Prévention, proximité, fermeté : à la veille du forum du PS sur la sécurité qui se tient mercredi à Créteil, le sénateur-maire de Dijon dévoile les propositions de son parti.
Le Nouvel Observateur : Vous présidez le forum de réflexion sur la sécurité du Parti socialiste. Pourquoi la gauche a-t-elle toujours eu du mal à se faire entendre sur ce sujet ?
- François Rebsamen : Il y a sans doute d'abord une raison culturelle. L'histoire du socialisme, ce n'est pas l'histoire de l'ordre mais plutôt celle de la contestation de l'ordre établi pour plus de justice sociale. Cela remonte à loin, mais cela doit être inscrit quelque part dans la mémoire des Français. Certains socialistes ont pu aussi, par le passé, se méfier des politiques de sécurité publique parce qu'ils y voyaient surtout des menaces pour les libertés individuelles. Plus près de nous enfin, il y a eu cette phrase malheureuse de Lionel Jospin, qui confia en 2002 avoir " pêché par naïveté ". Jospin expliquait alors qu'il avait cru que la baisse du chômage entraînerait une baisse de la délinquance, mais la droite a sorti ces mots de leur contexte et elle en fait son miel depuis huit ans.
C'est à la fois injuste et malhonnête ! De Pierre Joxe à Daniel Vaillant, en passant par Jean-Pierre Chevènement, c'est de la gauche que sont venues la plupart des innovations pour améliorer le fonctionnement de la police. Et les personnalités que je viens de vous citer n'étaient pas franchement réputées pour leur naïveté…
Il y a dix-huit mois pourtant, la direction du PS organisait au Zénith un "Printemps des libertés" pour mettre en garde le pays contre une dérive sécuritaire…
- Martine Aubry est à la fois maire de Lille et première secrétaire du PS. J'observe aujourd'hui que le pragmatisme dont elle fait preuve dans sa ville en matière de sécurité a fini par l'emporter sur les postures idéologiques et ses alliances de congrès. C'est une bonne chose. Tous les socialistes sont désormais convertis à la nécessité d'une politique juste et responsable en matière de sécurité. Et en particulier les nombreux élus du PS qui se battent tous les jours pour assurer la tranquillité publique de leurs concitoyens.
Quel bilan dressez-vous de l'action du gouvernement ?
- La politique menée par Nicolas Sarkozy depuis huit ans est marquée par un double échec. C'est d'abord une faillite en termes de résultats, car les violences aux personnes et les atteintes aux biens n'ont cessé d'augmenter. C'est aussi une faillite citoyenne, car le lien qui existait entre la police et la population est aujourd'hui en partie rompu, notamment avec la jeunesse.
Le gouvernement prétend pourtant que la délinquance n'a cessé de baisser depuis 2002…
- Le gouvernement trafique les chiffres de la délinquance pour camoufler son bilan. On pousse les victimes qui viennent déposer plainte à ne laisser qu'une main courante pour faire baisser les statistiques. Ou bien on les décourage en leur expliquant qu'elles doivent se rendre dans un autre commissariat pour le faire… Quant à l'Observatoire national de la délinquance qui devait garantir la vérité des chiffres, il est présidé par un proche conseiller du président…
Faut-il recruter davantage de policiers pour faire baisser l'insécurité ?
- Ce serait l'idéal, mais il n'est pas réaliste de le laisser penser. Le gouvernement s'est lancé pour des raisons comptables dans une dangereuse réduction d'effectifs. Depuis le retour de la droite au pouvoir, plus de 10.000 postes de policiers ont ainsi été supprimés. Nous nous engageons à donner un coup d'arrêt à cette baisse des effectifs en stabilisant le nombre de policiers à 105.000 et celui des gendarmes à 100.000. Nous proposons aussi de sanctuariser le budget du ministère de l'Intérieur qui affiche aujourd'hui une diminution sensible, hors dépenses de personnels. Quand on voit l'état de certains commissariats, on peut carrément parler de clochardisation de la police nationale !
Construirez-vous de nouveaux commissariats pour améliorer la présence policière ?
- Nous proposons que les collectivités locales prennent en charge l'entretien ou la construction des bâtiments, là où c'est nécessaire. Mais attention, cela ne pourra pas non plus être systématique. L'ouverture d'un commissariat est très gourmande en personnel. Cela fait autant de policiers en moins de disponibles pour aller sur le terrain. Or nous souhaitons le retour d'une présence policière quotidienne dans certains quartiers.
C'est le retour de la police de proximité ?
- Police de quartier, police de proximité… qu'importe la façon dont on l'appelle, pourvu qu'elle soit là, bien implantée et au contact quotidien de la population. Nicolas Sarkozy a honteusement caricaturé la police de proximité que la gauche avait mise en place sous le gouvernement de Lionel Jospin. Mais depuis qu'elle a été supprimée et que les forces de l'ordre ne mettent plus les pieds dans certains quartiers que pour des opérations coups de poing, les habitants la regrettent ! Le PS ne doit donc pas avoir de complexe en la matière, d'autant que nous avons, nous aussi, tiré les leçons du passé. Nous concentrerons les moyens dans les quartiers difficiles plutôt que de généraliser partout l'expérience. Nous formerons et nous encadrerons mieux les policiers qui y seront affectés.
Faut-il développer la vidéosurveillance ?
- Les caméras participent à la dissuasion. Elles ne remplacent pas la présence humaine, mais on aurait tort de s'en priver pour des raisons idéologiques. Le vrai problème, c'est surtout qu'elles coûtent cher aux collectivités locales.
Que propose le PS pour améliorer la lutte contre la délinquance ?
- D'abord la prévenir, en dépistant dès la petite enfance les premières difficultés scolaires. Cela doit commencer très tôt, à l'école maternelle. Il faut agir dès le premier signe de décrochage pour éviter que la spirale de l'exclusion ne s'enclenche. Cela suppose de renforcer les équipes pédagogiques. Dans les zones d'éducation prioritaire, un enseignant ne devrait pas avoir plus de 15 élèves par classe. Il faut aussi mieux accompagner les familles, responsabiliser les parents et les sanctionner le cas échéant, mais certainement pas en leur coupant les allocations, ce qui reviendrait à les priver des moyens d'élever leurs enfants !
Faut-il sanctionner plus lourdement les actes de délinquance ?
- On ne réglera rien avec des condamnations de plus en plus lourdes si elles sont inapplicables. Pour être efficace, il faut que la sanction tombe au premier acte de délinquance, qu'elle soit immédiate, proportionnée aux faits et surtout qu'elle soit appliquée ! Très souvent, pour les petits délits, la justice ne dispose pas des mesures adéquates. Prenez les travaux d'intérêt général : ce n'est pas le juge qui va les inventer. Nous proposons donc d'obliger les collectivités à mettre à disposition de la justice des Travaux d'intérêt général (TIG) ou des travaux d'intérêt éducatif (TIE), en lien avec l'Education nationale.
Et quand les délits sont plus sérieux ?
- Nous souhaitons supprimer les peines planchers qui condamnent automatiquement à la prison. L'emprisonnement systématique n'est pas une réponse appropriée et par ailleurs les prisons sont pleines. Il faut élargir la palette et l'adapter à chaque délinquant. Cela peut aller de l'internat éducatif pour des jeunes qui sont encore dans un cursus scolaire, à des centres de discipline et de réinsertion sous contrôle judiciaire, où le délinquant est enfermé la nuit mais travaille le jour en milieu ouvert. Nous proposons aussi que le juge puisse prononcer, à la demande des policiers de terrain, des injonctions préventives qui interdisent à tel condamné, une fois sa peine purgée, de fréquenter x, y ou z, ou de se rendre dans tel ou tel endroit pendant une période donnée. Il faut tout faire pour éviter qu'une poignée de délinquants ne pourrissent la vie de tout un quartier.
Tout cela demande des moyens…
- Oui et s'il y a un seul domaine où on doit recruter aujourd'hui, c'est au ministère de la Justice, afin d'éviter l'engorgement des tribunaux et de permettre l'applicabilité immédiate des peines.
Et dans les quartiers où la police ne rentre plus qu'au coup par coup ?
- Nous y rétablirons l'ordre et la sécurité de façon pérenne. Une centaine de quartiers extrêmement difficiles sont aujourd'hui devenus des zones de "non-droit" où règne la loi du caïdat. La reconquête de ces quartiers sera longue et compliquée. Elle ne se fera pas sans une concentration de moyens budgétaires. Et elle commencera par une présence prolongée des forces de l'ordre les plus expérimentées.
En faisant appel à l'armée ?
- Eventuellement. Les gendarmes savent très bien mener ces opérations de "pacification", ils l'ont plusieurs fois démontré à l'étranger. Mais nous ne ferons pas venir non plus les chars dans ces quartiers ! Certains élus de mon parti en sont à se dire qu'il faudrait des lois d'exception pour reconquérir ces cités difficiles. Je pense, moi, qu'il faut des moyens exceptionnels et une volonté politique sans faille. On ne nettoiera pas ces quartiers au karcher mais en y ramenant l'Etat de droit.
On a longtemps accusé le PS de chercher des excuses aux délinquants et de négliger les victimes…
- La misère, la discrimination, l'exclusion sont des terreaux propices à l'insécurité. Mais la pauvreté ne constitue en aucun cas une excuse à la délinquance. Quant aux victimes, il est essentiel de mieux les accompagner du début à la fin de la procédure. C'est pourquoi nous proposons de mettre en place un accueil spécialisé, avec une assistante sociale ou une psychologue par exemple, dans les gendarmeries et les commissariats. Nous souhaitons aussi aider à la création d'associations d'aide aux victimes dans chaque département, afin de les guider dans leurs démarches judiciaires ou d'indemnisation.
Propos recueillis par Matthieu Croissandeau
(Nouvelobs.com)
http://tempsreel.nouvelobs.com/index.html
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