L’Hérétique évoque dans un billet récent, le projet, énoncé par Sarkozy lors de son show télévisuel de Mardi soir, d’une réforme de la fiscalité du patrimoine. Rappelons, qu’à cette occasion, Sarko s'est dit prêt à sacrifier son sacro-saint bouclier fiscal en échange d’une suppression de l’ISF (même s’il ne l’a pas dit explicitement) et d’une augmentation de l’imposition sur les revenus du patrimoine.
Comme l’Hérétique et
Xerbias, compte tenu des données du problème :
Suppression du bouclier fiscal = + 700 millions d’euros dans les caisses de
l’Etat surendetté *
Suppression de l’ISF = - 3,928 milliards pour les caisses de l’Etat surendetté
*
…il y a de quoi être « sceptique sur la faisabilité fiscale et
budgétaire » et je rajouterais politique « de la chose» !
D’autant plus, que « la chose » est politiquement extrêmement
sensible et qu’elle interviendrait en pleine campagne présidentielle
!
En tout état de cause, il apparait évident qu’on ne peut pas se contenter
d’échanger le bouclier fiscal contre l’ISF, l’échange n’est pas équitable et ne
peut-être admis ni politiquement ni budgétairement. La remise en cause totale
ou partielle de nos 2 compères ne peut donc s’envisager que dans le cadre d’une
réforme plus large de la fiscalité du patrimoine.
C’est donc autour de ce triptyque : bouclier fiscal, ISF et fiscalité
sur les revenus du patrimoine, que la délicate réflexion devra être
menée.
Et comme, ce n’est pas avec les propos de Sarko que l’on peut se faire la
moindre idée sur ce qui sera proposé, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu
le rapport de
Philipe Marini qui, en tant que rapporteur général du budget au Sénat,
expose ses pistes de réflexion sur ce que pourrait-être une réforme de la
fiscalité du patrimoine.
Je précise que ces propositions ne constituent selon son auteur lui-même que
« des pistes envisageables ».
Je vous en fais une rapide synthèse:
Sous le chapitre, une situation actuelle insatisfaisante, il commence par
renvoyer dos à dos, l’ISF et le bouclier fiscal rappelant leurs défauts
respectifs.
L’ISF est accusé d’être inquisitorial, « déconnecté du revenu de ses
redevables », et donc « au caractère potentiellement confiscatoire
».
Pour autant, même si Marini considère sa disparition comme souhaitable, il
admet que politiquement elle serait pour le moins délicate: « le
pragmatisme commande de ne pas abroger un impôt aussi symbolique que l'ISF sans
disposer d'une pleine légitimité politique. »…pas faux Monsieur Marini,
pas faux !
Le bouclier fiscal, quand à lui, a été créé par Villepin afin justement de
limiter le côté confiscatoire de l’ISF. Marini le présente comme complexe dans
ses modalités et relativement inefficace puisqu’il n’a pas permis de réduire le
nombre d’exilés fiscaux ni d’en augmenter sensiblement le rapatriement. De
plus, alors que sa mise en place n’avait pas soulevé grandes protestations, le
moins que l’on puisse dire c’est que sa perception dans l’opinion s’est pour le
moins dégradée avec la crise économique et budgétaire.
Ainsi, et même si Marini en admet la justification, il préconise la
suppression du bouclier fiscal considérant, avec un certain bon sens, que c'est
« la construction même des impôts qui doit leur assurer un caractère
non confiscatoire, au lieu d'un mécanisme correctif intervenant en bout de
course et pouvant faussement donner l'impression d'un « cadeau » fait
à certains contribuables ».
En conséquence, de tout cela, il suggère les mesures suivantes :
Supprimer le bouclier fiscal pour un gain estimé à 700 millions
d’euros
Garder l’ISF en le réaménageant pour un cout total estimé à 2 milliards
d’euros. Ce réaménagement consisterait à :
- Augmenter l’abattement sur la valeur de la résidence principale qui
passerait de 30 à 50 % pour un cout estimé à 272 millions d’euros
- Supprimer la première tranche du barème ce qui porterait le seuil d'entrée
dans l'ISF à 1 290 000 euros, pour un cout estimé à 904 millions
d’euros
- Diminuer le taux d’imposition d’environ 20%, pour un cout estimé à 680
millions d’euros
- Supprimer le « plafonnement du plafonnement » de l'ISF (institué
par le Gouvernement Juppé) pour revenir au dispositif d'origine mis en place
par le Gouvernement Rocard, qui prévoyait un plafonnement au taux de 70 % (la
mécanique est décrite dans le rapport), pour un cout estimé à 205 millions
d’euros
Enfin, parallèlement, et puisqu’il faut compenser la différence entre les 2
milliards « perdus » et les 700 millions « gagnés », il
préconise d’obtenir des ressources supplémentaires qui proviendraient
principalement de la création d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le
revenu au-delà de 100 000 euros de revenu imposable pour un gain estimé à 1
milliard d’euros.
Le reliquat pouvant être obtenu par une nouvelle majoration des plus-values
mobilières et immobilières ( + 347 millions d’euros) ou la suppression de la
déductibilité de la CSG sur les revenus du patrimoine (+ 673 millions d’euros)
voire même par une « légère » (pourquoi légère ?) majoration des
droits de succession pour un gain non estimé.
Personnellement, tout cela me convient assez bien, compte tenu du contexte
budgétaire et politique, cette proposition a le mérite d’allier pragmatisme et
cohérence.
On se retrouverait avec un ISF allégé, moins confiscatoire, et qui exclurait
tous ceux dont le patrimoine a été dopé par la hausse de l’immobilier sans
avoir nécessairement les revenus correspondants.
Du coup, le bouclier fiscal ne se justifiant plus, il peut être
supprimé.
Malgré tout, afin de ne pas donner l'impression de "faire un cadeau aux
riches", l’aspect redistributif de l’ISF serait préservé ainsi que la
neutralité budgétaire de l’opération, grâce à une nouvelle tranche d’impôt sur
le revenu destinée aux revenus suffisamment conséquents pour qu’ils ne puissent
plus vraiment être considérés comme des revenus du travail.
Je regrette néanmoins qu'un alourdissement conséquent de l'impôt sur les
successions (au dessus d'un seuil), n'ait pas été envisagé. Alourdissement qui
serait accompagné d'incitations aux donations précoces à ces enfants ou à des
œuvres ou fondations dûment répertoriées. L'idée étant de faciliter un
rééquilibrage intergénérationnel en limitant la reproduction des
inégalités.
Outre ce point précis, cette proposition de réforme n’est pas nécessairement
idéale, notamment parce qu’elle devrait s’inscrire dans une revue plus large du
système fiscal français et dans un processus d’allégement des prélèvements
obligatoires.
Pour autant, en attendant le grand soir fiscal et que la France devienne
riche, « les pistes » envisagées par Marini doivent permettre de se
sortir rapidement de cette situation stupide qui pollue le débat politique
français depuis 3 ans. Pour compenser certaines tares d’un impôt mal conçu, on
a créé un système considéré à tort ou à raison comme injuste et qui
contrairement à ce que pourrait laisser croire son nom, sert surtout d’arme de
destruction massive pour l’opposition.
Il est grand temps d’évacuer une bonne fois pour toute ce mauvais symbole
sans pour autant tomber dans cette facilité idéologique qui consiste à admettre
comme normal que l’Etat puisse spolier quelqu’un, fut il un gros méchant
« riche », de l’essentiel de ses revenus.
-* cf.Le rapport du Sénat rédigé par le rapporteur général du budget, Philippe Marini (consultable ici)