Roissy débordé par les demandeurs d'asile
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Une illustration concrète des « anomalie » ou plutôt des scandales si souvent dénoncés en France par les inspections des ONG et du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Un article de Catherine Coroller
Pas de lits, mais des sièges métalliques avec accoudoirs. Pas de douches, seulement des lavabos. Pas d'intimité, puisque 80 hommes et femmes y sont parqués ensemble. Pas de calme, non plus, puisque les annonces des décollages et atterrissages des avions y sont continuellement diffusées. Pas de téléphone pour prévenir un avocat ou une association. Où cela se passe-t-il ? En France, à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Ces détails, y compris la "forte odeur corporelle [qui] règn[e] dans les lieux", ont été consignés par Jérôme Hayem, vice-président du tribunal de grande instance de Bobigny, dans un procès-verbal dont Libération a eu connaissance.
Le magistrat, alerté par l'avocat de l'une des personnes ainsi retenues - essentiellement des Somaliens, Irakiens et Tchétchènes -, s'est rendu lui-même "salle B33, située au terminal B de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle". Selon ses constatations, "chaque jour, les étrangers reçoivent un kit d'hygiène et une serviette". Deux repas froids et un petit-déjeuner leur sont également servis."Un sac repas nous a été remis. Il comportait une bouteille d'eau de 50 cl, une compote, un sachet de chips et une salade composée. Pour le petit déjeuner, l'administration nous a informé qu'il se compose d'un jus de fruit et d'un croissant", poursuit le magistrat dans son procès-verbal.
Si le nombre des Somaliens et des Irakiens se présentant à la frontière française est à peu près constant, celui des Tchétchènes a connu, depuis la mi-décembre, une brusque accélération. Or, le gouvernement français qui faisait preuve jusque-là d'une relative mansuétude à leur égard, les laissant entrer sur le territoire et formuler ensuite leur demande d'asile, "semble avoir subitement changé de position, dénonce l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) . Il rejette désormais un grand nombre des demandes d'admission, préparant le refoulement de Tchétchènes se trouvant actuellement à Roissy". Hier, la Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs a examiné la demande d'un Tchétchène qui contestait son refoulement.
Résultat, les capacités d'accueil de la zone d'attente des personnes en instance (Zapi) de Roissy - où sont hébergées les personnes non admises en attendant que leur situation administrative soit examinée - étant saturées, la préfecture a réquisitionné cette salle d'embarquement. Les étrangers peuvent y être maintenus quarante-huit heures à l'issue desquelles ils doivent être présentés à un juge, qui décide alors de leur maintien en détention ou de leur remise en liberté.
A plusieurs reprises depuis la fin décembre, l'Anafé a dénoncé cette situation. Vendredi, le sénateur Jean Desessard (Verts) avait interpellé la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, sur les conditions " lamentables" de rétention d'étrangers dans cette zone d'attente provisoire.
Dans leur malheur, certains de ces Somaliens, Irakiens et Tchétchènes ont eu de la chance. Vendredi, le juge Hayem a fait droit aux arguments des avocats sur les "locaux indignes", et remis en liberté tous les étrangers qui lui ont été présentés.
Hier, 70 personnes étaient encore parquées dans la salle d'embarquement. Le même jour, la préfecture de Seine-Saint-Denis a annoncé la réquisition de 1 600 m2 de locaux appartenant à Aéroports de Paris (ADP) afin de procéder à une extension de la zone d'attente. "C'est une grande zone de vie et de repos où l'on a installé 200 lits. Les étrangers non admis auront le droit à des kits de toilettage et de couchage, et à des plateaux-repas. Il y aura un système de navette entre cette extension et la Zapi pour les associations d'aide aux étrangers", a affirmé Patrick Espagnol, sous-préfet de Roissy. Les occupants de la salle d'embarquement devaient y être transférés aujourd'hui au plus tard.
Catherine Coroller