C’est en dégustant chaque page du nouveau livre de Villepin : « De l’esprit de cour » (Perrin), que j’ai eu l’idée de m’attarder quelques instants sur un sujet que nous n’avons jamais abordé ensemble : les courtisans dans l’entreprise. L’esprit de cour a bien évolué en France depuis l’époque médiévale. En ce temps-là ; la cour était joyeuse, chevaleresque, un plaisir. Au fil des siècles, les courtisans jouèrent l’apparence, se délectèrent dans les complots. Les courtisans ont survécu à la Révolution Française. Ils survivent à toutes les révolutions puisqu’ils prospèrent encore… Mais, si l’esprit de cour est accepté et largement commenté dans la vie politique ; on n’en parle rarement dans l’entreprise. Et pourtant, il existe. D’ailleurs les mots sont les mêmes : « piston, favori(e), chouchou, incompétences, injustes » ; les phrases aussi : « de toutes les façons dès qu’il saute, il sautera derrière ; il ne fait rien et on ne lui dit rien, c’est pas possible ; mais quel fayot et l’autre qui ne voit pas qu’il se moque de lui ; mais c’est pas vrai ils couchent ensemble, pour que ce soit si injuste ! ». Allez reconnaissez que vous avez entendu, pensé ou même dit ces phrases un jour dans votre vie professionnel ? Vous voulez que je vous dise, entre nous, tout ça n’est pas bien grave… Il y a plus ennuyeux que cela, il existe en effet des patrons qui utilisent la courtisanerie comme mode de management : qui sont les plus fautifs, les manipulateurs ou les manipulés ?
Prenez ce dirigeant qui embauche systématiquement des collaborateurs non pas moins brillants que lui, mais vraiment « cruches » pour ensuite asseoir sa puissance et gérer dans la terreur. Ce management de l’humiliation assure a ce dirigeant une cour, une allégeance à peu de frais. En effet les temps sont durs… Silence.
Prenez ce dirigeant, qui n’accepte pas d’écouter les réalités de sa boîte excepté les siennes ; toutes ses équipes doivent penser comme lui. La cour n’a pas de bouffon. Silence.
Prenez ce dirigeant, qui par suffisance, ne sait pas gérer son équipe, parce qu’il n’en a pas besoin ; il sait, il est heureux, il n’écoute personne puisque plus personne ne lui parle. C’est triste une vie sans cour. Silence.
Prenez ce dirigeant qui est tellement lâche, paresseux, petit boutiquier de lui-même qu’il a peur de parler à ses équipes ; il est étriqué, fripé, il a peur de lui-même, la cour s’amuse. Un duc de Guise se cache. La cour tremble de voir le patron renverser. Silence.
Ce n’est pas par hasard si dans l’histoire de France seuls trois hommes ont dompté la cour, Louis XIV, Napoléon et De Gaulle ! Ils avaient le leadership sur elle ! Désolé pour l’anachronisme des termes.
Quels que soient les chemins, ils ramènent toujours au leadership, à la marque managériale. Je ne suis pas sûr, qu’une cour ne soit pas bénéfique à un dirigeant. Et même, je pense le contraire. A l’époque où j’étais en charge de la communication Interne et Sociale dans un groupe industriel, je pouvais apparaître comme l’empêcheur de tourner en rond. Quand il fallait dire les choses à la place de ceux qui se taisaient, je le disais. J’étais jeune certes, inconscient, certes, mais je profitai à cette époque là de mon rôle de favori. Le DG m’écoutait même agacé, mais il écoutait. La cour elle, se méfiait. Drôle de repenser à tout cela… surtout qu’ensuite mon DG changea de fonction… et là, arriva un Directeur de la Communication dont le surnom était « la voix de son maître ». La cour ne se précipita pas pour sauver ma tête. Ca tombait bien, je n’avais plus rien à faire avec ces gens-là ! Cette anecdote date du siècle dernier. Les temps ont changé. Le mutisme a fait de l’entrisme dans les entreprises. Est-ce qu’on peut encore parler avec son patron actuellement ? Si oui… que peut-on lui dire ? Comment lui dire ? Jusqu’où aller ? C’est tout le problème des managers actuellement ! Entre le silence et la révolution de palais, il y a un juste milieu. La cour, ça peut-être une arme formidable pour un dirigeant. S’il accepte le côté chevaleresque de son entourage et non la courtisanerie. Pas facile. Toutevérité n’est pas bonne à dire, et alors ? Un patron qui accepte d’entendre ce qui ne veut pas entendre, c’est pour moi un patron, un vrai. Je termine par une anecdote personnelle. Nous sommes en 1998, c’est la première fois que je vais une proposition décalée à mon nouveau DG. Sa réponse : « Vous proposez. Vous organisez. Vous assumerez ». J’ai adoré. un DG juste c’est celui qui accepte autour de lui un communicant ou un manager qui ose et qui assumera les conséquences de ses actes. La meilleure réponse pour combattre l’esprit de cour, c’est une lutte constante contre les grandes et petites lâchetés qui encerclent un dirigeant.
Pas facile de se battre contre la lâcheté, surtout la sienne…