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Nicolas Sarkozy, Président de la République avant tout

Publié le 17 novembre 2010 par Sylvainrakotoarison

Dans son interview télévisée du 16 novembre 2010, le Président de la République a tenu d’abord à rassurer. Exercice plutôt convaincant.


yartiSarkozyP02Le changement de gouvernement et l’intervention télévisée du chef de l’État ont donné ces derniers jours un nouvel aspect du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Malgré quelques dénégations, le style du Président de la République a évolué même si, sur le fond, aucun changement n’est vraiment perceptible.
Dans cet article, j’exprime mes commentaires et surtout mes impressions sur une prestation que j’estime globalement convaincante. Nicolas Sarkozy sait jouer de la communication et il l’a encore démontré à cette occasion en prenant souvent à témoin des journalistes qui n’ont décidément aucun sens de la répartie.
Journalistes endormis ?
Disons-le tout de suite : les trois journalistes choisis pour l’interview présidentielle, à savoir Claire Chazal, David Pujadas et Michel Denisot, ne m’ont pas paru à la hauteur de l’exercice. On ne peut pas dire qu’ils ont refusé des sujets qui fâchaient (au contraire, ils ont abordé à peu près tous les "problèmes" qui pourraient rendre l’action présidentielle "contestable") mais ils l’ont fait sans droit de suite.
D’abord, l’émission n’était pas structurée : aucun plan pour parler des grands sujets. Les questions ont fusé un peu n’importe comment, sans transition, en passant du coq à l’âne. J’ai souvenir de longues émissions avec le Président François Mitterrand qui structurait avec art et méthode son intervention.
Ensuite, et c’est le principal reproche, aucun journaliste n’est intervenu quand Nicolas Sarkozy a exprimé de nombreuses "inexactitudes" ou "approximations".
Parmi les principales erreurs, il y a celle de la parité euro/dollar à la création de l’euro (François Bayrou l’a relevée sans pour autant parler de "mensonge" comme l’a déclaré Ségolène Royal), mais aussi le fait de dire qu’un lycéen sur deux deviendrait centenaire (c’est faux) ou encore (relevé par le patron de la CFDT François Chérèque) lorsqu’il est question des chiffres de la réforme des retraites qui vient d’être promulguée, personne ne pourrait penser que les caisses de retraite vont être excédentaires en 2020. Autre approximation, Nicolas Sarkozy a cité une nouvelle fois la fameuse phrase de Michel Rocard qui, fier de réduire les flux migratoires, aurait dit : « La France ne peut pas supporter toute la misère du monde » (Michel Rocard avait estimé en 1996 que cette phrase était tronquée, mais certaines enquêtes n’auraient pas retrouvé la phrase revendiquée aujourd’hui par Michel Rocard).
Un journaliste, à mon sens, devrait avoir suffisamment de culture politique pour être capable de corriger quand des erreurs sont dites devant lui, que ce soit volontairement ou pas.
Quand Nicolas Sarkozy a pris à témoin les journalistes, ceux-ci sont restés silencieux ou ont opiné du chef au lieu de refuser ce jeu. Le Président l’a fait à plusieurs reprises et c’est là un véritable art qu’a cultivé Nicolas Sarkozy dès ses débuts en politique. Poser une question fermée à ses interlocuteurs. Par exemple : sur la réaction de la Commission européenne sur le démantèlement de camps des gens du voyage. Ou encore sur le vol des ordinateurs portables de certains journalistes : le Président de la République devrait-il s’occuper d’incident mineur de la société ? Les journalistes n’ont même pas rappelé que ces ordinateurs auraient pu contenir des informations confidentielles très importantes.
Ces réserves faites, je trouve que Nicolas Sarkozy a été convaincant et surtout, rassurant. Je vais énumérer les points positifs de cette interview, et également, certaine points négatifs, que ce soit sur le fond ou la forme.
Points positifs
1. La dépendance
Sur le fond, Nicolas Sarkozy s’estime être un Président en action. Et l’une des principales réformes qu’il voudrait mettre en place d’ici l’été 2011 est le cinquième pan d’assurance de la Sécurité sociale, la dépendance. Je crois que cette perspective est essentielle : les personnes très âgées ou très malades devenues complètement dépendantes nécessitent un environnement que ne peuvent pas toujoursyartiSarkozyP01 assumer (physiquement, psychologiquement, financièrement) la famille et les proches. Il est du devoir de l’État et de la solidarité nationale d’en assurer l’organisation.
Cela fait déjà plusieurs années, voire décennies, que cette assurance aurait été nécessaire. Les besoins, par mécanique démographique, augmenteront dans les prochaines années. Nicolas Sarkozy pourrait prudemment laisser ce dossier sous le coude jusqu’à l’élection présidentielle de 2012, exactement comme Lionel Jospin sur les retraites avant 2002.
La détermination présidentielle me paraît donc très saine : si la réforme aboutit (ce que je crois), je pense que ce sera sans doute la principale action du quinquennat au regard de l’histoire. Ce sujet n’est pas facile puisqu’il va bien falloir trouver un système pour financer la dépendance : CSG augmentée, nouvelles cotisations sociales, ponctions sur la succession etc. seront donc forcément à l’étude.
D’un point de vue méthode, Nicolas Sarkozy souhaite une grande consultation pendant six mois. En laissant comprendre qu’il a appris avec la réforme des retraites et qu’il veut mieux écouter les différents acteurs du sujet. Bonnes intentions, donc.
2. La fiscalité du patrimoine
L’idée serait de supprimer le bouclier fiscal et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). La gauche imagine déjà le traquenard : la suppression de l’ISF ferait beaucoup plus de tort aux finances de l’État que la mise en place du bouclier fiscal. La perspective serait de taxer les revenus du patrimoine et pas le patrimoine lui-même. Cela peut paraître plus logique. Reste à en examiner les modalités pratiques (et ce sera sans doute une nouvelle usine à gaz qui va avoir du mal à concourir à la simplification de la fiscalité en général).
3. La "taxe Tobin"
Sans évoquer son nom (galvaudé), Nicolas Sarkozy a montré sa détermination à mettre en place une taxe sur les transactions boursières pour aider les pays en voie de développement, en particulier l’Afrique. Il est prêt à le faire (comme Chirac l’a fait pour les taxes aériennes) même s’il ne réussit pas à convaincre tous les autres pays. Il estime que l’effet d’entraînement sera tel que les autres pays imiteront la France et ceux qui l’auront suivie.

Cette idée, souvent proposée à gauche, est un élément intéressant surtout pour la présidence du G20. Elle est l’autre versant de la politique visant à réduire les flux migratoires en France : en aidant les pays d’origine, on réduit les rêves d’immigration. Pourtant, aujourd’hui encore, beaucoup de Français pensent que le Canada ou les États-Unis sont des eldorados économiques. Le rêve n’est pas un élément très rationnel, justement. Ce constat n’ôte rien au grand intérêt d’une telle mesure, d’autant plus que l’Afrique serait sans doute la Chine de demain.
4. Un point crucial concernant le Front national
Dernière phrase de l’interview, Nicolas Sarkozy a été très clair et très assuré lorsqu’il a indiqué qu’il ne serait jamais question d’alliance avec le Front national, que ce soit avec Jean-Marie Le Pen ou avec sa fille Marine. La réplique a été courte, sèche, immédiate, et convaincante.
Il a compris que son débat sur l’identité nationale a été incompris. Le retrait de l’appellation "Identité nationale" dans le Ministère de l’Immigration (rattaché à l’Intérieur) fait partie aussi de cette volonté de rassurer son propre électorat protestant contre les discours et les actions sécuritaires de l’été 2010.
Même s’il ne renie rien, Nicolas Sarkozy a même rejeté la responsabilité du retour estival au sécuritaire aux journaux télévisés de juillet 2010 (pointant très habilement du doigt les deux présentateurs de journaux présents) et que, pragmatique, il fallait qu’il réagisse pour faire diminuer les tensions.
Son argument, c’est qu’il ne peut pas laisser certains rester dans l’illégalité alors d’autres sont verbalisés au moindre dépassement de stationnement payant. L’image est forte pour les automobilistes, elle est sans doute exagérée mais Nicolas Sarkozy a le don, qui lui a d’ailleurs permis d’être élu, de reprendre ou de comprendre les ressentiments des gens, et il a bien compris que ce danger pourrait renforcer le Front national si les pouvoirs publics ne réagissaient pas.
5. Le style présidentiel
Nicolas Sarkozy n’était pas loin de dire qu’il a changé, ou plutôt, qu’il avait déjà changé, en rappelant qu’il ne s’était pas exprimé à la télévision depuis juillet 2010. Plus de recul, moins d’hyper-activisme, plus d’esprit d’équipe.

Ce qui est assez curieux, c’est la différence entre l’homme qui se montre finalement modeste (il n’a pas la condescendance ou l’orgueil de ses prédécesseurs), acceptant d’apprendre et d’évoluer, reconnaissant que le pouvoir change un peu sa vision des choses, et celui qui est critiqué avec beaucoup d’outrances par ses opposants, outrances qu’il préfère ignorer. Bien sûr, cette modestie n’exclut pas une part de grande habileté politique.
Chose nouvelle, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à citer ses ministres, à plusieurs reprises François Fillon mais aussi deux fois Laurent Wauquiez, et certains autres ministres comme Christine Lagarde, François Baroin ou Michel Mercier.
Il a même insisté sur le lien de proximité qui l’unit à son ancien ministre Jean-Louis Borloo, avec une phrase qui semblait reprendre les mots de De Gaulle sur Georges Pompidou après son éviction, affirmant que Jean-Louis Borloo aurait encore un rôle à jouer.
Esprit d’équipe, il l’a montré aussi en rassurant ses ministres, assurés de rester en poste jusqu’à la fin du quinquennat (sauf événement exceptionnel). C’est un réel changement présidentiel. En 2007, il était plutôt partisan de changer souvent les ministres, sans crier gare, en les notant même, un peu dans une optique de management des ressources humaines observée chez France Télécom : mettre ses collaborateurs dans un esprit d’insécurité permanente. Maintenant, il prône au contraire la stabilité des ministères. Tant mieux.
Points négatifs
1. La réforme de la justice
Le point le plus inquiétant de l’interview présidentiel concerne la justice étrangement confiée au seul ministre issu du MoDem, Michel Mercier : Nicolas Sarkozy veut en effet élargir le principe des jurys populaires aux tribunaux correctionnels et surtout aux juges d’application des peines. L’objectif est clairement défini : responsabiliser la justice pour la remise en liberté anticipée des condamnés.
Encore une fois, si l’exposé a été convaincant, il n’en reste pas moins démagogique car la récidive consécutive à une remise en liberté anticipée, si elle n’est pas absente, ne concerne qu’un très petit nombre de cas, souvent médiatisés en raison de l’émotion qu’ils peuvent naturellement susciter.
Michel Mercier aura bien du mal à garder ses valeurs tout en s’attaquant à une telle réforme.
2. Les erreurs
Au-delà des erreurs factuelles que j’ai évoquées plus haut (et qui semblent un élément récurrent dans les interventions présidentielles, voir notamment ici et ), erreurs qui auraient dû être immédiatement corrigées par les journalistes qui l’interviewaient (j’insiste), il y a des erreurs de logique.
Celle que j’ai relevée concerne la réforme de la fiscalité. La principale argumentation développée par le gouvernement depuis plusieurs jours, c’est l’harmonisation fiscale avec l’Allemagne. On place l’Allemagne à toutes les sauces.
Sans compter du danger qu’une telle argumentation peut faire naître chez les partisans de la souveraineté nationale et de l’indépendance de la France (la France suiveuse de l’Allemagne), je pense que cette idée n’est pas très logique économiquement.
Certes, l’Allemagne est notre principal partenaire économique, partenaire, concurrent, fournisseur, client. Mais le risque n’est pas la délocalisation de nos outils de production en Allemagne. Le risque, c’est la délocalisation en Roumanie, et surtout en Chine et peut-être demain, en Afrique (et tant mieux pour ce continent alors). Mais certainement pas en Allemagne.
3. "Récupération" du pape

Autre impression désagréable, lorsque Nicolas Sarkozy utilise une déclaration du pape Benoît XVI pour valoriser sa politique sur l’immigration. Surtout lorsque la déclaration est finalement assez banale : il faut accepter la venue des étrangers sur son territoire, mais il faut que les étrangers respectent les lois et l’identité de ceux qui les accueillent.

4. Les oublis
Comme l’ont signalé beaucoup de responsables de l’opposition, Nicolas Sarkozy n’a pas évoqué ni l’environnement (sinon pour dire que la nouvelle Ministre de l’Écologie gardera le contrôle des prix de l’énergie), ni l’emploi sinon en évoquant furtivement le renforcement de l’apprentissage (mais le problème vient plus des entreprises que des pouvoirs publics) et la reconduction de l’aide aux licenciés économiques.
Pas assis à attendre
Nicolas Sarkozy avait besoin de s’exprimer après l’épisode de la réforme des retraites. Sa popularité est au plus bas et il a besoin de montrer qu’il y a de nouvelles perspectives.
Malgré sans doute un problème de visibilité générale, Nicolas Sarkozy a fixé un cap pas si flou que cela pour l’année 2011, la seule yartiSarkozyP04réellement utilisable. En regardant souvent dans le vide ce mardi, il a parlé de lui, du pouvoir et de sa volonté toujours d’agir.

Le fait de maintenir son Premier Ministre François Fillon à Matignon jusqu’à la fin du quinquennat confirme le tournant présidentialiste du régime (je l’avais évoqué à propos du quinquennat).
N’hésitant pas à critiquer implicitement son prédécesseur Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a déclaré ne pas vouloir rester assis à son bureau à attendre 2012. 2012 ? Même si officiellement, il n’a pas pris la décision de se représenter, sa candidature à l’élection présidentielle de 2012 ne fait aucun doute.
Et la gauche a quand même de quoi s’inquiéter malgré l’impopularité de son concurrent. À près d’un an de l’échéance, le Parti socialiste est encore complètement divisé tant en terme de programme (le récent rapport de Benoît Hamon a été très contesté en interne pour sa gauchisation) qu’en terme d’ambitions personnelles, entre Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, Ségolène Royal et François Hollande, le jeu va être serré, sans oublier qu’il leur faudra bien rassembler ensuite les écologistes et la gauche du PS.
Dans cet épisode qui s’achève, aucun leader socialiste n’a été réellement renforcé dans sa capacité à gagner 2012. Et c’est sûrement la grande chance de Nicolas Sarkozy.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 novembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Composition du gouvernement Fillon III du 14 novembre 2010.
Vidéo de l’interview du 16 novembre 2010.
Nicolas Sarkozy dictateur ?
Valoriser le potentiel national.
Valeurs de la République.
Valeurs du gaullisme.
Discours du 22 juin 2009.
L’inexactitude de Nicolas Sarkozy.
La République sarkozyenne.
yartiSarkozyP03


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