Il est bien des façons pour un président de la République de mettre en scène son dialogue avec les journalistes. Façon confident dans deux fauteuils face à face, façon formelle devant la bibliothèque remplie de livres reliés et dans les ors de la République, façon américaine, debout devant un lutrin dans la salle de réception… Pour le téléprésident, la meilleure façon est encore celle mise en scène par le journal télévisé.
Une table à la forme hautement symbolique, le triangle avec des invités de chaque côté, bien proche de la scénographie des studios… Mais, pour reprendre le masque du Président, impossible d’être l’invité du JT. Il faut que ce soit les journalistes qui le deviennent. Sarkozy a donc fait construire un décor télévisuel dans son palais et a pris la place du présentateur.
Du même coup, Denisot, Chazal, Pujadas, dépourvus de leurs attributs de maîtres de cérémonie n’avaient plus la force d’exercer leur droit de suite : les questions qui auraient pu étre embarrassantes étaient édulcorées et la voix des uns et des autres baissait d’un ton dès que Sarkozy les renvoyait dans les cordes. Ou ils changeaient immédiatement de sujet. Sarkozy a utilisé une méthode assez forte pour les déstabiliser : l’analyse des médias. Comment a-t-il repoussé les critiques du discours de Grenoble ? Tout simplement en opposant à ses interviewers une analyse, sommaire mais efficace, de leur JT. Ce sont les journaux de TF1 et de France 2, dit-il, qui ont mis en avant les brutalités dues aux gens du voyage et c’est en voyant cette hiérarchie de l’information qu’il a décidé d’agir. Comme si la télé informait mieux de Président de la république que ses propres réseaux… Les attaques de la Commissaire européenne Viviane Reding contre sa politique et sa volonté de poursuivre la France a été citée 25 fois par les JT, dit-il, et l’abandon de cette poursuite une seule fois. Les trois journalistes, qui pourtant font l’information, ont été incapables de répondre sur ce terrain. Comme si eux-mêmes n’analysaient pas les médias dont ils sont les acteurs.
En tant qu’interviewers, ils ont montré la même faiblesse : à plusieurs reprises, Sarkozy les a piégés très simplement en leur demandant de répondre à ses questions… Quand je vous dis qu’il a retourné la situation et dirigé son journal télévisé…. Un exemple : « j’ai raison M. Denisot ? Oui ou non ? » Et Denisot, l’animateur d’un Grand Journal insolent, de répondre bien sagement « Oui »… Chacun son tour a répondu par l’affirmative à l’interviewer Sarkozy.
Sur le choix du dispositif, il a bien joué. Il a parfaitement tenu à distance les journalistes qui auraient dû le mettre en difficulté. Sur les leçons de communication qu’il avait reçues pour préparer ce débat, il n’a en revanche pas fait illusion : au début de l’interview, il a utilisé à propos de Woerth un imparfait du subjonctif assez étonnant chez lui : « J’aurais aimé qu’il restât ». Quelques instants plus tard, une question l’énerve et il retrouve son naturel : « j’espère que vous découvrez pas, M’ame Chazal… ».
Quant à la fin de l’émission, elle obéissait à une rupture de ton soigneusement programmée : revenir à l’humain. L’allusion à « Carla », une femme « d’une grande intelligence », marqua la rupture. Il ne regarda plus ses interlocuteurs, ses yeux se perdirent dans le vague. Tout juste si son regard n’était pas embué. On revint à ce qui est le plus important pour le président « l’humanité », mot employé à propos de Woerth… tout en affirmant « Mon problème, ce n’est pas mon image ». Sans rire.
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