Jean Raoux (Montpellier, 1677-Paris, 1734),
Télémaque raconte ses aventures à Calypso, 1722.
Huile sur toile, 114 x 146 cm, Paris, Musée du Louvre.
Assister à la naissance discographique d’un jeune groupe de musiciens a toujours quelque chose d’assez émouvant, particulièrement lorsque le disque que l’on tient en mains propose des pièces somme toute relativement peu fréquentées. Pour leur premier enregistrement, publié par les Éditions Ambronay, c’est dans la France du début du règne de Louis XV qu’ont choisi de nous conduire Les Ombres, un bien beau parcours que je souhaite aujourd’hui partager avec vous.
S’il a constitué une période d’intense activité artistique dans tous les domaines, le « siècle de Louis XIV » a
également, bien qu’il soit de bon ton d’oublier de le souligner, formidablement corseté la création pour la mettre presque entièrement au service d’un monarque chez lequel autoritarisme et
éclairement se livraient une lutte sans merci.
Le programme construit par Les Ombres est fort intelligemment conçu, car il permet, en proposant L’Apothéose de Lully
de François Couperin (1668-1733) aux côtés de deux œuvres de Colin de Blamont, une version tardive et inédite de la cantate Circé (l’originale date d’environ 1710) ainsi qu’une suite
de danses extraite du ballet Les Festes Grecques et Romaines, de mettre en évidence les permanences et les évolutions du répertoire du deuxième quart du XVIIIe siècle,
encore fort rarement exploré par les interprètes.
La prestation des Ombres (photo ci-dessous) rend parfaitement compte de la richesse d’une période bien plus féconde en
transformations que ce qu’une approche superficielle peut parfois laisser supposer. L’approche des jeunes musiciens qui composent l’ensemble réussit à conjuguer de façon très convaincante
enthousiasme et concentration, dans une lecture à la fois très directe et toute en subtilité qui permet à ces pages de chambre d’exprimer leur impact théâtral comme leur poésie. Une belle
démonstration d’équilibre et de sensibilité, qui fait merveille dans un Couperin aux nuances et à l’humour superbement restitués – cette dernière dimension de sa musique est souvent oubliée, on
en salue d’autant plus la présence ici – et permet aux deux œuvres de Colin de Blamont de ne pas tomber dans le pastel univoque, un des pièges potentiels de ce répertoire, offrant une
magnifique Circé portée par l’investissement dramatique de la mezzo-soprano Mélodie Ruvio, dont on espère entendre à nouveau le timbre clair et sensuel, et des Festes Grecques et
Romaines pleines de rebond et de souplesse.
Je vous recommande donc ce disque sans hésitation, en gageant que la qualité tant de son programme que de son exécution musicale vous séduira à votre tour, et vous permettra d’effectuer un vrai bond dans le temps pour assister, comme si vous y étiez, à un délicieux Concert chez la Reine. S’il poursuit sa route avec le même souci de faire partager son plaisir et de délivrer des interprétations d’une haute tenue musicale, il ne fait, à mes yeux, guère de doute que l’ensemble Les Ombres n’y demeurera pas longtemps.
Mélodie Ruvio, mezzo-soprano
Manuel Weber, comédien
Les Ombres
Margaux Blanchard, viole de gambe & direction artistique
Sylvain Sartre, flûte traversière & direction artistique
1 CD [durée totale : 75’] Éditions Ambronay AMY301. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. François Couperin (1668-1733), Concert instrumental sous le titre d’Apothéose composé à la mémoire immortelle de
l’incomparable Monsieur de Lully (1725) :
Apollon persuade Lully et Corelli que la réunion des Goûts Français et Italien doit faire la perfection de la Musique. Essai
en forme d’ouverture : Élégamment, sans lenteur – Doux, et modérément – Légèrement – Doux, et modérément.
François Colin de Blamont (1690-1760) :
Circé, cantate à voix seule et simphonie (c.1729-36) :
2. Air « Cruel auteur »
Les Festes Grecques et Romaines, ballet (1723) :
3. Ouverture
4. Premier et deuxième Rigaudons
Illustrations complémentaires :
François Albert Stiémart (Douai, 1680-Versailles, 1740), Portrait de Marie Leszczynska en grand costume de cour, c.1725. Huile sur toile, 198 x 147 cm, Versailles, Château.
Jean Raoux, Allégorie de la Musique, 1730. Huile sur toile, 120 x 117,5 cm. Postdam, Château de Brandebourg. (Cliché : Wolfgang Pfauder)
La photographie de l’ensemble Les Ombres est de Bertrand Pichène. Je remercie Véronique Furlan (Accent Tonique) de m’avoir autorisé à l’utiliser.