Magazine Culture

Le Défait, de Jean-Pascal Dubost (par Pierre Drogi)

Par Florence Trocmé

 
 
Dubost1 Le Défait est un livre qui relève paradoxalement des gestes du graveur — ou d’une démarche de graveur. J’en veux pour preuve le travail des parenthèses — par exemple p. 114 — qui retire un à un les plans et les emboîte, et la façon insistante de creuser, ou dont se creusent, le texte et la mémoire. Avec pour conséquence que la lecture elle aussi se creuse à mesure… La façon également de travailler “ en noir et blanc ”, même si cette expression doit être comprise ici comme une métaphore, dans l’acharnement et la rature. 
Plus “ profondément ” encore (et la notion de profondeur va bien avec l’évocation de la gravure), Le Défait tente un travail sur la mémoire où fantastique et autobiographie collaborent - travaillent littéralement de pair. Attention : une autobiographie fictive, travaillée dans la distance. Ombre attachée, ombre portée. Œuvre au noir. 
La conscience y est perçue d’emblée dans son essence (ou sa dimension) fantastique. Non pas qu’on surajoute à la conscience une dimension qui lui serait au départ étrangère ou qu’on plaque une dimension fantastique venue du dehors (ou de la littérature) sur l’évocation des manifestations de la conscience. Il ne s’agit pas de créer artificiellement, par bouture, une conscience à laquelle on adjoindrait, pour faire chic, une coloration ou un décor. Pas du tout : c’est la conscience même, la conscience nue, en tant qu’elle est conscience, pardon des deux pléonasmes qui suivent, qui par nature ou par essence se trouve être de nature ou d’essence fantastique. Et elle est ici saisie de cette façon. 
Cette dimension se manifeste superficiellement par un bestiaire (le renard), ou des monstres qui ne sont qu’une façon de dire. Elle se manifeste surtout par le mouvement de vertige consenti, de creusement (distancié) par lequel un narrateur accompagne de son ombre cet “ il ” qui lui sert de personnage et tache de détacher des plans qui permettent un regard. 
 
“ Voilà longtemps que le travaillait l’idée d’affronter une certaine solitude. 
Sans avoir jamais décidé quel en serait le théâtre, une île, un phare, la montagne, la forêt ou un monastère, chacune de ses lectures relatant une expérience d’ermite variait son désir, se défiant cependant de tout romantisme. 
Un chagrin a mis en branle le vieux fantasme de revenir dans cette ferme hantée de bruits et de bonheurs et d’y passer quelques semaines seul ; l’a imposée comme le lieu recherché sans être cherché. ” 
 
Tel est l’argument, avec des mots à prendre tous au sérieux (ils seront tous examinés, traversés et soupesés, mis à l’épreuve) : “ expérience ”, c’en est une et c’est bien de cela qu’il s’agit, pour “ il ”, pour le narrateur, pour le lecteur ; et “ désir ”, défiance, “ bruits ” et “ bonheurs ”… 
Une expérience d’ermite d’ailleurs nombreux (autant qu’Antoine au désert ?) pour laquelle le lecteur accompagne “ le ”, “ il ”, et l’écriture, conjointement, dans un va-et-vient qui oriente la conscience et la met à l’épreuve. La ferme sera ainsi tout à la fois “ une île, un phare, la montagne, la forêt ou un monastère ”, tour à tour et “ pour de vrai ”. 
Tout de ce qui est dit y est à la fois métaphore et expérience : car, de fait, l’une et l’autre sont indissociables pour qui mène un travail d’écriture ou de gravure griffé dans la peau même du papier. C’est une des thèses implicites de ce livre, une de celles qui emportent l’adhésion, efficace et effective, du lecteur. 
C’est ce qui fait de ce livre un livre bienfaisant et grave… 
 
La lecture y est conçue comme cette même expérience d’ermite… nombreux, et elle l’est en effet ! 
 
Un homme se défait. Un homme se détruit ? Oui et non, pas tout à fait ; il compose, d’abord avec lui-même puis avec le récit auquel, avec un “ je ”, “ on ” tente de donner forme. Œuvre au noir, certes : destruction d’où sourd une lumière. 
On fait de la défaçon ce qui fait le récit, on l’efface en même temps. Un homme se refait dans le dos de celui qui se défait, en écrivant cette défaçon. 
“ L’homme qui était refait ” : titre de Poe ! Pas ici dans le sens trivial de trompé, vilipendé en conséquence, mis capot ; ni dans celui du héros éponyme de Poe, entièrement constitué de pièces de rechange. 
Dans cet autre sens que se défaisant, le “ Défait ” du livre accède (enfin ?) à une, à son enfance comme à un lieu de réfraction (ou d’écho) qui rend à “ soi ”, pour le dire mal et vite. Quelque chose comme l’étincelle de la conscience
 
 
Pierre Drogi 
 
Jean-Pascal Dubost, Le Défait, éditions Champ Vallon, Seyssel, 2010 
 
 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazines