Témoignage
Le Scaphandre et le Papillon
Livre
Un LIS ou Locking Syndrôme, j'ai eu l'occasion d'en voir un en stage... c'est troublant. Ca effrait un peu quand on s'y plonge quelques secondes en sortant du stage, quand on sort de la bulle professionnelle et qu'on essaye de se mettre à sa place. On revoit nos actes, on revoit notre comportement, et on se dit " qu'est ce qui se passe dans sa tête à lui qui fonctionne parfaitement quand il voit cela ? "
Troublant.
Dérangeant aussi.
Mon patient avait l'usage de son corps malgré ce double AVC avec atteinte hémorragique du tronc basilliaire, alors j'ignore si médicalement on peut parler de LIS, d'après ma référente c'était le cas.
En réeducation, ce patient que l'on prenait deux fois par jour, était mis au Stand Up ( la verticalisation du corps pour une machine ) et on travaillait le redressement du corps, ou les appuis au sol sur plan de Bobalt ( sorte de grande table très confortable sur laquelle on peut travailler les transferts, les retournements ). Le langage consistait en un doigt timidement pointé ( la motricité n'étant pas complète ) sur une feuille où un alphabet demeurait. C'était presque un jeu de devoir identifier les mots avant la fin pour épargner au patient la fatigue ou l'énervement qu'il peut y avoir à vouloir exprimer ses pensées.
Dans mes souvenirs, je revois surtout son visage aux expressions enfantines, un peu celles que l'on trouve chez certains déficients mentaux. Les expressions très exagérées, et très souriantes.
Pourtant, quand il devait remonter dans sa chambre, cela ne devait pas être la même chose. Ne pas pouvoir lire le courrier poser sur son lit, le tenir dans ses mains sans qu'il tombe plusieurs fois, avoir sous ses yeux en permanence les dessins de ses enfants, les cartes de soutien...
Qu'est ce qu'on se dit dans ces cas là ?
Chaque progrès était consigné et on insistait énormément dessus en kiné ! Sans exagérer non plus. Si progrès y avait on le disait, et on essayait de lui convenir. Mais souvent, il nous répondait que son objectif ce n'était pas cela.... Toute la différence entre les attentes du kiné et celles du patient.
Le Scaphandre et le Papillon, le film j'ai du le voir alors que je me trouvais soit en médecine, soit en K1. C'était encore une idée de Hachiko, de voir un film comme cela... Elle a des goûts totalement étrange et souvent cinéma ne rime pas avec détente.
On est sorti de la salle avec une chappe de plomb sur la tête. Toutes deux, je crois qu'on ignorait que ca existait, ou alors pour nous ca a toujours été le pire cauchemar de l'humanité, ou alors le " légume" comme on appelle cela. Les situations où l'on parlait d'euthanasie pendant les cours d'éthique où on se rebellait contre l'idée qu'on puisse ne pas laisser à une personne le droit de disposer de son propre corps.
Encore aujourd'hui, y a des fois, surtout après un passage en maison de retraite médicalisée où ce débat est revenu sur le tapis... Mais tu te tais, tu te caches. Car aucun soignant ne doit exprimer de tels désirs. Déjà par respect envers le patient, et par pragmatisme. Et probablement aussi, parce que quand un patient vous dit qu'il veut en finir et qu'il faut l'y aider... arg. Plus jamais cela.
Souvent, c'est des patients qui doivent vivre parce que justement ils sont vivants, en bon état et qu'il faut du temps juste pour que blessures physiques et morales s'appaisent.
Le livre est composé de 140 pages écrit en gros caractères. On s'attend un instant à ce que ce soit une prose déplaisante, ou trop simplette. Et en fait, pas du tout, il y a beaucoup, de poésie, de sensibilité, de passages touchants... C'est magnifiquement écrit par l'auteur lui même à l'aide de l'alphabet suivant :
ESARINTULOMDPCFBVHGJQZYXKW
Un magnifique livre qui permet aussi à chaque soignant de se remettre en question, et les aides soignants et les kinés sont en première ligne. Lol Et c'est pas toujours pour des compliments... mais au contraire plus pour une remise en question des salles communes de réeducation.
Ainsi l'auteur en un petit livre tente d'écrire ce qui lui est arrivé sans y parvenir, avant le dernier chapitre. Il essaye d'en parler.
Ce témoignage fait aussi réfléchir par sa chute brutale quand on apprend que l'accident a eu lieu le 8 décembre 1995 et que JD Bauby est décédé le 9 mars 1997.