C'est avec l'autorisation de Niki de l'excellent blog: Mon bonheur est dans la ville et bien sûr celle de Nicole Provence que j'ai le plaisir de publier ce texte, que pour ma part je trouve délicieux, que l'auteur a écrit pour elle. Sujet: le travail de création.
Je vous propose donc de découvrir cette ballade d'un écrivain, ou serait-ce juste une balade ? A vous de juger:
Dans la tête d’un écrivainEcrire un nouveau roman ! La perspective d’une grande joie, mais aussi d’une terrible angoisse. Celle de ne pas y arriver. Le dernier roman achevé, j’ai l’impression d’avoir utilisé toutes mes forces, usé toute mon imagination et que tout en moi est tari. Que jamais je ne réussirai à me lancer dans une nouvelle aventure. J’en suis presque épuisée à l’avance tant je sais tout ce que cela demandera de temps, de force, de constance, au risque d’en ressentir plus tard une grande déception, celle de n’avoir pas su convaincre mes lecteurs. Car si écrire est un plaisir personnel il ne peut perdurer que s’il est partagé.Et je reste quelques jours, indécise, comme vide, prête à abandonner, à me réfugier dans l’écriture des autres pour rêver à travers leur imagination. Tellement plus reposant. Mais je ne me décourage pas tout à fait car je sais qu’arrivera le moment ou la satisfaction surpassera en tout les difficultés que j’aurais eu à vaincreSouvent cette histoire naîtra à cause d’un fait de société qui m’aura interpellée, pas forcément un crime mais le plus souvent une souffrance. Toujours un sentiment que j’aurais éprouvé à sa découverte et qui m’aura émue ou révoltée. Et avec cette souffrance, un regard se manifeste. Celui d’un enfant, d’une femme, ou d’un homme. Je ne décide jamais à l’avance, il s’impose de lui-même et je ne peux que l’accepter. J’attache beaucoup d’importance au regard, parce qu’un regard livre silencieusement tout ce que cache le personnage, ce qu’il ne peut ni ne veut avouer.Je suis une exploratrice, une sorte de spéléologue du monde humain J’aime aller fouiller au fond des âmes parce que je suis sensible, que je suis touchée par la souffrance des autres que je voudrais guérir. Une belle utopie, bien sûr mais qui sera le premier pas vers l’écriture de mon roman.Dès que j’aurai pu plonger mon regard dans celui de mon héros, l’histoire pourra commencer.Mais voilà que ce personnage ne peut plus évoluer tout seul et au fil de mon écriture d’autres compagnons de route surgiront et prendront place. De gré ou de force, ils seront là et se préciseront au fur et à mesure jusqu'à parfois quitter leur rôle de subsidiaires pour devenir héros à part entière. Et même si ce n’était pas prévu, je les adopterai. Ensuite, ce sera une affaire de famille, nous agirons ensemble et je ne serai plus libre de la fin. Ce sont eux qui me l’imposeront. Il faut dire que je suis souvent d’accord avec eux.Et voici qu’enfin un horizon se dessine devant mes yeux, mes craintes envolées, le sujet bien défini, je vais m y projeter avec délices. Je vais m’immerger dans un monde qui n’existe encore pour personne, mais que je vais découvrir petit à petit, comme on fait la connaissance d’une amie.Il faut du temps, de la patience et rien n’est jamais facile. On progresse pas à pas, on se trompe, parfois on recule, mais l’histoire doit s’écrire. Je vais vivre avec des personnages qui me sont pour l’instant totalement étrangers, je dis bien pour l’instant, car je sais bien qu’au détour d’une page ces personnages deviendront si réels que je ferai corps avec eux jusqu'à les toucher de près, murmurer a leur oreille, et les entendre respirer.Et depuis que j’écris, aucun des personnages de mes romans ne m’a jamais quittée. Ils sont toujours vivants en moi, comme faits de chair et de sang. Je pense à eux comme à des amis, et parfois je poursuis avec eux la suite de leur histoire même si je ne l’écris pas.Les grandes lignes de mon roman déterminées, j’attribue un rôle à chacun d’eux et je me lance, bien résolue à ne pas dévier d’un pouce de l’aventure que je veux leur faire vivre. Peine perdue ! C’était sans compter avec eux. Et c’est parce que je les écoute que mon écriture devient moins facile, moins spontanée et que je dois défendre ma volonté d’écrire certains passages malgré eux. Et croyez-moi, ils se rebiffent et sont capables de tout pour me conduire dans le chemin qu’ils auront décidé.Ce ne sera plus une histoire inventée, créée par ma volonté et ma seule imagination, mais une histoire retranscrite, comme la résurgence d’un souvenir enfoui qui a brusquement jailli d’un coin de ma mémoire parce qu’un jour ils me l’auront racontée. Et ce sera celle-là et pas une autre que je partagerai avec mes lecteurs.Certes, je suis toujours leur créatrice et comme je le disais un jour, il existe une véritable griserie à engendrer des personnages et à vouloir les façonner comme bon me semble. Mais là encore il me faudra « négocier » leur vie, leur caractère, leurs motivations. Je devrai épouser leurs amours, leurs haines, aller chercher au fond d’eux ce qu’ils cachent, leur bonté, leur naïveté ou leur machiavélisme. Et les lignes naissent presque d’elles-mêmes, je ne fais que dérouler le fil de mes pensées. Parfois, quand je bloque sur un passage, il me suffit de m’endormir avec ce point d’interrogation et comme par miracle le lendemain ma solution est trouvée sans savoir lequel d’entre eux me l’a soufflée.Et sans relâche, sans se soucier de l’heure et du temps, moi en face de mon écran, eux dans mon esprit, nous écrivons cette histoire ensemble car j’aurais pris fait et cause pour chacun d’eux. En me mettant dans leur peau, dans leur cœur, j’en arriverai à les comprendre et à les défendre. Souvent, les plus noirs, les plus faibles les plus malheureux toucheront mon cœur de manière inattendue et je me sentirai obligée de leur trouver des circonstances atténuantes. Et je serai seule juge de cette décision, accorder le pardon ou leur offrir la possibilité d’une rédemptionIl est tellement facile de se montrer magnanime envers des héros de papiers.Quant aux coupables, puisqu’il en faut bien, j’aurai pris garde tout au long de ce chemin d’écriture de ne pas trop les approcher tant j’aurais eu peur qu’ils parviennent à me convaincre que l’horreur de leur geste a eu une bonne raison d’être.Nicole Provence - (ce texte est la propriété personnelle de la romancière – reproduction interdite)