La choucroute des amis

Publié le 20 novembre 2010 par Jlhuss
[Prologue ]

Plat familial ou amical la choucroute est la simplicité même. Rien de plus facile que sa préparation dont je vais énoncer les principes, sous forme de dix commandements dont voici le premier :

I Ta choucroute crue rincera, à l’eau claire abondamment.
Glose : « Le sel de conservation ne doit pas être le sel de cuisson »  fixée par les Pères (de la cuisine) cette vérité s’applique à la saumure dans laquelle la choucroute a baigné jusqu’à sa mise sur le marché. Outre du sel, cette préparation contient des éléments qu’il vaut mieux ne pas absorber. On agira donc sagement en rinçant le chou autant de fois qu’il le faudra pour que l’eau qui s’en exprime soit presque claire. Chambolle répète l’opération sept fois par pure superstition.

II Une marmite choisira assez vaste évidemment
Glose : La choucroute aime ses aises. Pas question de l’entasser dans un vase trop étroit où il serait impossible de glisser à propos tel ou tel ingrédient sans risquer le débordement.

III En ingrédients te fournira de qualité et largement
Glose : Votre charcutier est sans reproche. Ce n’est pas lui qui, en novembre, vous vendra un fond de tonneau de l’an passé. Il n’omettra pas non plus de vous indiquer le temps nécessaire pour dessaler l’imposant jarret de porc  demi-sel qui sera comme le donjon de la place forte érigée sur la colline de votre choucroute dont les saucisses de Francfort ou de Strasbourg constitueront les ouvrages avancés. Deux beaux morceaux de poitrine fumée en seront les remparts et une vraie saucisse de Morteau (reconnaissable à sa médaille) la barbacane. Il va de soi que comme l’enseigne l’histoire de l’architecture militaire, la composition et l’aspect de l’édifice peuvent varier en fonction de l’inventivité du maître d’œuvre et des ressources locales.
Recommandation importante : Pour qu’il y ait assez de tout cela, il faut qu’il en reste.

IV Chaque produit disposera au bon moment minutieusement
Glose :  En cuisine comme en politique, le temps ne respecte rien de ce qui se fait sans lui. En conséquence :
-   Garnir le fond de la marmite d’une couenne de lard, côté gras tourné vers l’extérieur
-   Couvrir avec le tiers de la choucroute auquel on ajoute un oignon piqué de clous de girofle, quelques grains de genièvre et de poivre noir, une pomme un peu acide épluchée et coupée en quatre quartiers, un léger bouquet garni
-   Le jarret dessalé (que Chambolle remplace parfois par une palette)
-   Caler le tout avec la choucroute restante (ai-je dit qu’il faut compter de 200 à 250 grammes de ce produit par adulte ?)
-   Verser un litre de vin blanc sec (en l’absence d’alsace, un aligoté suffira) et la même quantité de bouillon dégraissé (cette précaution inutile si vous utilisez un produit du commerce présenté en tablettes à diluer). Il faut que le liquide affleure le haut de la préparation
-   Pour les autres ingrédients, voir plus bas

V La cuisson tu conduiras, au coin du feu doucettement
Glose : La cuisinière Godin bois et charbon appartient au passé. Heureusement la technique moderne offre des substituts très convenables sous la forme de plaques de cuisson ou de foyer au gaz naturel qu’on peut régler au degré près. Faire partir sur feu moyen. Dès qu’un bouillottement se fait entendre, modérer l’intensité pour obtenir une cuisson lente. Au bout d’une heure, goûter le jus de cuisson, s’il est trop fade, salez un peu puis ajouter la morteau et le morceau de poitrine fumée légèrement blanchi.
Encore une heure à petits plop ! plop ! et la choucroute est prête. Légèrement croquante avec une petite pointe d’acidité, c’est la perfection même. A part vous aurez fait cuire des pommes de terre à l’eau et poché des saucisses de Francfort. Servez brûlant.

VI Ta garniture tu changeras selon ton goût très librement.
Glose : Ce n’est pas parce que l’oncle Chambolle a, pour le cochon salé, une faiblesse remontant à sa jeunesse folle (comme c’est loin tout ça…) que vous êtes obligé de l’imiter. On peut parfaitement remplacer le jarret  et la poitrine fumées par de belles côtes de porc poêlées. On peut aussi servir la choucroute en accompagnement d’une oie ou d’un canard rôtis. On peut presque tout, sauf cuire le chou trop ou pas assez longtemps. Les deux heures indiquées ci-dessus sont du domaine de l’idéal et il vaut mieux goûter à intervalles réguliers pour vous assurer de l’à-point.

VII Ta choucroute arrosera d’un vin choisi judicieusement
Glose : Moi qui vous cause, j’ai connu quelqu’un qui ne buvait, avec sa choucroute, que du pinot noir d’Alsace. Comme quoi tous les goûts sont dans la nature. Chambolle a un faible pour le riesling quand il est de l’espèce rafraîchissante et pur de toute manipulation soufrée, mais il ne crache pas sur un honnête sylvaner et, ma fois, il y a de certains chablis…

VIII Entrée et dessert prévoira du genre léger uniquement
Glose : La glose est presque inutile étant donné ce qu’on a pu lire dans les articles précédents. Mais pour rendre service je me contente d’indiquer que quelques huîtres, un fromage d’Epoisses ou de Münster et une tarte aux pommes (fabriquée à la maison, pâte comprise), feront parfaitement l’affaire.

IX Pour finir sirotera un doigt de kirsch dévotement
Glose : Ce commandement est facultatif. Néanmoins, une p’tite goutte d’un excellent alcool blanc (la mirabelle ou la framboise ont aussi bien des mérites) est un plaisir dont on aurait tort de négliger l’occasion, surtout si quelqu’un d’autre conduit la voiture du retour ou si on s’en revient chez soi à pied.

X Les restes réchauffera pour ne rien perdre soigneusement
Glose : Il fallait un dixième commandement vu que, depuis Moïse, ces articles se débitent à la dizaine. Ensuite la choucroute, c’est très bon réchauffé. Enfin, même s’il n’est Auxerrois que d’adoption, l’oncle Chambolle se refuse « à gâcher ».

Chambolle