Les représentants de 48 Etats se réunissent aujourd'hui et jusqu'au 27 novembre à Paris pour définir les quotas de pêche au thon rouge pour 2011, à l'occasion de la réunion de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA). Au lendemain de l'accord vert pâle de Nagoya et alors que la Mer a quitté le Ministère de l'écologie, le thon devrait voir rouge.
Concrètement, les Etats pêcheurs européens (France, Italie, Espagne) souhaitent un quota stable en 2011, soit 13500 tonnes alors que la Commissaire européenne à la Pêche, Maria Damanaki a proposé une réduction dudit quota à 6000 tonnes.
A la veille de la réunion, le Comité national français des pêches a pour sa part appelé au maintien des quotas à 13.500 tonnes, dont 2.022 tonnes pour la France, estimant (AFP) que "descendre en dessous de ces quotas mettrait en péril la pêche française, en détruisant des entreprises et des emplois".
Les principales ONG françaises investies sur ce dossier comme Greenpeance et WWF demandent depuis longtemps un moratoire, soit une interdiction de pêche pour permettre à l'espère de se reconstituer. Les scientifiques de la CICTA estiment de leur côté que le maintien du quota de 2010 permettra la reconstitution du stock de thon rouge d'ici 2022 avec une probabilité de chances de réussite de 60%....et donc un taux d'échec de 40% !
Le baptème du nouveau ministère de l'écologie
La Mer n'est pas au nombre des attributions de la nouvelle Ministre de l'Ecologie, du Développement durable, du Logement et des Transports. A l'inverse la Pêche est bien au nombre des attributions du Ministre de l'Agriculture. Nul ne sait donc ce qu'il adviendra du Grenelle de la mer et quel ministre pilotera les groupes de travail qui ont été installés à sa suite.
Certes, hier déjà, c'est bien le ministre de l'agriculture qui pilotait déjà le dossier du thon rouge, suscitant les trés vives critiques d'ONG comme Greenpeace. Toutefois, les travaux du Grenelle de la mer avaient permis de limiter la casse et d'empêcher la France de soutenir sans réserve la position.... d'une dizaine seulement de bateaux de pêche au thon rouge.
Le thon rouge et la CITES. Pour rappel, le Gouvernement français avait pris une position assez acrobatique quant à l'inscription du thon rouge à l'annexe I de la Convention CITES, lors de la conférence de Doha en mars 2009.
La Convention "CITES" désigne la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, signée à Washington le 3 mars 1973 et amendée à Bonn, le 22 juin 1979.
L'article II de cette Convention dispose : "L'Annexe I comprend toutes les espèces menacées d'extinction qui sont ou pourraient être affectées par le commerce. Le commerce des spécimens de ces espèces doit être soumis à une réglementation particulièrement stricte afin de ne pas mettre davantage leur survie en danger, et ne doit être autorisé que dans des conditions exceptionnelles".
L'Annexe I de la Convention CITES comprend donc une liste d'espèces menacées d'extinction, lesquelles font l'ojet de la protection juridique la plus élevée. En clair, la commercialisation d'une telle espèce protégée ne peut être réalisée que dans "des conditions exceptionnelles". Une telle commercialisation est alors soumise à la délivrance de permis d'importation ou d'exportation, conformément aux dispositions de l'article III de la Convention.
La COP 15 CITES. A l'instar de la Convention cadre sur les changements climatiques, la Convention CITES prévoit l'organisation de conférences de parties. La 15e session de la Conférence des Parties (CoP15) s'est tenue à Doha (Qatar) du 13 au 25 mars 2009.
C'est dans la perspective de cette Cop 15, que la Commission européenne a demandé à la France sa position sur la commercialisation du thon rouge avant de procéder à la définition de la position de l'Union européenne. Dotée de plusieurs façades maritimes, la position de la France était évidemment essentielle. Les négociations n'ont pas permis d'avancer.
Le thon rouge et le Juge. La protection du thon rouge a déjà fait l'objet de plusieurs litiges portés en justice. On citera notamment les décisions suivantes, rendues au fond :
- Par une décision du 10 août 2005, le Conseil d'Etat a, à la demande des associations France Nature Environnement (FNE) et Groupe de Recherche sur les Cétacés (GREC), annulé pour excès de pouvoir l'arrêté du 1er août 2003 du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales portant création d'un permis de pêche spécial pour la pêche à l'aide de l'engin appelé thonaille ou courantille volante, au motif que le règlement (CE) n° 1239/98 du Conseil du 8 juin 1998 a interdit, à compter du 1er janvier 2002, l'utilisation des filets maillants dérivants destinés à la capture du thon rouge et de l'espadon en Méditerranée, ainsi que l'arrêté du 8 juillet 2004 modifiant celui du 1er août 2003 qui a imposé aux pêcheurs de se conformer à l'ensemble des règles découlant de la charte de la pêche à la thonaille pour la protection des cétacés dans le sanctuaire pour les mammifères marins en Méditerranée qui lui est annexée
- Par décision du 2 juillet 2007, le Conseil d'Etat a, à la demande de l'association SOS Grand Bleu, annulé l'arrêté du 28 juillet 2005 qui avait pour objet d'introduire dans le dispositif de l'arrêté du 1er août 2003 susvisé, une interdiction de la pêche « à la thonaille » limitée à la zone dite du Sanctuaire et à la période comprise entre le 15 août et le 15 septembre de chaque année. Or, la pêche « à la thonaille » devait être regardée comme totalement interdite en Méditerranée depuis le 1er janvier 2002 par application du règlement (CE) du 8 juin 1998, comme l'a jugé la décision du Conseil d'Etat du 10 août 2005.
- Par arrêt du 5 mars 2009, la Cour de justice des Communautés européennes a condamné la France en marnquement au motif que "En s’abstenant de contrôler, d’inspecter et de surveiller de façon satisfaisante l’exercice de la pêche au regard de l’interdiction des filets maillants dérivants pour la capture de certaines espèces et en ne veillant pas à ce que soient prises des mesures appropriées contre les responsables d’infractions à la réglementation communautaire en matière d’utilisation des filets maillants dérivants, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 31, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil, du 12 octobre 1993, instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche, tel que modifié par le règlement (CE) n° 2846/98 du Conseil, du 17 décembre 1998, ainsi que des articles 23, paragraphes 1 et 2, 24 et 25, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche".
Le thon rouge et Grenelle de la mer. Le "Livre bleu du Grenelle de la mer", élaboré en juillet 2009, comporte plusieurs engagements relatifs à la protection du thon rouge. Les voici :
- 22.c. Fixer le TAC annuel du thon rouge à partir des avis scientifiques : la France soutiendra cette position dans les instances européennes et à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (ICCAT) sur la pêche du thon rouge.
- 22.d. Renforcer les mesures de police contre la pêche illégale du thon.
- 51. Mesures de protection de la biodiversité : Faire de la préservation de la biodiversité de la Méditerranée un modèle de gouvernance en favorisant la concertation entre les pays, les différents acteurs dont les professionnels. Promouvoir un projet régional de biodiversité marine en complément de celui existant en matière de pollution marine, en favorisant la création d’ASPIM, de sanctuaires de cétacés, de réserves marines (notamment une réserve marine transfrontière entre la France et l’Espagne sur la côte Vermeille et une réserve marine dans la zone de reproduction du thon rouge aux Baléares).
- 52.a. Ratifier le protocole GIZC avant 2010 et inviter les Etats méditerranéens à en faire de même. Proposer des zones de gel de l’effort de pêche (ex. : zone du golfe du Lion, mise en place par la CGPM afin d’assurer la protection des grands reproducteurs (merlu, baudroie, thon rouge))
A noter : les acteurs du Grenelle de la mer étaient parvenus à un consensus sur l'inscription du thon rouge en annexe de la CITES mais n'étaient pas parvenus à un accord sur le numéro de l'annexe. Et pour cause, puisque l'annexe II est moins protectrice que l'annexe I.
Pêcheurs versus écologistes ? Dimanche dernier, le comité national des pêches maritimes a appelé le Gouvernement a ne pas cédé à la pression des ONG mais a considérer l'impact social d'une mesure équivalant à l'interdiction dela commercialisaton du thon rouge. Ainsi que l'a rapporté l'AFP : "Le comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) souhaite que le gouvernement français attende la prochaine évaluation du stock de thon rouge pour 2010 avant d'arrêter sa décision, de crainte que les pêcheurs de cette espèce se retrouvent privés de revenus du jour au lendemain".
Que penser de tout ceci ? Qu'une nouvelle fois, il aurait été préférable de ne pas laisser s'installer un conflit entre écologistes et professionnels confrontés à un dégradation de leur outil de travail. La problématique du thon rouge est connue depuis des années, a été portée en justice mais, malheureusement le "courtermisme" a une nouvelle fois frappé...