Deux intimes de De Gaulle racontent la guerre d'Algérie 40 ans après la mort du général, nous avons rencontré son fidèle aide de camp et son chef du bureau de presse à l'Élysée.
Le 9 novembre 1970, il y a juste 40 ans, une rupture d'anévrisme emportait Charles De Gaulle, alors retiré dans sa demeure de La Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises, où il avait entrepris de rédiger de ses Mémoires d'espoir. Il allait avoir 80 ans. À l'occasion de cet anniversaire, nous avons rencontré deux grands témoins des dernières années de l'homme du 18-Juin : l'amiral François Flohic, son fidèle aide de camp, et Pierre-Louis Blanc, son chef du bureau de presse à l'Élysée.
Retiré à Six-Fours, l'amiral Flohic, 90 ans, avait rejoint les Forces françaises libres dès le mois de juillet 1940. Après la Libération, il occupe divers postes de commandement dans la Marine nationale avant de rejoindre De Gaulle à l'Élysée, en 1959. Après un premier bail jusqu'en 1963, il revient auprès du général en 1965 et l'accompagne jusqu'à la fin.
Originaire de Ménerbes, où il vit depuis la fin de sa carrière, en 1992, Pierre-Louis Blanc, 84 ans, a dirigé le bureau de presse de l'Élysée de 1967 jusqu'au départ du général. Il l'assiste ensuite dans la rédaction de ses mémoires, effectuant de nombreux déplacements à Colombey-les-Deux-Églises. Diplômé de l'Ena, une école qu'il dirige de 1975 à 1982, il termine son exceptionnel parcours comme représentant de la France au Conseil de sécurité de l'Onu.
Tous deux nous livrent un témoignage unique sur leurs années De Gaulle et la guerre d'Algérie.
- La façon dont De Gaulle a géré le conflit algérien reste comme une tache indélébile dans son parcours. Comment l'avez-vous vécu à ses côtés ?
Pierre-Louis Blanc :On oublie qu'à son arrivée au pouvoir, en mai 1958, la guerre d'Algérie dure depuis 4 ans déjà. S'il y a eu l'envoi du contingent, s'il y a eu de la torture officielle en Algérie, ce n'est pas de sa responsabilité.
François Flohic : Sur la torture, rappelons que dès son arrivée aux affaires, il a envoyé le juriste Maurice Patin pour y mettre fin. On l'oublie souvent. En 1958, la plupart des enjeux n'étaient-ils pas déjà posés et la trajectoire dramatique de ce conflit déjà inscrite?
F.F. : Oui, car l'armée avait déjà sa politique sur l'affaire algérienne et le général s'y est heurté. Au moment du putsch des généraux, il a compris que même son État-major particulier ne lui était plus fidèle. Il s'attendait à une action militaire sur Paris.
- On s'interroge encore sur cette phrase: "Vive l'Algérie française", lancée du balcon de l'hôtel de Ville de Mostaganem, quelques jours seulement après son retour aux affaires. Quelle est votre interprétation ?
P.-L.B. : Vous remarquerez qu'il n'a crié qu'une fois : " Vive l'Algérie française." Pourquoi l'a-t-il fait ? Cela reste un mystère.
F.F.: L'Algérie française, pour le général, cela voulait dire une Algérie qui évolue sous l'influence de la France. Sa politique était de maintenir les Européens en Algérie dans la mesure du possible. Il pensait qu'avec son prestige et le succès des armées, il réussirait à négocier avec le FLN. Je fais cette analyse car j'ai vécu le premier voyage en province, à Toulouse, en 1959. À la préfecture, le général a réuni les maires.
"Quand cesserons-nous d'envoyer nos fils en Algérie?", lui ont-ils demandé. Le général a répondu que la France y avait des responsabilités et qu'elle poursuivait une oeuvre humaine d'émancipation.
- Quelle analyse a-t-il fait après l'indépendance ? A-t-il eu le sentiment de s'être fourvoyé, en a-t-il souffert ?
P-L.B. : S'imaginer que le général a pu amputer la France sans en souffrir, c'est se tromper profondément. Dans sa première rédaction sur la fin de la guerre d'Algérie, il terminait son chapitre par la formule suivante: "Et que Dieu me prenne en pitié."
- S'il avait été aux affaires en 1954, quand le conflit débute, pensez-vous que l'affaire algérienne eût évolué de façon très différente ?
P.-L.B.: C'est très difficile à dire. Quand il prononce le fameux: "Je vous ai compris", le 4 juin 1958, lors de son premier discours en Algérie, on l'interprète comme une volonté de maintenir l'Algérie française. Si vous lisez tout le discours, vous vous apercevrez qu'il envisage clairement de donner le droit de vote aux Algériens -les non-citoyens français. Cela signifiait qu'à partir de ce moment-là, tout allait être radicalement modifié.
- Les pieds-noirs se sont sentis trahis par de Gaulle.
P.-L.B. : Ça a été pour eux un drame considérable, une déchirure. Mais savoir où se situent très exactement les responsabilités, c'est difficile. La IVe République n'a rien fait pour essayer de modifier en profondeur la situation en Algérie. Et puis, il y a les élites pieds-noirs qui portent une responsabilité énorme. Parmi les pieds-noirs, il y avait beaucoup de gens très modestes qui s'entendaient très bien avec les Algériens. Des choses étaient possibles. Dans les milieux politiques pieds-noirs, le lobby a été considérable et néfaste.