faisaient suite à une affaire de vente de sous-marins au Pakistan. Elles auraient servi à financer la campagne de Ballamou en 1995. Ni plus ni moins. A l’époque, Speedy Nick était ministre du budget, c’est à dire aux premières loges. Arrivé au pouvoir, Jacques Chirac aurait donc ordonné l’arrêt immédiat de ces rétrocommissions. Moitié pour moraliser, moitié pour se venger. Par mesures de rétorsion, l’état pakistanais aurait alors organisé un attentat provoquant la mort de quatorze victimes dont onze français à Karachi. A l’époque, le massacre avait été attribué à Ben Laden… Proverbe mondial à méditer : quand y’a du dégât, c’est toujours Al-Qaida !
La réalité est malheureusement plus alambiquée. Et il faut saluer ici l’indépendance et la ténacité des deux juges d’instruction (espèce en voie de disparition à sauvegarder vaille que vaille) enquêtant sur la chose. L’un, Marc Trévidic, est chargé de l’affaire de l’attentat proprement dite et l’autre Renaud Van Ruymbeke travaille sur le financement de la campagne 1995 de Balladur. On ne compte plus les chausses trappes et autres embûches que nos chers politicards ont semé sur leur chemin boueux.
Ainsi le parquet de Paris a étrangement décidé de faire appel de la décision de Van Ruymbeke d’enquêter sur d’éventuelles rétrocommissions. Ainsi Bernard Accoyer, président de l’assemblée a refusé de remettre à Trévidic les documents parlementaires relatifs à l’attentat prétextant « des raisons de principe constitutionnelles » et le respect de la « confidentialité » promis aux personnes qui ont témoigné devant la mission d’information parlementaire. Les familles de victimes ont depuis porté plainte contre lui. Ainsi Jean-Louis Debré, président du conseil constitutionnel, n’a pas voulu confier les archives des comptes de campagne d’Edouard Balladur à Van Ruymbeke, « en raison du secret qui s’attache aux délibérations.«
On se prend à penser insidieusement que tout ce petit monde se protège. On sent bien que, si on tire un petit peu sur la ficelle, on risque de voir se dérouler toute la pelote. Mais voilà que tout s’emballe, ces derniers jours. Dominique de Villepin confirme en direct live sur la télé de maçons l’existence de « très forts soupçons de rétrocommissions » en relation avec la vente de sous-marins au Pakistan, signée en 1994 par le gouvernement Balladur et demande à être entendu par la justice.
Faut dire que les familles des victimes veulent porter plainte contre lui et contre Chirac pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « homicide involontaire« . Pas de bol pour notre chevalier blanc, à chaque fois qu’une affaire concerne son meilleur ennemi, ça lui retombe sur la fiole à sézigue. Clearstream, hier, maintenant Karachi. C’est rageant. Quoiqu’il en soit, l’Elysée, sous la houlette de Claude Guéant, monte aussitôt au créneau et brame à qui veut bien encore l’entendre que l’affaire ne « concerne en rien » Sarkozy et parle de « rumeurs malveillantes« . On a du mal à gober ça tout cru. L’agité du château avait jadis qualifié de fable cette sombre histoire.
En fait, un témoin important semble établir un lien entre l’arrêt des commissions et l’attentat. Il s’agit de Michel Mazens, PDG de la Sofresa, société qui négociait au nom de l’État les grands contrats d’armements. Il a sous-entendu que l’Elysée de l’époque connaissait les risques encourus par le personnel de la DCN (fabricant des sous-marins) en cas de suspension des versements au Pakistan. Chirac et de Villepin seraient passés outre.
Un autre homme clé, Gérard-Philippe Menayas, ex-directeur financier de la DCN a expliqué comment deux intermédiaires libanais Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir avaient été imposés en 94 par le pouvoir politique pour mener à bien la vente d’armes au Pakistan. « Quand je parle de pouvoir politique, c’est le ministre de la Défense [ndlr François Léotard] ou son cabinet [ndlr Renaud Donnedieu de Vabres] « , a précisé le haut fonctionnaire.
Hasard ou coïncidence, Takieddine et son collègue sont suspectés d’avoir redistribué les fumeuses rétrocommissions au camp Balladur-Sarkozy. Takieddine était une figure de proue des réseaux balladuriens dans les ventes d’armes à l’étranger et semble fort bien apprécier notre cher président : « Nicolas Sarkozy est mon ami. Je l’ai rencontré en 1993« . Ce que c’est beau, l’amitié ! On verserait presque une larmichette…
Le susnommé Ménayas a révélé également qu’un certain Jean-Marie Boivin, gérant d’une société basée au Luxembourg par laquelle auraient transiter les commissions, avait fait chanter certains politiques haut placés dont monsieur Sarkozy en personne. « Je pense que les menaces de M. Boivin ont été prises au sérieux« , a estimé le témoin, sous-entendant bien des choses…
Cerise sur le gâteux, le centre mou en pleine bisbille s’en mêle ! Voilà que le tout nouveau débarqué Hervé Morin se lâche : « Moi, j’ai envie de dire que toutes celles et tous ceux qui ont joué un rôle prépondérant dans la campagne d’Edouard Balladur, qu’ils disent ce qu’ils savent de l’organisation de cette campagne. » Il ne cite pas notre guide suprême mais le cœur y est presque. Son ex–compagnon de route n’a pas droit à ces égards : « Je prends le cas de François Bayrou ; il était secrétaire général de l’UDF, qui était la principale formation politique qui soutenait Edouard Balladur, il était président d’une des formations qui était le CDS…«
Insinuation ou règlement de compte du milieu centre, qu’importe. Le grand déballage a bel et bien commencé. Mon petit doigt me dit qu’il pourrait bien y avoir du grabuge au plus haut niveau dans les mois qui viennent…
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Dernière heure : Les familles ménagent de Villepin et sont indignés par Sarkozy après leur déclaration respective.