Quel bilan convient-il de dresser après cette expérience originale que fut la rédaction d’Obscurité ?
Tout d’abord, rappeler qu’au départ il ne s’agissait que d’une nouvelle, l’actuel chapitre un, avec l’enfant apeuré dans la cave. On se souvient que ce sont les lecteurs qui ont insisté pour que je poursuive, alors que de mon côté tout ce que j’avais à dire était déjà exprimé.
J’ai donc relevé le défi, un peu par jeu, un peu pour leur faire plaisir, mais surtout pour satisfaire mon propre plaisir d’écrire. Au départ, je n’imaginais évidemment pas que mon texte prendrait une telle ampleur. Je pensais à cinq ou six chapitres, sans plus. Et puis voilà. J’ai eu la chance de trouver un fil conducteur (le voyage), qui me permettait à la fois de parler des paysages traversés et d’ajouter une petite intrigue à chaque épisode. Je veux dire par-là qu’il n’y avait pas de plan d’ensemble, je ne savais absolument pas où j’allais aller.
Chaque chapitre était donc plus ou moins fermé sur lui-même. J’inventais un incident que je développais et généralement la fin du chapitre restait ouverte, suscitant la curiosité des lecteurs. Souvent, je me suis trouvé entraîné beaucoup plus loin que prévu. Par exemple, quand nos héros partent à Limoges pour trouver une clef, je croyais traiter cela en unchapitre. Mais voilà, un incident en a amené d’autres. Pauline a failli se faire écraser en rue, puis il y a eu l’accident du sanglier (une route peu fréquentée, le soir…). Comme l’enfant était à l’écart, en train de regarder la pauvre bête qui agonisait, la mère se retrouvait seule sur la route et dans le noir. D’où l’idée de l’agression, ce qui a amené la fuite précipitée en voiture et la nuit passée dans les bois, etc.
Au début, les chapitres étaient de plus ou moins 8.000 signes (bonne longueur pour lire un texte sur écran), mais petit à petite et malgré moi ils se sont allongés (plus de 10.000 signes, parfois 12.000). Heureusement, il yavait les photos pour aérer un peu le texte.
La seule chose dont j’ai assez vite été certain, c’est que l’histoire finirait mal et qu’elle finirait par un accident de voiture dans le Verdon. Mais moi, à ce moment-là, j’étais dans la Creuse. En dehors de cet accident du Verdon, tout a été laissé au hasard. Bien souvent ce sont les personnages eux-mêmes qui m’ont guidé (les souvenirs de la mère à Bergerac ou à Beynac par exemple). J’espère que l’ensemble ne donne pas une impression de décousu, c’est le risque. Evidemment, on est pris par l’action et on a envie de connaître la suite, ce qui fait un peu oublier le manque de structure de l’ensemble.
Les lieux géographiques cités sont généralement connus demoi, ce qui était une force pour en rendre l’atmosphère. A part Limoges, où je ne suis jamais alléet la plage des Landes sous la tempête, j’ai visité et même logé à Beynac, Hendaye, St Julien d’Arpaon, etc. C’était aussi pour moi l’occasion de renouer avec mes souvenirs, certains fort éloignés et remontant à l’adolescence. Les chouettes de La Courtine sont réelles. Je n’ai jamais entendu autant d’oiseaux de nuit que dans cet endroit. Evidemment, ici, le cri de ces chouettes dépasse l’anecdotique pour prendre une autre dimension (la chouette voit dans l’Obscurité à la différence de l’enfant ; son cri est inquiétant, etc.)
Qu’en est-il des commentaires ? Le texte a bien pour origine la volonté des lecteurs d’avoir une suite au chapitre un (qui ne s’appelait pas encore le chapitre un). Très vite le dialogue s’est installé en cours de rédaction. Cela a cependant coincé à un certain moment, quand des désaccord ssont apparu (l’incident du bain de la mère : on quittait une histoire innocente pour entrer dans autre chose. On ne se concentrait plus sur l’enfant mais sur tous les personnages). J’ai tenu bon car je sentais que mon texte serait plus volumineux que prévu et que j’avais la possibilité de mettre tout les personnages en scène. Vers la fin de l’histoire, je me suis aussi fait plus discret dans mes réponses aux commentaires car chacun voulait me proposer sa propre manière d’envisager la suite et je ne voulais ni me laisser influencer, ni dévoiler ce que j’avais en tête. Le plus dur, c’est quand dans un commentaire je trouvais exactement ce que j’allais dire le lendemain (partir à l’étranger par exemple). J’avais un peu peur qu’on ne m’accusât de plagiat ou que mon roman ne devienne celui de tous. Car si j’ai innové en écrivant en direct, sans relecture de l’ensemble et sans possibilité d’aller rectifier des détails (je devais me contenter des situations dans lesquelles j’avais mis mes personnages et bien souvent je me suis demandé ce que j’allais faire pour les sortir du pétrin où ils étaient allés se fourrer), si j’ai innové, dis-je, en écrivant en direct, ce « roman » ne fut pas non plus une écriture collective et j’ai très vide mis des barrières. J’aurais été incapable de suivre les suggestions des lecteurs, qui m’auraient envoyé l’un à droite, l’autre à gauche au point que j’en aurais perdu le Nord.
Pour ma méthode de travail, elle est chaque fois la même et il en a toujours été ainsi. L’histoire (le thème plutôt) me trotte en tête pendant un ou deux jours. Je n’y pense pas volontairement ni systématiquement, mais à certains moments (en attendant un métro, en se brossant les dents), des idées viennent. Puis elles s’agencent petit à petit. A ce moment, j’ai donc mon plan pour l’épisode suivant. Je sais ce qui va se passer, mais cela tient en quatre mots. Quand je me mets à écrire, je développe ces quatre mots, c’est tout. Cela se fait alors facilement, mais il me faut donc en amont ces deux ou trois jours durant lesquelles les idées, encore embryonnaires germent, sans cela je ne suis incapable d’écrire. Une fois que tout est rédigé, il faut relire, mais je me contente souvent de corriger les fautes de langue, d’améliorer, de modifier, pour rendre une phrase plus harmonieuse, plus musicale. C’est là sans doute ma faiblesse, je ne corrige pas assez. Mais l’avantage, c’est que le texte, malgré ses imperfections, conserve sans doute une certaine fraîcheur.
Ce fut parfois un peu stressant de savoir que les lecteurs attendaient la suite, alors que le dernier épisode avait été posté un lundi par exemple, qu’on était déjà le vendredi et que je n’avais encore rien imaginé dans ma tête. D’un autre côté, je reconnais que sans cette pression derrière moi, j’aurais sans doute trouvé mille prétextes pour faire des choses plus urgentes et soi-disant plus importantes (la gestion des tâches quotidiennes). Merci donc à tous.
Pour votre information, Obscurité fait finalement 116 pages Word, des pages pleines évidemment. Il comporte 589.889 signes (espaces compris), ce qui n’est tout de même pas rien.