Ce mariage me stresse plus qu’autre chose.
Comme je souffre d’un cruel manque d’expérience dans la préparation de mariage, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je suis censée m’y prendre commencer. Et la pression, elle, ne se fait pas attendre : non seulement le mariage apparaît comme un excellent prétexte pour claquer en quelques heures plusieurs mois de salaire (coût moyen d’un mariage selon l’INSEE : 11 800 €), mais le rapport qualité / prix de ces fugaces moments doit aussi être au rendez-vous. Selon les magazines / prestataires / salons du jour J et autres industriels de l’engagement, gare à vous, future mariée, si cette journée n’est pas au moins « le plus beau jour de votre vie ». Vous en serez tenue personnellement responsable.
Au bout de quinze jours d’intenses rongements d’ongles sur fond de culpabilité (tant d’inaction, un phénomène rare et mal vécu par Eva in London), je me lance dans un exercice apparemment simple : la liste d’invités. Ben oui, si je n’arrive même pas à plancher sur une simple liste – le B.A-BA, me susurrent Jolie Mariée et Un mariage réussi – l’affaire est sans doute bien mal engagée. Ce qui se confirme quand, après trois brouillons, je soumets fièrement à mes parents une tentative présentable :
- Et Prince, il compte venir, à ce mariage ? Parce qu’il n’invite pas beaucoup de monde, commence par remarquer mon père d’un ton égal.
De fait, avec 45 personnes de mon côté, une petite quinzaine du côté de Prince, c’est déséquilibré pour le moins. Heureusement (?), ma mère ne me laisse guère le temps de répondre :
- Tu as oublié ta marraine, relève-t-elle, légèrement surprise. Et pour cause : c’est elle qui l’a choisie.
- Et ton parrain, s’empresse d’ajouter mon père, dont l’agacement devient perceptible. Et pour cause : c’est lui qui l’a choisi.
Me revoici donc au point de départ, avec pour seuls moyens les sentencieuses injonctions de Jolie Mariée et mon courage… soit un équipement largement insuffisant. Pour la première fois depuis mon arrivée en Angleterre, j’envisage très sérieusement de recourir à l’arme fatale des British : to call in sick, se faire porter pâle.
Car ici, rien de plus simple que de sécher le boulot. Et comme la glande constitue l’un de mes sujets de prédilection, je me suis immédiatement intéressée à cet étrange phénomène : certains jours – et plus particulièrement les lendemains de sortie au pub, donc le vendredi, mais le lundi, mardi, mercredi et jeudi ça marche aussi – certains de mes collègues n’apparaissent tout simplement pas au boulot.
D’après les guidelines des ressources humaines, tout SuperConsultant malade doit appeler son supérieur hiérarchique avant 10h. Pour pouvoir faire une grasse mat’ avant de s’offrir le fameux English breakfast dont les vertus sur la gueule de bois ne sont plus à démontrer ? Ou pour être sûr que le dit supérieur hiérarchique soit arrivé au travail, car lui aussi, selon toute probabilité, a trouvé le réveil difficile après une soirée agitée ? Certains parent à cette question en envoyant un email laconique en rentrant du pub ; une technique qui ne semble fonctionner qu’auprès de chefs singulièrement accommodants.
Quoiqu’il en soit, je suis quelque peu effarée, tant devant la fréquence des « congés maladie » de mes collègues que devant le mystère qui les entoure :
- Qu’est-ce qu’il a, James / Mark / Alessandro / Meindert ? demandé-je au début, pleine de sollicitation envers mes pauvres collaborateurs.
- Oh, je ne sais pas… un rhume / une migraine / mal au ventre / pas envie de bosser aujourd’hui, je crois, me répond-on invariablement en haussant les épaules.
Mais le plus déconcertant, pour moi, c’est qu’il ne s’agit pas d’une coutume propre à SuperConseil. Lorsque je confie mon étonnement à mon amie Claire, londonienne comme moi, elle s’esclaffe :
- Congé maladie, congé maladie, mais c’est un truc de Français, ça ! Ici, si les Anglais attendaient un RDV chez le médecin (apparemment, cela peut prendre longtemps, très longtemps…) pour leur signer leur arrêt de travail, ils ne s’en sortiraient pas. Et puis, arrêt de travail ou pas, qu’ils aient la gueule de bois / une grippe / une gastro-entérite / une angine, le médecin leur répond immanquablement « Have a cup of tea et reposez-vous, ça ira mieux d’ici deux ou trois jours ! ». Du coup, c’est ce qu’ils font : ils se passent de visite médicale et restent tranquillement au lit en attendant des jours meilleurs, d’autant plus sereins qu’ils savent que c’est précisément le conseil que le médecin leur aurait donné ! On dira ce qu’on voudra, mais leur système a le mérite d’être cohérent.
Voilà qui donne matière à réflexion.
- Mais attends, il y a des abus, quand même ? Et le contrôle de la Sécu pour vérifier que tu es bien au fond de ton lit à gémir, et pas en train de faire les boutiques ?
Claire ne relève pas ce vestige de réflexe français (« Et le bon vieux contrôle de l’Etat, dans tout ça ? ») et répond, gênée :
- En même temps, difficile de le leur reprocher : dans ma boîte (Claire travaille chez un concurrent indirect de SuperConseil), on nous donne d’office huit jours de sick leave (congé maladie ?) à utiliser sur l’année… alors, si tu as une santé de fer, autant en profiter !
- Et si tu es vraiment malade et que les huit jours n’y suffisent pas ?
- Ben… tant pis pour toi.
Enfin, comme chez SuperConseil et dans bien d’autres entreprises britanniques, le nombre de jours autorisés semble être directement lié à la crédulité patience du supérieur hiérarchique, le congé maladie à l’anglaise a encore de beaux jours devant lui… et moi, une occasion inespérée de retravailler ma liste d’invités pour éviter de nouveaux incidents diplomatiques.