Exposition du portrait de Pétain dans une mairie et neutralité du service public
Par Mathieu Touzeil-Divina
Sur le fond, la décision prise par les magistrats caennais surprend peu : on s’attendait en effet à ce que l’annulation requise soit consacrée dans le dispositif. Mais, sur la forme, la rédaction des motifs est singulièrement pédagogique. Ainsi, au lieu de se contenter d’une annulation suffisante pour incompétence, les juges du fond ont-ils souhaité détailler plusieurs moyens d’illégalité externe et interne. Tout d’abord, on relève que le maire a tenté de réécrire à son profit la question de compétence : il semble en effet soutenir que la décision prise relevait de son pouvoir propre (et non de celui des affaires de la commune échu aux seules délibérations du conseil municipal selon l’art. L 2121-9 Cgct). Mais, saisi d’un élan démocratique, le maire aurait cru bon, de manière purement superfétatoire, de requérir néanmoins l’avis de ses conseillers. Ces derniers ne lui demandant pas de retirer le portrait du chef de l’Etat français [On rappellera à cet égard que la dénomination « d’Etat français » ne vaut strictement, en droit constitutionnel, que pour la période dite de Vichy. Il est donc particulièrement inopportun de l’employer pour d’autres périodes], il aurait maintenu son choix faisant alors état d’une « tradition républicaine » (sic) d’affichage des portraits présidentiels tout en en minorant la portée : le Maréchal n’étant visible « que » dans la salle du conseil où « l’accès du public est très limité » (re sic). D’un point de vue de la légalité externe, nous sommes alors en présence d’au moins deux erreurs substantielles : d’abord, en consultant formellement les membres de son conseil [La consultation - même facultative - d’un organe se doit de l’être dans le respect des procédures (CE, 15 mai 2000, Territoire de la Nouvelle-Calédonie : N° 193725, Rec. 170). Seule la renonciation avant consultation aurait permis l’absence de vice procédural. En ce sens : CE, 08 juill. 2009, Commune de Saint-Dié-des-Vosges & alii. (n°314236) : note TOUZEIL-DIVINA in AJDA 2010 ; n°07 ; p. 401.]mais, ce sans suivre les règles (de convocation notamment) de l’art. L 2121-9 Cgct, le maire a manifestement engendré un vice de procédure. En outre, il y a fort à parier qu’il s’agissait là, in fine, d’une compétence propre du conseil et non de celle de son maire emportant conséquemment une incompétence rationae materiae. Mais, et c’est là tout l’intérêt de la décision juridictionnelle exposée, au cas où la commune aurait désiré maintenir son choix pictural en respectant cette fois la procédure et les formes, les juges du fond ont souhaité détailler explicitement les motifs de l’illégalité interne relevée. En effet, rappelant que la mairie n’est pas un musée où l’on pourrait exposer (avec des commentaires et dans un intérêt historique comme au musée de Sèvres par exemple [En ce sens : question écrite du député HAGE & réponse du ministre DOUSTE-BLAZY (JO A.N. ; 20 mai 1996)]) de tels éléments, le tribunal administratif relève que « le principe de neutralité des services publics s’oppose à que soient apposés sur des édifices publics des signes exprimant des opinions politiques, religieuses ou philosophiques ».
Alors, faisant suite à la demande d’injonction directe du préfet (art. L 911-1 Cja), les juges ont enjoint, à titre définitif,
T.A. Caen, 26 octobre 2010, Préfet du Calvados c/ commune de Gonneville-sur-Mer (Req. n° 1000282)
Actualités droits-libertés du 11 novembre 2010 par Mathieu TOUZEIL-DIVINA*
Les lettres d’actualité droits-libertés du CREDOF sont protégées par la licence Creative Common
cette lettre sur droits-libertés
* Mathieu TOUZEIL-DIVINA est Professeur à l’Université du Maine - Themis-Um et associé à l’Université Paris Ouest Nanterre - Credof / Crdp