La saison de baseball vient de se terminer par la victoire des San Francico Giants contre les Texas Rangers. Arrive maintenant une longue période, insoutenable pour les fans de baseball, que l’on appelle communément l’hiver. En attendant le printemps, je vous propose une série d’articles sur quelques grands moments de baseball, magiques pour certains, tragiques pour d’autres.
The Merkle’s Boner
Pour ce premier épisode, nous allons partir plus d’un siècle en arrière, au tout début de l’automne 1908, au mythique Polo Grounds de New York, pour un des matchs les plus controversés de l’histoire du baseball…
Le contexte
Cette saison nous offre une rude bataille dans la ligue Nationale. Trois équipes, les meilleures de ce début de siècle, se tiennent en 1.5 matchs : les Pirates de Pittsburgh (champions en 1901, 1902 et 1903), les New York Giants (situés de nos jours à San Francisco), champions de la ligue en 1904 et 1905 et les Chicago Cubs (champions en 1906 et 1907). Rappelons qu’à cette époque, il n’existait qu’une seule poule dans chaque ligue (Américaine et Nationale) et les phases finales n’existait pas telles que nous les connaissons maintenant : le premier de la Nationale rencontre le premier de l’Américaine pour les World Series.
Le match
Le 23 septembre, les Giants accueillent les Cubs au Polo Grounds, pour un match crucial (les deux équipes se partagent la première place). C’est la dernière rencontre d’une série de trois, les deux premières ont été remporté par Chicago. Fred Tenney, le joueur de première base habituel des Giants, se réveille avec un lumbago, ce qui oblige John McGraw, légende du baseball et gérant de l’équipe, à faire appel à Fred Merkle. Merkle a 19 ans, c’est le plus jeune joueur de la ligue Nationale ; il a passé la plupart de la saison sur le banc, jouant seulement 38 matchs en remplacement de Tenney.
The Merkle’s Boner (la gaffe de Merkle)
Le premier point du match est marqué par les Cubs en quatrième manche, après un inside-the-park home run (une frappe qui permet au batteur de traverser les trois bases et de revenir au marbre, c’est une variante du traditionnel home-run dans les tribunes). Les Giants égalisent en sixième, le score n’évoluant plus jusqu’à la fin de la huitième. La neuvième manche ne permet pas aux Cubs de prendre l’avantage, vient le dernier tour au bâton des Giants.
Le premier batteur, le champ centre Cy Seymour, se fait éliminer en 2è base. Vient ensuite le 3è base Art Devlin, qui frappe un simple. Le champ gauche Moose McCornick frappe ensuite une balle vers la seconde base, qui élimine Devlin sur un jeu forcé mais un slide agressif de ce dernier gêne le défenseur et permet d’éviter le double-jeu, McCornick est sauf en première. Vient ensuite le tour de Fred Merkle, qui frappe une balle champ droit et permet à McCornick de progresser jusqu’en troisième base, Merkle s’arrête en première.
L’arrêt-court Al Bridwell est le prochain batteur. Sur le premier lancer de Jack Pfiester, il s’élance et frappe une balle champ centre, qui permet à McCornick de marquer le point mettant, à priori, fin au match. Merkle, courant vers la deuxième base et voyant la foule arriver sur le terrain, décide de faire demi-tour et de revenir sur le banc pour fêter la victoire…sans avoir touché cette fameuse deuxième base. Mais la règle est claire (règle 4.09 pour les curieux) : un point n’est pas marqué si le troisième retrait est réalisé sur un jeu forcé.
Remarque : un jeu forcé est une situation dans laquelle un joueur n’a plus le droit de se trouver sur une base, car un autre joueur est forcé de s’y diriger. Dans la situation présentée, Devlin était obligé de se rendre en 2è base, McCornick se dirigeant en 1ère après sa frappe. L’élimination s’effectue comme pour un retrait classique en 1ère base, en réceptionnant la balle avec le pied sur la base avant que le coureur ne la touche. De la même manière, Merkle était obligé de se rendre en 2è, Bridwell se dirigeant vers la 1ère après sa frappe, et de la toucher.
La controverse
A cette époque, cette règle était cependant rarement appliquée si c’est le point victorieux qui est marqué (walk-off hit), ce qui est le cas car nous étions en dernière manche. Johny Evers, le deuxième base des Cubs, ne l’entend pas de cette oreille. Alors que la foule envahi le terrain, il hurle au champ centre Solly Hofman d’aller chercher la balle et de la lui lancer. Que s’est-il passé ensuite ? On ne le saura sans doute jamais…
Des journalistes présents au Polo Grounds affirment que Merkle, ayant compris la situation, se précipita vers la deuxième base et la toucha avant que Evers ne réceptionne la balle ; ils ajoutèrent que dans tous les cas, la balle utilisée n’était pas celle du match, mais une autre traînant sur le terrain. La balle en question aurait été récupéré par un des lanceurs des Giants, Joe McGannity, qui l’aurait lancé dans les tribunes du champ gauche.
D’autres journalistes de Chicago affirmèrent de leur côté que la balle avait été récupéré par Rube Kroh, un lanceur des Cubs, qui l’aurait lancé à l’arrêt court Tinker, qui lui lui-même l’aurait lancé à Evers. Evers l’aurait réceptionné avant que Merkle ne touche la base, provoquant le troisième retrait et la fin du match.
Quoi qu’il en soit, la décision appartient aux arbitres. Il étaient deux à officier ce jour (de nos jours il y a quatre arbitres, six lors des phases finales) : Bob Emslie en arbitre de base, Hank O’Day en arbitre de marbre. Emslie n’ayant pas vu l’action, il appartint à O’Day de prendre une décision. Après plusieurs minutes de discussion, O’Day déclara Merkle « out » sur un jeu forcé, annulant de fait le point victorieux. Etant donné la foule, le match ne put continuer et fut déclaré nul et à rejouer.
Un match à rejouer
Le 2 octobre, Harry Pulliam, le président de la ligue Nationale, rejetta l’appel des Cubs, qui réclamaient match gagné par forfait, et celui des Giants, qui estimaient avoir gagné le match. La saison se termina, Giants, Pirates et Cubs se tirant la bourre sur les quelques matchs restants. A la fin de la saison, New-York et Chicago finissèrent avec le même bilan de 98 victoires et 55 défaites, nécessitant un ultime match de barrage, afin de déterminer l’équipe championne et donc l’équipe qui représentera la ligue Nationale lors de la Série Mondiale. Le match se termina par une victoire des Cubs, 4-2. Ils affrontèrent les Tigers de Detroit de Ty Cobb en Série Mondiale, qu’ils remportèrent 4 victoire à 1. C’est la dernière victoire en date des Cubs dans la grande classique automnale du baseball…
Fred Merkle après le 23 septembre
Le NY Times n’y alla de main morte avec Merkle, « The Bonehead » qualifiant sa gaffe de « stupide et condamnable ». Il finira la saison 1909 avec une moyenne au bâton de 0.191, sa plus basse en carrière. John McGraw, qui n’en a jamais voulu à Merkle, continue à lui faire confiance. Il finit la saison 1910 avec 70 points marqués et une moyenne au bâton de 0.292. Il devint ensuite titulaire en première base, avant de poursuivre sa carrière jusqu’en 1926, aux Giants puis aux Dodgers et enfin chez…les Cubs. On ne revit plus Merkle dans un stade de baseball jusqu’en 1950, à l’occasion d’un match entre anciens joueurs, au Polo Grounds. Il reçut ce jour-ci une ovation.
Merkle mourut le 2 mars 1956, à l’âge de 67 ans, à Daytona Beach, Floride.