Le roseau plie mais ne rompt pas. Nicolas Sarkozy a fait preuve hier soir, une nouvelle fois, de sa principale qualité : le pragmatisme. S’adapter pour survivre politiquement dans une stratégie marketing très Darwinienne. Bien qu’éculée, sa ritournelle du “j’ai changé” a rythmé sa prestation visuelle devant une brochette de journalistes timorés à l’image d’une profession fascinée et dépendante financièrement dans sa grande majorité du pouvoir.
Conscient des limites de l’hyperprésidence, Nicolas Sarkozy semble décidé à tester une méthode plus classique, plus collégiale. Une fausse modestie qui cache une vraie ambition : être reconduit en 2012. L’avalanche de compliments sur la personne de François Fillon ne trompe personne. L’instrumentalisation du Premier ministre est programmée. La multiplication soudaine de preuves d’amour de la part du Château est suspecte avec un goût de baisers de Judas.
Laissant pour un temps le short, les gants de boxe et la testostérone de Rocky Balboa dans les vestiaires, Nicolas Sarkozy s’est mué pendant 1h30 en force tranquille, en serpent qui tente de fasciner sa proie sur la musique envoûtante de Kaa : “aie confiance en moi“.
Pour donner le change, rien de mieux que le décorum d’un palais national, le salon Murat où se réunit le conseil des ministres, et l’aveu à demi-mot d’une petite erreur sur l’identité nationale. Comme si la violation lors du discours de Grenoble de l’article premier la Constitution qui prévoit « d’assurer l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine » était des plus anodines…
“La plus grande ruse du diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas” disait Baudelaire. La tactique la plus efficace de Nicolas Sarkozy est de nous faire croire qu’il peut rentrer dans les habits traditionnels de président de la république posé et modéré au service de tous les Français.
En creux, c’est évidemment le contraire. Il demeure un homme certes intelligent mais impulsif, coléreux, flambeur au service d’un clan, la composition du nouveau gouvernement en atteste, et des puissances de l’argent. La réforme fiscale annoncée risque bien à cet égard de tendre vers autant d’équité que la réforme des retraites.
Reste la forme. L’exercice de style, une démocratie d’opérette pour Dominique de Villepin, a été permis par une brochette de journalistes, ravalés au rang de potiches ou de passe-plat, tranchants comme des asperges. Etrange démocratie où ce genre si particulier d’exercice sert plus à s’attacher les faveurs du pouvoir que de démontrer ses qualités de journaliste capable de pousser dans ses retranchements et de mettre face à ses incohérences ou mensonges son interlocuteur.
Un interlocuteur qui abuse des ficelles du storytelling et qui n’hésite pas à réécrire en continu l’histoire immédiate sans soulever la moindre correction de ceux qui sont censés l’interroger. Une certaine presse à l’échine souple, trop pleutre pour s’indigner plus que cela des pratiques d’un pouvoir qui n’hésite pas pourtant à mettre sous surveillance ses confrères.
La contre-attaque de Sarkozy atteste que la partie est loin d’être gagnée pour ceux qui aspirent à un changement en 2012. La machine de guerre Elysée-UMP tourne à plein régime, revigorée, confortée dans sa ligne idéologique, rassurée par le retour des Chiraquiens, Alain Juppé en tête. “Hier soir, Nicolas Sarkozy avait trouvé le chaînon manquant avec ce Chiraquisme avec lequel il nous promettait une rupture spectaculaire et flamboyante” s’amuse à relever Jean-Marcel Bouguereau dans la République des Pyrénées.
En face, c’est morne plaine. “Avec les socialistes ce serait l’aventure” persiflait en seconde partie de soirée le nouveau jeune premier et désormais premier couteau François Baroin. Et pourquoi pas si c’est construire collectivement une nouvelle histoire ? Il devient urgent pour la gauche de s’organiser et de lever, comme le préconise François Hollande, “un espoir crédible“.
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