Dans le Monde daté du 19 novembre, une enquête sur le climatoscepticisme révèle des résultats intéressants, qui confirme mon analyse de ce phénomène dans un article que j'avais rédigé en août 2009 : Pourquoi tant de scepticisme devant le réchauffement climatique et autres catastrophes annoncées?
Reprenons les résultats de l'enquête du Monde:
1-Les diplômés ne sont pas moins climatosceptiques que les autres: j'ai expliqué, dans cet article, que, dans ce domaine, c'est nos représentations sur le monde, et non notre niveau culturel, qui sont déterminants.
2-Plus on est âgé, plus on est climatosceptique. J'ai analysé l'importance des représentations du monde datant des Trente Glorieuses chez les plus âgés. Par contre, les plus jeunes vivent au quotidien les dégâts de nos choix de société.
3-Si les gens de droite sont davantage climato-sceptiques que les gens de gauche, l'écart reste faible. Ce qui gêne les gens de droite dans l'écologie, c'est la remise en cause de leur liberté, la peur des contraintes que pourraient entraîner les politiques écologiques. Mais j'ai expliqué aussi que les convictions de gauche sont souvent en corrélation avec la croyance en un progrès continu, difficilement conciliable avec l'écologie.
Reprise de cet article ci-dessous:
Pourquoi tant de scepticisme devant le réchauffement climatique et autres catastrophes annoncées?
Qu'est ce qu'une autruche sceptique? Ou pourquoi certains préfèrent mettre la tête dans le sable plutôt que d'accepter le danger et de lutter.
Si nous acceptons l’idée que nous sommes devant de graves dangers, il faut essayer de comprendre pourquoi, alors, la grande majorité de nos contemporains, semblent refuser de croire à la gravité du problème.
Une enquête, à la fin de la première décennie du siècle, révèle qu’une dizaine de millions d’européens, soit un sur cinquante, a changé radicalement de vie, cherchant à consommer moins, à limiter radicalement son empreinte écologique, ne prenant plus l’avion, roulant à vélo, etc.
Mais les autres, la très grande majorité, pourquoi, alors que l’évidence de la crise écologique planétaire s’impose de plus en plus, pourquoi ne change-t-elle pas? Répondre à cette question est cruciale, car c’est la majorité qu’il faut convaincre.
L’image la plus parlante est celle de l’autruche qui, devant le danger, met la tête dans le sable et attend.
Mais l’idée d’une population majoritairement «idiote» pour ne pas voir «l’évidence» et donc changer radicalement de vie, ne résiste pas à l’analyse.
D’abord, parce que une part croissante de la population, souvent la plus cultivée et intéressée par l’évolution sociétale, a parfaitement compris les dangers qui nous menacent. Ensuite, parce que la grande majorité des personnes ne peut admettre et comprendre ce qui se passe pour des raisons que nous allons expliquer plus loin.
Trouver des solutions, qui concernent tous le monde, nécessite d’abord de comprendre, ce qui se passe dans la tête des gens, des différents acteurs qui prennent tout les jours des décisions plus ou moins «écologiques», qu’il s’agisse des simples citoyens ou consommateurs (selon le point de vue où on se place), des chefs d’entreprises, des élites intellectuelles et des hommes politiques.
Il faut dépasser les discours simplistes et catastrophistes sur l’Apocalypse qui nous menace, qui permettrait de séparer une minorité «éclairée» qui aurait compris la vérité , d’une majorité subissant la dégradation de la planète et se précipitant, comme les moutons de Panurge, vers l’abîme. Ce dépassement est une nécessité pour que l’Humanité trouve des solutions acceptables par tous, mise en pratique par une majorité toujours plus importante, solutions qu’il ne sert à rien d’appliquer seul dans son coin, puisque c’est la totalité de la planète qui est concernée.
Examinons maintenant le point de vue des différents contemporains sur la crise planétaire qui nous menace.
Prenons d’abord le cas d’un homme d’une soixante d’année, né après la seconde guerre mondiale, vivant dans un pays développé, et disposant de revenus corrects ou confortables. Celui-ci ne peut souvent comprendre ce qui est en train de se passer car il a connu les décennies de développement fulgurant qui ont suivi le second conflit mondial. Les ralentissements économiques qui ont eu lieu après cette période n’ont guère ébranlé son niveau de vie, et des périodes d’embellies (la révolution internet et numérique de la fin du XXéme siècle) ont renforcé sa croyance en des périodes cycliques avec des hauts et des bas. La victoire du capitalisme sur le communisme a accru sa confiance dans un système économique et politique qui lui a apporté prospérité et santé. La notion de progrès de l’Humanité est fortement ancré dans sa mentalité. On comprend mieux alors son incrédulité devant la crise planétaire dont on lui raconte la menace. Les ours polaires qui nagent dans l’eau glacé lui semble bien lointain et il ne se voit pas changer un mode de vie qui lui a toujours réussi. Il faut relier cette analyse au fait, que, en ce début de siècle, les livres sur le problème climatique sont concurrencés par autant de livres exprimant leur scepticisme devant ces phénomènes. Notre homme est incrédule devant le changement climatique et la crise planétaire. Les historiens ont bien compris et décrits depuis longtemps ce qu’ils appellent «le temps long» par opposition au «temps court» des événements : les mentalités humaines évoluent beaucoup plus lentement que le cours des faits. Il est très difficile de convaincre celui qui, toute sa vie, a connu radicalement autre chose.
Ce décalage entre ce qui est en train de se passer et les résistances incrédules de la majorité de la population concerne aussi les hommes politiques qui nous gouvernent car ils sont issus de cette génération et ont le même vécu.
Pour faire une comparaison, nous sommes un peu dans la situation de l’Humanité au début de l’année 1914. Une minorité de pacifistes luttait lucidement contre une guerre qu’ils pensaient, à raison, horrible, alors que la majorité des populations européennes et des élites, ne pouvaient imaginer ce qui allait se passer dans les tranchées, tout simplement parce que les guerres qu’avait connu la génération précédente étaient moins meurtrières, plus courtes, et que la fin du XIXéme siècle avait donné lieu à peu de conflits en Europe.
Cette posture de l’homme occidental d’âge mûr se retrouve, sans doute, dans celle des jeunes élites des pays émergents, pays qui connaissent depuis la fin du XXéme siècle, un développement fulgurant. Cette fulgurance empêchant de voir les dégâts que crée cette densification des espaces et cette utilisation particulièrement rapide et vorace des ressources.
Si on s’intéresse maintenant à d’autres catégories de personnes, il faut d’abord parler des deux-tiers de l’Humanité constitués par les personnes en situation de grande pauvreté. Quelque soit leur situation culturelle, économique et sociale, ces populations engagées dans une logique de survie, ne peuvent même pas se préoccuper d’environnement. En effet, l’exploitation de celui-ci est souvent vitale pour subvenir à leurs besoins.
Si on change de catégorisation, et que l’on s’intéresse maintenant aux élites, on peux distinguer différents métiers caractéristiques. Les chefs d’entreprise, à la recherche de nouveaux marchés et produits, obligés d’anticiper sur l’évolution de leur société, sont souvent sensibles à la question environnementale.
Par contre, les économistes, les professions intellectuels supérieurs (journalistes, cadres supérieurs) sont imprégnés, par leurs études et leurs métiers, par les idées libérales, qui développent une vision du monde, où la concurrence pour l’accès aux ressources est reconnu mais sans que soit envisagé les limites de ces ressources. La conception du monde, et le même point de vue, exposé plus haut, sur l’histoire récente, décrédibilise le discours environnemental. Ce manque de crédibilité est accentué par la vision fréquente, d’une écologie interventionniste, vécue comme un nouveau socialisme.
Cette idée en rencontre une autre: celle d’une écologie, qui serait un retour en arrière ( «à la bougie») inacceptable pour celui qui croit au progrès. Or, cette croyance dans le progrès, n’est pas une idée monopolisée par les libéraux, elle est familière aux gens de gauche, qui souvent réfute une «décroissance» incompatible avec l’espérance d’une élévation du niveau de vie.
On l’a bien compris: c’est l’ensemble de nos mentalités qui résiste devant l’idée de crise planétaire.
Pourtant, cette idée est de plus en plus admise, et suscite, pourtant, peu de changements profonds des pratiques, chez ceux, de plus en plus nombreux, qui sont inquiets devant le phénomène, et particulièrement devant le réchauffement climatique. Trois attitudes peuvent se distinguer alors:
-le refus de se «prendre la tête», de se gâcher la vie pour cela, «vivons pendant qu’il est encore temps» et on verra ensuite.
-la prise de conscience s’accompagne de gestes simples, au niveau de l’individu (prendre une douche et non un bain, économiser l’électricité, faire le tri des déchets, etc.). Cette attitude se développe mais se heurte souvent aux envies consuméristes. Il n’est pas facile de renoncer à son confort. Personnellement, j’ai du mal à résister à ma passion du voyage et des terres lointaines, dont je sais pourtant qu’elle aggrave fortement mon empreinte écologique.
-enfin, même convaincu, le citoyen n’a pas toujours les moyens de changer de vie. Prenons l’exemple d’un cadre moyen qui a acheté une maison dans une lointaine banlieue, parce qu’il n’avait pas les moyens d’en acheter une au centre-ville. Le voilà obligé de prendre sa voiture tous les jours pour aller y travailler, avec un budget serré, sans transport en commun fiable. Ses convictions ne résistent pas à sa réalité financière: il a besoin lui aussi de «produire du CO2» avec sa voiture, pour, simplement, survivre professionnellement.
On le voit, la très grande majorité de l’Humanité a des raisons légitimes de ne pas changer d’attitude. Par conséquent, lutter contre la crise planétaire nécessite aussi de comprendre les motivations des différents acteurs, de trouver des solutions qui prennent en compte ces contraintes qui pèsent sur l’évolution des comportements.
Pour conclure, nous voudrions revenir sur le comportement des hommes politiques. Nous avons montré que le système de pensée, qui était majoritairement le leur, était celui d’un univers mental qui a du mal à accepter la réalité de cette crise planétaire. Pourtant, en ce début du XXIéme siècle, le désarroi de beaucoup d’entre-eux, la difficulté à trouver des réponses à un monde de plus en plus complexe, doit les amener à se poser des questions sur leur actes politiques.