reprise de l'article d'Olivier Robichon, Directeur de la publication de " LA LETTRE PHARMA"
avec son aimable autorisation
La journée d’hier restera probablement à marquer d’une pierre noire dans les couloirs du laboratoire SERVIER, rue Garnier à Neuilly. Un épisode qui a probablement rappelé aux plus anciens le retrait aussi délicat que médiatiquement agité de l’ISOMERIDE, intervenu en 1997, retrait qui avait provoqué une véritable tornade médiatico-scientifico-réglementaire. C’est d’ailleurs un médicament à la structure proche de celle de l’ISOMERIDE, l’anti-diabétique MEDIATOR qui se retrouve aujourd’hui au cœur de la tempête. Comme nous vous en avons tenu informé régulièrement, plusieurs actions en justice ont été intentées par des patients souffrant de valvulopathies cardiaques souvent très invalidantes et qui estiment être des victimes du MEDIATOR.
PRESCRIPTION HORS AMM
Le produit avait été très largement prescrit par le corps médical et souvent hors AMM à des patientes à la recherche de pertes de poids. Lorsque, il y a presque un an jour pour jour, l’AFSSAPS suspend l’AMM du MEDIATOR, 300.000 français sont encore traités par ce médicament. A l’époque, deux études dont une réalisée par les laboratoires SERVIER eux-mêmes et dont l’objectif était de réévaluer le bénéfice risque du médicament semblaient attester de l’existence d’un risque potentiel d’émergence d’anomalies valvulaires. Comme a tenu à le rappeler le laboratoire SERVIER aujourd’hui, l’étude réalisée par le groupe évaluait chez 847 malades outre l’efficacité antidiabétique, l’état des valves cardiaques par une technique écho cardiographie très précise, avant et après 12 mois de traitement. Cette étude a confirmé l’efficacité de l’antidiabétique et montré la présence d’anomalies morphologiques valvulaires préexistantes, c’est à dire avant tout traitement chez 51% des malades et l’apparition d’anomalies morphologiques valvulaires chez 8 malades du groupe MEDIATOR contre 4 malades du groupe contrôle.
L’ensemble de ces données conduit donc le 26 novembre 2009 à la suspension de l’AMM. A cette époque et par mesure de précaution, l’agence recommandait aux prescripteurs un interrogatoire et un examen clinique de tous les patients ayant eu un traitement par MEDIATOR dans le passé et ce à l’occasion de leur prochaine consultation médicale. Jusque là donc, AFFSSAPS d’un côté et SERVIER de l’autre sont plutôt en ligne sur une même position. Certains reprochent aujourd’hui à l’AFSSAPS d’avoir fait preuve d’un attentisme tout particulier, notant par exemple que d’autres pays tels que l’Espagne ou l’Italie avaient suspendu en 2003 la commercialisation du produit. Il semble pourtant avéré que cette suspension avait été décidée par le laboratoire lui-même et ce pour des raisons plutôt commerciales. C’est après, et plus précisément pendant l’été 2010, que les choses dérapent et que les deux protagonistes vont se retrouver l’un contre l’autre dans des positions finalement contradictoires. L’AFSSAPS commande en effet à la CNAM, qui possède un archivage statistique des patients ayant pris du MEDIATOR et ce au cours des 4 précédentes années, une étude complémentaire pour essayer « de cerner l’impact possible de la consommation de MEDIATOR sur les hospitalisations et la mortalité à la suite de valvulopathies ». C’est sur la base de ces résultats que l’estimation tombe donc hier lundi sur le bureau de toute la presse francaise : « les analyses des experts épidiomologistes estiment qu’environ 500 décès seraient attribuables au MEDIATOR sur l’ensemble des utilisateurs du médicament depuis sa mise sur le marché en 1976, il y a 34 ans ».
EXTRAPOLATION OU SPECULATION ?
Prudente, l’AFSSAPS précise que seule une expertise clinique individuelle au cas par cas peut permettre de déterminer une imputabilité possible à l’utilisation du médicament. Les chiffres communiqués ne sont donc que des estimations d’impact. Et c’est bien là que le bât blesse ! selon le groupe, le rapport de la CNAM s’il apporte des éléments complémentaires ne remettant pas en cause les analyses initiales, procède en fait d’une extrapolation de la part des experts consultés, ceux-ci extrapolant donc un risque de décès possiblement liés à la prise de MEDIATOR. Et SERVIER de re-souligner en gras dans son communiqué de presse : « Le Groupe de Recherche Servier souligne que ces chiffres sont des hypothèses fondées sur des extrapolations ». L’argumentation du groupe est simple : « Dans la population générale, la fréquence des atteintes valvulaires cardiaques est de 2,5%. La prévalence de ces valvulopathies augmente avec l’âge et la présence de diabète.
L’étude contrôlée précédemment citée montre même la présence d’anomalies valvulaires préexistantes chez près d’un diabétique sur deux ». Pour SERVIER donc : « La simple constatation d’une valvulopathie chez un diabétique ne permet donc pas d’imputer celle-ci à un traitement médicamenteux ». Et le groupe de rester sur sa position : « Par mesure de précaution, il est conseillé aux patients d’en parler à leur médecin traitant à l’occasion de leur prochaine visite de suivi pour rechercher une éventuelle symptomatologie fonctionnelle compatible avec une valvulopathie ou un souffle à l’auscultation ».
ERREUR DE COM
Un porte-parole du groupe SERVIER, cité anonymement par le FIGARO, revient avec une autre approche sur les chiffres communiqués par le rapport de la CNAM « Depuis un an il y a eu 4 plaintes concernant le MEDIATOR. Si l’on rapporte le nombre de 500 décès au nombre de patients qui ont pris le produit sur 33 ans, on arrive à un risque de 0.005% soit 5 pour 100.000 patients traités. Un chiffre vraiment très bas même si en terme d’image de marque c’est déplaisant ». Une déclaration très peu appréciée des médias qui reprochent à ce porte parole (visiblement, Laurent SORCELLE) une tonalité par trop dédramatisante. De quoi abimer encore la réputation d’un laboratoire qui a toujours souffert dans les figures imposées de la Communication.
UN PROTOCOLE OUBLIE
A noter que de rares médias sont revenus sur un élément généralement oublié : le MEDIATOR a été prescrit par de très nombreux médecins en dehors des indications du produit et donc en dehors du protocole de prescription. Sophie ORTEGA, médecin spécialisé en diabétologie, est notamment interrogée sur ce point sur le site de Paris Match. Elle précise : « Pour prescrire le MEDIATOR il y avait un protocole à suivre : un comprimé par jour la première semaine, deux la deuxième et trois la troisième. Cette progression avait pour but d’éviter les effets secondaires comme l’inconfort digestif, l’écœurement et autres. Sauf que ce sont justement ces effets secondaires et notamment le fait de couper l’appétit qui ont conduit à certaines dérives ».
CHARGE MEDIATIQUE, EMBALLEMENT POLITIQUE
La presse du jour se saisit donc de l’information parfois sans nuance généralement bien éloignée des débats scientifiques et de la distinction entre extrapolation et évaluation. Pour les médias le constat est simple, le MEDIATOR a fait 500 morts. Il n’en fallait pas plus pour que le nouveau duo responsable des questions de santé au sein du gouvernement Xavier BERTRAND et sa Secrétaire d’Etat Nora BERRA, se saisissent définitivement du dossier et convoquent hier après-midi une conférence de presse où ils apparaissent donc pour la première fois côte à côte. Selon Xavier BERTRAND, le MEDIATOR aurait bien causé au moins 500 morts selon une estimation approximative. Jean MARIMBERT, directeur général de l’AFSSAPS qui assistait le couple ministériel est lui aussi monté au créneau pour défendre la postions de son agence : « L’existence d’un impact n’est pas douteuse, on peut tenir pour certain qu’il y a eu des décès à cause du benfluorex (la molécule du MEDIATOR) ».
Aux critiques de SERVIER qui parle donc d’extrapolation, Jean MARIMBERT rétorque : « Oui c’est une extrapolation pas une élucubration ». C’est au niveau des mesures d’accompagnement que l’on semble vouloir monter d’un cran histoire de montrer que le gouvernement veille : la CNAM va envoyer, aux patients ayant pris du MEDIATOR au moins trois mois au cours des 24 derniers mois, un courrier leur conseillant de consulter un médecin. En réalité se sont bien les patients ayant pris le MEDIATOR au moins trois mois mais au cours des 4 dernières années qui sont concernés. Seul problème : la CNAM efface ses données nominales au bout de 24 mois. Des dizaines de milliers de courriers devraient donc partir, une communication plus anonyme étant faite à destination des autres patients. Peu désireux de s’encombrer avec ces précautions, Xavier BERTRAND a choisi au cours de la conférence de presse d’y aller franco : « Je recommande à tous ceux qui ont pris du MEDIATOR de consulter leur médecin traitant ». D’autre part Xavier BERTRAND a confirmé qu’il comptait bien utiliser cet incident pour tenter d’améliorer l’alerte sanitaire notamment en utilisant les bases de données de la CNAM.
Affaire pour les uns, scandale pour les autres !
24 heures après la publication du rapport de l’AFSSAPS, c’est au tour des Laboratoires SERVIER eux mêmes de se retrouver au cœur de la tornade. Et c’est une fois encore le député de la Région Toulousaine, Gérard BAPT d’asséner les premiers crochets du droit, limite en dessous de la ceinture : « Lorsque le dossier Mediator arrive à la table de la commission de mise sur le marché de l'Afssaps, l'un des experts est le mari d'une responsable de service chez Servier. Il est établi que le laboratoire était destinataire des mails qu'échangeaient les membres de la commission », s'indigne Gérard Bapt, qui a demandé la démission de son président cet été. « A ce jour, il occupe toujours son poste et compte, depuis le 6 novembre, au nombre des récipiendaires de la Légion d'Honneur », observe l'élu qui, en l'état de l'Afssaps, ne serait pas étonné de voir surgir de nouveaux scandales sanitaires… » . Cette déclaration publiée aujourd’hui par le quotidien Régional La Dépêche tente clairement d’élargir la focale des suspicions.
D’autres supputent sur l’influence qu’une grande entreprise telle que SERVIER peut avoir lorsqu’il s’agit de décisions difficiles. Ainsi, dans le Télégramme De Brest , la question est clairement posée « Si Servier n'avait pas été un laboratoire pharmaceutique français, aurait-il pu échapper aussi longtemps au retrait de son médicament et à ses conséquences économiques? ». Pire encore, on se penche sur les réseaux du groupe et de son fondateur, « Ami proche de Nicolas Sarkozy ». Le fait qu’en son temps l’avocat Nicolas SARKOZY, ou en réalité son cabinet, ait travaillé pour SERVIER devrait permettre à certains d’en rajouter une couche sur le thème du grand complot.
Plus global, Philippe ESCANDE dans Les ECHOS, s’attaque au secteur tout entier : « Dans la pharmacie, le principe de précaution s'utilise donc à l'envers. Tant que le caractère nocif d'un produit n'est pas démontré, on continue à le vendre. Bien sûr, les médicaments les plus efficaces ont tous leur part de risque ». Il semble que l’auteur de ces lignes soit plus habitué à avaler des médicaments qu’à les produire.
Sous un titre sans nuance, « Le Mediator du Scandale », il compare même SERVIER et BP, pour conclure : « Ainsi, au XXI e siècle, pour protéger leurs ventes, des entreprises prennent encore le risque de la réputation pour elles, et de la santé pour d'autres. Troublant. Comme l'est aussi l'attitude des autorités sanitaires pas toujours très promptes à réagir. La question de l'indépendance du régulateur face aux intérêts industriels et politiques est à nouveau posée. Il est temps d'y apporter une réponse ».