Le mode ‘trouble’ s’est mis à la mode. La vague va-t-elle déferler sur l’ensemble du pays ou seules certaines villes vont s’embraser ? Pour le moment, les tensions semblaient s’estomper au Cap-Haïtien alors que pour Hinche et PAP, rien n’est encore joué. On entend parler de Mirebalais, de Ouanaminthe, des Gonaïves… Une chose est certaine, les policiers de la Minustah avec qui j’ai parlé dans les derniers jours sont sur les dents. La prochaine semaine risque de ressembler à une boîte à surprise. Je discutais avec Cetout de la situation des élections en le questionnant sur cette idée très forte que tout ce qui se déroule actuellement est orchestrée par la classe politique qui ne veut pas d’une élection qu’elle semble en voie de perdre.
- Ça me semble un peu simpliste comme analyse. Cette hypothèse est sur toutes les lèvres, charnues comme émaciées. Comme si l’évidence était tellement forte, qu’aucune autre idée ne pouvait se pointer dans la tête des gens.
- Depuis 20 ans, c’est la même ‘classe politique’. Celle qui profite de la situation du pays pour s’en mettre plein les poches. Là, je parle des politiciens corrompus, des trafiquants de drogues et de quelques familles riches du pays. Ces gens là paniquent actuellement. Leur poulain ne passe pas du tout dans les sondages et celle qui est bien assise en première place dans les sondages des dernières semaines, Madame Manigat, n’a jamais mangé dans leur main. Elle parle de ‘rupture’ avec l’ancien régime alors que Célestin se présente comme le candidat de la continuité.
- Cette analyse est aussi logique que séduisante, ça n’en fait pas pour autant une vérité transcendante !
- On a vu dans notre histoire récente ce genre de manœuvres. On arme des groupes criminalisés ou des jeunes un peu désœuvrés, tu ajoutes un peu de kob et du klerin (alcool) et hop, la situation s’embrase. Du temps d’Aristide, on parlait des chimères. As-tu remarqué que les accusations de distribution d’armes n’ont jamais été démenties ? En fait, tout le monde connait très bien la suite de l’histoire, ils ont vu la pièce à quelques reprises.
- Le chef de la Minustah mentionnait également que d’anciens militaires faisaient partie de ces manifestants.
- Eux, ils attendent leur tour depuis que les américains les ont écrasés pour réinstaller Aristide en 1994. Ils sont là, toujours près à reprendre du service. Pour le moment, ils se battent avec les chimères contre la Minustah, mais si jamais la Minustah plie bagage, les militaires et les chimères se feront la guerre. Les soldats sont de la clic duvaliériste, et ceux qui financent les chimères sont des aristidiens. Si la Minustah lève les pieds, bienvenue dans ta première guerre civile.
- Air-Canada a toujours des vols, ne t’inquiète pas !
- Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est que la communauté internationale semble tenir son bout. On voit des prises de position assez fortes des UN, de la France et des États-Unis pour le maintien des élections. Tout le monde imagine que Préval et ses amis ont maintenant deux bâtons dans les roues. Une population qui semble vouloir se mobiliser derrière Manigat et des acteurs internationaux moins complices.
- Je te dirais que la Minustah a également assez mal géré le dossier du choléra. Le fait de se dépêcher à nier toute responsabilité dans l’affaire offre une très belle opportunité à ceux qui avaient besoin d’un prétexte pour tout faire sauter.
- Donc tu penses que c'est vrai cette histoire que des soldats de la Minustah sont responsables de l’épidémie de choléra.
- Ce n’est pas mon point. Pour le moment, tout concourt à pointer du doigt les soldats Népalais installés à Mirebalais mais dans le contexte politique actuel, c’est un faux enjeu. Ceux de la classe politique qui veulent annuler les élections se sont fait offrir sur un plateau d’argent une occasion de mobiliser les manifestants. Imagine que les UN, au lieu de rapidement nier toute responsabilité, avaient plutôt dit qu’ils allaient étudier en détail la question et rapidement mettre en place dans toutes leurs casernes les dispositifs pour éviter toute contamination possible. Qu’ils allaient évaluer l’état de santé de toutes leurs troupes et que tout porteur sain allait être rapatrié dans son pays, et qu’ils s’engageaient en cas de responsabilité prouvée à dédommager la population haïtienne. Et que dans l’immédiat, ils allaient mobiliser des équipes pour soutenir la distribution des médicaments et équipements nécessaires aux populations touchées. Aujourd’hui, au lieu de se battre contre la population, ils distribueraient des caisses de sérum et d’antibiotiques… Disons qu’au plan de la stratégie de communication, on a déjà vu mieux.
Cetout m’écoutait sans broncher avant de reprendre la balle au bond.
- Du point de vue de la stratégie de communication, c’est effectivement une catastrophe. Au plan politique, c’est encore pire. Ils se sont offerts en cible à ceux qui ne veulent pas d’élection et qui ont les moyens de les perturber. Maintenant, il ne leur reste qu’à continuer à téléguider les manifestants. Ou on en arrivera tous à la conclusion que la situation est tellement dégradée qu’il faille annuler les élections, ou le climat de terreur imposera une participation tellement faible aux élections que ce sera plus facile de magouiller les résultats.
- Peut-être que t’es en train de leur donner une idée …
- Ne t’inquiète pas, ils n’ont pas besoin de moi pour avoir ce genre d’idée.