Un nouveau Stakhanov est né. Le premier, un mineur soviétique, prénommé Alexis, avait réalisé le 31 août 1935 quatorze fois la norme d'extraction du charbon, soit cent deux tonnes au lieu de sept. Alain Juppé, notre Ministre de la Défense, vient de décider en effet, quoique plus modestement, de marcher sur ses traces. Il va en effet ajouter à ses fonctions de Maire de Bordeaux celles de Ministre d’Etat.
Le 22 avril 2009, il avait écrit sur son blog : « Il y a, à mes yeux, incompatibilité entre cette fonction [de maire] et un poste ministériel. On ne peut pas tout faire à la fois ». A ceux qui lui ont fait remarquer son changement d’opinion, il a rétorqué : « Il est vrai que j'avais déclaré que je ne souhaitais pas exercer des fonctions locales et nationales » en même temps mais « le contexte a changé et chacun a le droit d'évoluer et de s'adapter ».
Toujours aussi « droit dans ses bottes », notre ancien Premier Ministre a conservé toute son arrogance. Pourrait-il nous expliquer en quoi un changement de contexte peut rendre désormais possible l’exercice de deux postes à plein temps simultanément, sans nuire à l’un, à l’autre ou même aux deux? Il feint de croire que c’est une possible réduction des temps de trajet entre Bordeaux et Paris qui facilité une telle gageure mais ce n’est pas là le problème. Quel chef d’entreprise accepterait qu’un de ses salariés à plein temps accepte un autre emploi également à plein temps ? Il est vrai que l’extraordinaire chef d’entreprise dont notre pays bénéficie depuis plus de trois ans nous a amplement montré qu’il était prêt à tout et surtout à n’importe quoi.
Mais la suite est tout aussi édifiante. Alain Juppé a poursuivi en refusant de recevoir des « leçons de morale» en matière de cumul des mandats : « Quand vous regardez le paysage autour de nous, combien cumulent au plan national des fonctions locales ? » Peut-être, et alors ? On peut s’étonner de ce qu’un si haut personnage s’abaisse à des arguments au niveau d’une cour de récréation : « Oui, M’dame, j’ai frappé Jean-Louis mais Brice a giflé Eric et vous ne lui avez rien dit ! » Le nombre des fraudeurs n’a jamais justifié la fraude et si un fraudeur est malvenu de donner des leçons de morale à un autre fraudeur, cela n’exonère de sa responsabilité ni l’un ni l’autre.
Par contre, ceux qui, non seulement pâtissent de ces dérives, mais sont fondés à les dénoncer et surtout à les faire disparaître, ce sont nous, les citoyens français, qui rémunérons ces seigneurs et sommes en droit d’obtenir que chacun d’entre eux choisisse une seule de ces fonctions si absorbantes et s’y consacre entièrement.