Séparation maternelle et cancer du sein

Par Isabelledelyon

Je suis abonnée à la newsletter de Guerir.org, site de David Servan Schreiber. Je viens de recevoir la dernière et un thème a fait tilt en moi en le lisant : Le stress de la séparation maternelle conduit les souris à développer plus de tumeurs mammaires.
Le sous-titre précise : "Exposées à un agent cancérigène, les souris qui connaissent le stress d'être séparées de leur mère développent des cancers du sein deux fois plus rapidement que les souris qui n'ont pas connu la séparation maternelle."
Pourquoi ces propos ont trouvé résonance en moi ? Tout simplement parce que j'ai été séparée de ma mère pendant un an et mon père a été séparé de la sienne pendant 6 ans dans les mois qui ont suivi notre naissance. Évidemment que tous les orphelins ne vont pas développer un cancer mais il est bien précisé "exposés à un agent cancérigène". Autrement dit, si on a une prédisposition pour développer un cancer, si on est plus exposé que la moyenne, ce stress pourrait jouer en notre défaveur.
Je suis l'aînée. A ma naissance, mes parents travaillaient tous les deux, ma mère dans l'informatique, mon père commercial. Ils ne trouvaient personne de confiance à qui me confier ou personne ne leur semblait  à la hauteur de la tâche.  Ma grand-mère maternelle avait gardé des enfants. J'étais sa première petite fille. Forcément, elle s'est proposée et mes parents ne pouvaient pas trouver quelqu'un de plus sûr qu'elle. Le seul problème était qu'elle était aussi en banlieue parisienne mais à l'opposé d'eux, une bonne heure. Ils ont réglé ce détail en me laissant chez elle tous les dimanches soirs et en me récupérant tous les vendredis soirs. Mes parents étaient jeunes, 26 pour mon père, 24 pour ma mère. J'en ai voulu pendant des années à ma mère d'avoir été capable de m'abandonner. Lorsque j'ai eu ma fille, j'ai encore pu mieux réaliser à quoi ça correspondait exactement pour une mère de laisser son bébé sans le voir pendant 5 jours d'affilé. Je ne pouvais qu'en déduire que son amour pour moi était faible. Toute ma vie j'ai été convaincue de ce fait.
Au bout d'un an, mon père ne pouvait plus supporter cette situation et il a imposé à ma mère de me reprendre. Elle a alors arrêté de travailler et je suis revenue dans mon foyer. J'ai entendu toute ma vie qu'elle avait dû mettre un terme à sa vie professionnelle à cause de moi, de nous, de ses enfants.
Avec le recul, ayant renoué des liens avec elle depuis quelques mois, je pense qu'ils n'avaient pas de modèle autour d'eux à reproduire, qu'ils avaient dû être désemparés, qu'elle avait eu ce poste uniquement grâce à ses mérites et qu'elle devait y tenir. Certainement que ça avait dû être beaucoup plus compliqué que je ne l'imagine de faire un choix entre son travail et moi et qu'elle n'avait pas dû se le représenter ainsi. Je ne lui cherche pas d'excuses, je cherche juste à être un peu plus objective que je ne l'étais.
Toujours est-il qu'à quelques mois, j'ai été séparée de ma mère 5 jours par semaine. Ma grand-mère a su tisser des liens très forts avec moi, elle m'a apporté un amour immense que j'ai conservé toute sa vie et que je porte encore en moi. C'était toujours vers elle que je me tournais, toujours chez elle que j'allais dès que j'avais des vacances. Je ne lui trouvais que des qualités. C'est elle que j'ai perdue en premier, c'est le premier enterrement auquel j'ai assisté. Elle est morte d'un cancer du sein mais elle était âgée, elle avait 85 ans, c'était il y a 16 ans maintenant.
Et puis forcément, mon comportement, mon ressenti vis à vis de mes filles bébés reposait sur ce vécu. Personne n'aurait pu me séparer de mes filles pendant 5 jours mais en aurait été-t-il autrement si je n'avais pas été séparée de ma mère? ma vie s'est construite sur cette expérience, je ne peux pas jouer à l'effet papillon comme dans le film du même nom. J'ai refusé tout déplacement, toute formation pour ne pas être séparée une seule nuit de mes bébés. Je n'ai accepté que lorsque l'aînée avait deux ans de découcher une nuit. Ma fille s'est retrouvée recouverte de plaques rouges sur tout le corps, avec 40° de fièvre, mon mari a été obligé de la mettre sur lui, corps à corps pour arriver à la faire dormir. Tout a disparu dans les heures qui ont suivi mon retour, absolument tout. Inutile de vous dire la culpabilité que j'ai éprouvée de l'avoir laissée souffrir à ce point à cause d'un séminaire de deux jours. En même temps, est-ce que ce n'était tout simplement pas la confirmation de ce que je redoutais ? est-ce que ma fille n'a pas joué le rôle que j'attendais d'elle ? bien compliqué à démêler. Et puis ça confirmait le rôle de marâtre que je faisais jouer à ma mère, elle avait été capable de me laisser souffrir de la sorte...
Ma seconde fille a encore mieux tenu ce rôle. Je l'ai allaitée comme l'aînée. J'ai essayé au début de lui donner le biberon avec mon lait pour m'assurer qu'elle le prenait, elle a tout bu. J'ai laissé tomber ce biberon pendant mon congé maternité allongé de quelques mois de congés pour un allaitement exclusif. Alors qu'elle était âgée de 5 mois, j'ai retenté le biberon, elle n'a jamais voulu le prendre. Si je forçais, elle me regardait droit dans les yeux et recrachait tout ce qui avait coulé dans sa bouche. J'ai tenté la soft cup, même résultat, le verre idem. Elle voulait mon sein et rien d'autre. J'ai refusé de la mettre au sein pour qu'elle accepte mon lait dans un récipient. J'ai tenu 7 heures, j'ai craqué et je lui ai donné satisfaction. Elle n'avait même pas pleuré, elle était juste encore plus tenace que moi. Mais je devais reprendre mon travail. J'étais désespérée. Le médecin a accepté de me prolonger d'un mois, mes congés d'été venaient ensuite. Je n'ai eu à la confier à une nounou qu'à 7 mois et demi. Elle mangeait alors des purées puisqu'elle refusait toujours de boire du lait autrement qu'à mon sein. Elle a refusé de s'alimenter pendant trois jours chez la nounou, elle ne buvait que de l'eau au verre. Elle crachait tous les autres aliments, même les petits bouts de pain, même la compote sucrée. Vous imaginez un peu le caractère de ma puce qui n'a fait que s'affirmer depuis...
N'empêche que moi, j'étais mal. Aller travailler en sachant que mon bébé ne s'alimentait pas parce que je le délaissais me faisait sentir très très coupable. Elle a fini par abandonner la partie le quatrième jour. Dès qu'elle me retrouvait, je la mettais au sein. J'ai pu continuer à l'allaiter le matin et autant qu'elle voulait en soirée. Je conservais malgré tout cet immense sentiment de culpabilité et puis le cancer m'est tombé dessus 8 mois après, elle avait 15 mois et demi. J'ai aussitôt donné son congé à cette nounou et j'ai pu récupérer ma fille. Je me sentais presque soulagée. J'en ai parlé au psy du CLB. Il a ri. Il m'a dit que tous les cancéreux qu'il voyait avaient la même certitude que moi, celle de connaître ce qui avait déclenché leur cancer et en général, il s'agissait toujours de quelque chose d'irrationnel.
J'en avais parlé avant à une psychologue de quartier. Elle m'avait expliqué que le cancer du sein est un signe d'un problème dans la relation mère-fille et que les métastases montraient que ce conflit était en voie de résolution. J'avais trouvé ça tellement énorme cette symbolique des métastases que je n'étais jamais retournée la voir. Mais cette histoire de conflit mère-fille, je l'ai retrouvée dans plusieurs ouvrages. Je n'ai jamais voulu me sentir coupable de mon cancer mais c'est vrai que j'avais réellement éprouvé un soulagement en apprenant mon cancer par le fait qu'il me permettait de mettre un terme à ce sentiment de culpabilité que je me trimballais depuis ma reprise du boulot.
Je pense que cette culpabilité n'est pas la cause de mon cancer mais que le stress que cette situation a généré n'a pu qu'aider le cancer.
Il se trouve que mon père a aussi été séparé de ses parents alors qu'il était bébé. Il est né le 7 mai 1945 à Munich, au milieu des bombardements alliés. Ses parents se sont connus en Allemagne alors qu'ils avaient été embarqués pour travailler pour le STO (service de travail obligatoire). Lorsqu'ils sont revenus en France, se sont mariés, ils avaient tout à faire. Ma grand-mère paternelle était issue d'une famille paysanne des Ardennes. Elle a alors tout naturellement confié son fils à sa sœur aînée, à la campagne. Eux vivaient encore avec des tickets de rationnement à Paris et la vie était bien dure pour eux. Ils étaient extrêmement jeunes, 20 ans pour mon grand-père et la vie ne s'était pas montrée tendre pour eux jusque là.
Ils ne voyaient mon père que pendant les grandes vacances. Il appelait sa tante "Maman" et sa mère par son prénom. Il n'est revenu vivre avec eux qu'à l'âge de 6 ans lorsque sa petite sœur est née. J'imagine sans peine combien cet échange de parents a dû se faire douloureusement, sans parler du changement de mode de vie. Toute sa vie, il a continué à prendre soin de sa tante qu'il appelait alors "Maman Madeleine". Elle est morte un an après mon père jour pour jour.
Alors que penser de ce lien entre la séparation maternelle et le cancer ?
Je continue à croire que dans ma famille paternelle, nous sommes moins armés que la moyenne contre le cancer. Je pense toujours que le stress affaibli les défenses immunitaires et que séparer un enfant de sa mère ne peut que stresser l'enfant. Je suis certaine que mon père, tout comme moi, avons dû vivre avec ce sentiment de n'avoir pas été assez bien pour que notre mère nous garde et en même temps en vouloir à notre mère pour avoir sous-estimé ou négligé ce qu'elle nous faisait subir.
Mais comme on se construit toujours par opposition ou par mimétisme par rapport à ses parents, inutile de vous dire qu'en ce qui concerne la séparation, je suis en opposition totale. Je ne peux laisser partir mes filles que si elles en manifestent l'envie mais jamais, absolument jamais pour ma convenance personnelle. J'en suis tout simplement incapable. Je ne veux surtout pas qu'elles puissent ressentir ce sentiment d'abandon, de désamour. J'essaye au contraire de leur montrer combien elles sont importantes dans ma vie, combien je les aime.
J'espère juste que le cancer ne se chargera pas de nous séparer, ça serait le comble de mon existence.

Mes filles et moi, en 2007, un an après le diagnostic du cancer

Cet été, août 2010, tous les quatre, 4 ans après.

Voici l'article et le lien :
http://www.guerir.org/magazine/stress-et-cancer-cancer-du-sein-souris-114

Le stress de la séparation maternelle conduit les souris à développer plus de tumeurs mammaires.

Exposées à un agent cancérigène, les souris qui connaissent le stress d'être séparées de leur mère développent des cancers du sein deux fois plus rapidement que les souris qui n'ont pas connu la séparation maternelle.

Des chercheurs ont soumis un groupe de souriceaux pendant les trois premières semaines de leur vie à de brèves séparations d'avec leur mère (15 minutes par jour) et un autre groupe à des séparations plus longues (quatre heures par jour). Ils ont regardé ensuite le développement de tumeurs en comparaison avec un groupe témoin qui n'avait pas été séparé de leur mère.

Les auteurs de l'étude publiée en Novembre 2010 dans Cancer Prevention Research ont mesuré que 300 jours après l'exposition à un agent cancérigène, 53 % des souris exposées à une séparation prolongée avaient développé des lésions mammaires palpables, comparativement à 20 % des souris exposées à de brèves séparations. Les cancers chez des souris avec une séparation prolongée étaient également plus envahissants.

Les souris exposées à une séparation prolongée avait une expression de récepteurs œstrogéniques, impliqués dans certains cancers du sein, 200 % plus élevée par rapport aux souris qui n'avaient pas vécu de séparation.

Notre conseil : le stress ne peut pas être évité dans notre vie moderne. Mais vous pouvez apprendre à le gérer par des techniques de respiration, de relaxation et de cohérence cardiaque. Ne sous-estimez pas votre capacité de réaction, même (et surtout) si vous vous sentez débordés.

Sources :

1. Boyd, A.L. et al. Neonatal Experiences Differentially Influence Mammary Gland Morphology, Estrogen Receptor   Protein Levels, and Carcinogenesis in BALB/c Mice. Cancer Prevention Research 3, 1398-1408 (2010).