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Le story-telling post-remaniement continue. Le Karachigate aussi.

Publié le 18 novembre 2010 par Letombe
Le story-telling post-remaniement continue. Le Karachigate aussi.

L'intervention télévisée de Nicolas Sarkozy mardi soir a fait chou blanc. En audience, le show a été suivi par 12 millions de téléspectateurs, soit une part de marché de 45%. Un score en demi-teinte si on le compare à sa précédente intervention multi-diffusée, en février 2009 après les manifestations sociales de janvier (57%). Mercredi matin, Sarkozy devait poser pour la traditionnelle photographie du nouveau gouvernement, avant de régaler les députés UMP à déjeuner. Il fallait masser les troupes, y compris centristes. Eric Woerth n'était plus là, mais une autre affaire, directement issue d'une ancienne guerre des droites, est resurgie, à la faveur de deux témoignages : le Karachigate.
Après une intervention ratée...
La première salve de commentaires sur cette (trop) longue intervention présidentielle relayait surtout le verbatim concocté à l'Elysée : « le président a dressé la feuille de route du nouveau gouvernement ». On a aussi noté combien Sarkozy s'était forcé à paraître modeste, ouvert, calme et posé. Mais sur le fond de ses propos, nombreux sont ceux qui sont restés interloqués.
Souvent sur la défensive, Sarkozy a beaucoup parlé de lui, et très peu de la France.  En une heure trente d'entretien, il n'a quasiment pas évoqué les préoccupations majeures du pays. Il a promis la création d'une cinquième branche à la Sécurité sociale, pour la dépendance, et une réforme fiscale dangereuse. Mais rien sur le chômage (des jeunes et des moins jeunes), sur l'insécurité, la maîtrise des comptes publics, les difficultés de logement, ou la protection de l'environnement. Le « Sarkopipo-show » fut à cet égard exemplaire. Même aux centristes qui réclamaient une séquence plus sociale, Sarkozy n'a pas eu un mot d'attention. Tout juste s'est-il contenté d'un peu de pommade à l'égard de Jean-Louis Borloo (qu'il rencontrera jeudi midi).
Dans quel monde vit-il ? Quand il cite une statistique du moment, il choisit les maigres annonces de créations d'emplois privés au troisième trimestre, mais pas la dernière alerte de la Défenseure des Enfants sur la précarisation des mineurs. Sa réforme de la fiscalité, connue depuis l'été dernier, est une belle diversion pour évacuer le bouclier fiscal devenu boulet électoral. Le lendemain, Christine Lagarde a coupé l'herbe sous le pied de son collègue Baroin, pourtant en charge du dossier, en confirmant le lancement du chantier sur LCI.
Sarkozy, mardi, fut peu contredit sur des sujets pourtant majeurs et des mensonges évidents : la réforme des retraites ne sauve pas le système, elle ne rééquilibre pas les finances des régimes à hauteur de 30 ou 40 milliards d'euros (Sarkozy a lâché ces deux chiffres). En matière de fiscalité, ses références avec l'Allemagne et l'Espagne étaient tout aussi approximatives : l'ISF allemand a été supprimé après une décision de la cour constitutionnelle de Karlsruhe qui limitait à 50% du revenu l’imposition totale sur le revenu et la fortune, comme le rappelait Arnaud Leparmentier. Sur les Roms, la Commission européenne a renoncé à poursuivre la France après que le gouvernement français ait décidé d'annuler une circulaire discriminatoire.
... une réunion de précampagne électorale
Mercredi matin, Nicolas Sarkozy a tenu son premier conseil des ministres avec son « nouveau » gouvernement, avant de retrouver à déjeuner les députés UMP.
L'une de ses ministres, Nora Berra, est déjà soupçonnée de conflits d'intérêt. Pharmacienne de profession, et ancienne salariée de trois laboratoires pharmaceutiques (jusqu'en 2009), la toute nouvelle ministre de la santé a pris quelques distances avec les accusations portées, preuves à l'appui, contre le médicament anti-diabétique Médiator. Pour le reste, ce premier conseil fut l'occasion de la traditionnelle photo de famille, et ... de quelques échanges de mots doux à l'égard du Monarque : « Monsieur le président, nous étions très fiers de votre intervention et j'étais, à titre personnel, très ému » a déclaré Fillon. Sarkozy a salué « avec émotion et partage de souvenirs » le retour d'Alain Juppé dans l'équipe gouvernementale. Eric Besson a noté l'émotion des nouveaux venus. Comme c'est touchant !
Parmi les quelques communications, on notera que le déficit budgétaire est ramené à 149,7 milliards d'euros pour 2010; que le projet d'installation de l'armée de l'air à Balard dans le 15ème arrondissement de Paris sera lancé, malgré les graves interrogations sur son financement ; et que Christine Lagarde a livré un bilan attendu du dernier sommet du G20 à Séoul. Toujours aucune annonce sociale à l'horizon.
Lors de la réunion électoraliste qui suivit le conseil, le président voulait rassurer ses troupes. Jean-François Copé a pris les rênes de l'UMP, sans vote ni débat, le fait du Roi. Dès mercredi s soir, Copé annonce qu'il quitte son cabinet d'avocat. Quel effort ! Martin Hirsch avait-il raison ?
A l'Elysée, toujours exagérément prévenant à l'égard de son Fillon, Sarkozy a même laissé parlé son premier ministre, pour « la première fois » a noté un participant. Le Monarque était « plus calme » et « plus posé », comme la veille à la télévision. Le Monarque voulait rassurer. Les centristes sont toujours bougons. Du beau théâtre !
Le cadeau de départ d'Eric Woerth
Il était un homme qui n'était pas là, ce mercredi au conseil des ministres. Eric Woerth était ailleurs, il va récupérer son poste de député. Comme un triste symbole, le décret autorisant le licenciement des fonctionnaires est paru au Journal Officiel ce mardi 16 novembre. Comme l'écrit notre confrère Nicolas, c'est un peu le cadeau de départ d'Eric Woerth, vingt-quatre heures après son propre licenciement du ministère du Travail.

« Le fonctionnaire dont l'emploi est susceptible d'être supprimé, en cas de restructuration d'une administration de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics administratifs prévue à l'article 44 bis de la loi du 11 janvier 1984, peut être placé en situation de réorientation professionnelle, en l'absence de possibilité de réaffectation sur un emploi correspondant à son grade. »


« La réorientation professionnelle prend fin lorsque le fonctionnaire est nommé sur un nouvel emploi ou est placé, à sa demande, dans une autre situation ou position statutaire.
Elle peut également prendre fin à l'initiative de l'administration, après avis de la commission administrative paritaire, après que le fonctionnaire a refusé successivement trois offres d'emplois dans les conditions prévues à l'article 44 quater de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. »

... mais le Karachigate repart
Au Nouvel Obs, Charles Millon a confié une jolie bombe dans l'affaire dite du Karachigate : entendu le 15 novembre par le juge Van Ruymbeke, la veille de l'intervention présidentielle, l'ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac en 1995 a confirmé « pour la première fois devant la justice », le versement de rétro-commissions dans les ventes d'armes gérées par le gouvernement Balladur en 1994 et 1995. En d'autres termes, la France a vendu des armements (en l'occurence, des sous-marins) au Pakistan, a rétribué quelques intermédiaires pour faciliter la cession, lesquels intermédiaires ont ensuite reversé à certains hommes politiques une fraction des commissions perçues. Pour mémoire, trois sous-marins avaient été vendus au Pakistan en 1994 pour 826 millions d'euros, un montant jugé faible pour une vente découragée par les services de Bercy en 1993, avant l'arrivée en fonction du gouvernement Balladur.

« En ce qui concerne le contrat pakistanais, au vu des rapports des services secrets et des analyses qui ont été effectuées par les services du ministère, on a eu l'intime conviction  qu'il y avait eu des rétrocommissions. (...)
Le président de la République (Jacques Chirac, NDLR) m'a dit, comme il l'a déclaré lors d'une conférence de presse aux alentours du 14 juillet (1995, NDLR), qu'il souhaitait une moralisation de la vie publique et politique et qu'il y avait trop de bruit autour des contrats d'armement dû à l'existence de rétro-commissions. Il m'a donc demandé de faire procéder à une vérification sur tous les contrats. »

Autre information, cette fois-ci publiée par Mediapart, Gérard-Philippe Menayas, directeur financier et administratif de la Direction des constructions navales (DCN) entre 1992 et 2008, a fait quelques révélations et confirmations au même juge :
(1) diverses sociétés écrans ont été créées (dont l'une au Luxembourg et l'autre à l'île du Man) pour faire transiter les commissions occultes versées aux intermédiaires dans la vente des sous-marins Agosta ; dont l'une d'entre elles, baptisée HEINE, était dirigée par Jean-Marie Boivin.
(2) Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, avait connaissance du montant de ces commissions, de l'identité des bénéficiaires : « le volume total des commissions était validé, contrat par contrat, par les deux ministres du budget et de la défense ». Et d'ajouter: «Puis chaque année, après paiement des commissions, je me rendais à la direction de la législation fiscale au ministère de l'économie et des finances (bureau CF3) auquel je remettais les déclarations DAS II Bis sur lesquelles je fournissais des explications orales sur la destination de ces commissions.»
(3) le système de sociétés offshore aurait été monté avec l'aval du ministère du budget de l'époque, comme l'avait déjà affirmé la police luxembourgeoise dans un précédent rapport;
(4) Le paiement des commissions occultes, d'après ce témoin, aurait transité par la chambre de compensation Clearstream.
(5) L'ancien directeur de la société HEINE s'est confié régulièrement à M. Meneyas. Selon ce dernier, Boivin a exercé un chantage auprès de divers responsables politiques français après son licenciement (« Dès 2004, M. Boivin a réclamé des sommes d'un montant croissant dans le temps et envoyait des courriers d'abord à l'entreprise, puis à des responsables de l'Etat français, voire M. Sarkozy lui-même avant qu'il ne soit président »). Boivin s'est même adressé à l'avocat associé de Nicolas Sarkozy, juste avant la présidentielle, et aurait été physiquement menacé, fin 2006, par deux anciens agents secrets, envoyés, selon Boivin, par Nicolas Sarkozy.
Après le remaniement, rien n'a changé. La nouvelle séquence politique tant promise n'est que théâtre et story-telling.

Sarkofrance


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