Mouton

Publié le 17 novembre 2010 par Jlhuss

« Mammifère ruminant, à toison laineuse et frisée, domestiqué pour fournir de la laine, de la viande et du lait. »
Fournir de la laine, le mouton aime assez : certes, ressortir tout nu de l’emprise du tondeur est une vexation, mais tellement plus légère que de passer l’été avec sa doudoune. Donner son lait, pourquoi pas ? Maigre cadeau, dont la brebis ne nous fait pas tout un fromage. Mais la viande ! là oui, c’est tout de même un gros sacrifice : on n’en a qu’une et ça ne repousse pas. Mais bon…

On égorge l’ovin sans trop de drame, pour un peu il s’en dirait honoré. Cette sorte d’acquiescement moral n’a pas peu fait pour son succès sacrificiel. Noé, tremblant que Yahvé sur un coup de tête ne lui demandât d’immoler son fils aîné Sem, brûlait de devancer le divin caprice en zigouillant la bête. Il fallut tout le rationalisme de Hrodbehrt pour persuader le saint homme que son geste serait au moins déplacé faute d’autel à bord.
Sacré mouton ! Il faut dire que le cochon gueule tellement qu’on n’entendrait plus les prières. Les peuples mystiques ne pardonnent pas à cet impur sa fureur de vivre : ils le punissent en ne le mangeant pas. Les peuples pratiques, qui en sont rendus à sacrifier le jour du Seigneur au pouvoir d’achat, dévorent le porc du pied au groin et de l’oreille à la queue.

Revenons à nos moutons. On peut en apprécier les côtes premières, secondes et découvertes, mais trouver à redire aux pupilles horizontales. Par l’œil-de-bœuf on voit nettement le jardin ; par l’œil de mouton, en se penchant bien, on entrevoit le fond niais de la douceur.

La tendresse que le mouton inspire est rarement détachée de la tendreté qu’on lui souhaite. Les enfants modernes, qui se figurent que la viande se produit dans le congélateur, sont tout caresses et bisous pour le bébé mouton du Salon de l’agriculture. Les parents, menteurs comme des adultes voraces ou nostalgiques comme des enfants grandis, renchérissent de mimi-gazou, en ces grands messes de la ruralité perdue.

Seul le paysan garde la tête froide, et les médailles gagnées le confirment en son positivisme : l’agneau qui cabriole après la tétée, pour le rêveur c’est l’allégresse native du monde, pour l’éleveur c’est du gigot qui danse.

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Proverbe du jour : Tout mouton bien élevé s’offre à vous tricoter sa laine.