Du titre de l'exposition De Delacroix à Kandinsky, il faut surtout retenir le premier nom, "Delacroix", Kandinsky ne faisant que fermer la visite par son tableau de 1909 intitulé Improvisation III. Cette œuvre, qui relève de ses premières périodes, celles où le peintre se déleste des traits figuratifs pour adopter l'abstrait, est la réminiscence d'un séjour en Tunisie, effectué quatre ans plus tôt (1904-1905) avec sa bien-aimée Gabriele Münter. Peut-être est-ce Kandinsky, le beau cavalier allant chercher sa dame dans sa tour arabe, toujours est-il que par les touches de couleurs, le peintre semble avoir apposé sur la toile l'image mentale qu'il avait de ce séjour en amoureux hivernal... d'où, qui sait ?, l'alliance du rouge et du bleu.
Le visiteur est ici bien loin des premières toiles de l'exposition, de ces images précises que les artistes avaient pu produire en accompagnant les missions diplomatiques.
En 1798, l'expédition d'Égypte, menée par Bonaparte, transportait, outre des militaires, une armada de scientifiques dont un des objectifs était l'étude d'un éventuel percement du canal de Suez. Quant aux troupes françaises, elles devaient s'emparer de l'Égypte, et avec elle de l'Orient, en y chassant les Anglais et les Mamelouks (sous le pouvoir ottoman). Militairement, l'expédition n'a pas fait long feu, l'armée est rapatriée en 1801 par vaisseaux anglais. Scientifiquement, on lui doit la trouvaille de la pierre de Rosette et une Description de l'Egypte publiée sous les ordres de Bonaparte (présentée au sein de l'exposition). Toute une préparation scientifique qui permettra les grandes trouvailles archéologiques, celles de Champollion ou d'Auguste Mariette, découvreur, en 1851, de l'entrée du sanctuaire de Memphis.
Ce nouveau monde qu'est « l'Orient » est alors exploité en tous sens par les artistes et l'exposition transpire bien
cet engouement : les peintres dévoilent les vestiges archéologiques, l'épopée militaire (Cf. les tableaux de Jean-Louis Gérôme), détaillent les types arabes, tentent de s'immiscer dans les pré-carrés des femmes (Femmes d'Alger dans leur intérieur, Delacroix, 1847), etc. Leurs précisions cliniques s'aventurent jusque dans leurs fantasmes : cette arabie si proche est une terre sublimée de plaisirs et de volupté -celle des harems des femmes, des rêves sortis des fumées des narguilés et des Cléopâtres mortes romantiquement puisque suicidées à coups de serpents-, dont l'histoire est revisitée -les tableaux religieux se fondent dans des décors archéologiques, les vestiges de la culture mauresque sont excavés-, qui contraste en tous points avec leur Europe industrielle, positiviste et urbanisée. Il faudra attendre qu'un premier peintre se rende en indépendant en Algérie (Renoir en 1881) pour que ce romantisme paré de détaillisme s'estompe. Dès lors, les tableaux s'épurent : formes, couleurs, impressions remplacent Histoires et précisions.
En avril 2009, via l'exposition "Voir l'Italie et mourir", le visiteur d'Orsay emboîtait le pas aux artistes romantiques du XIXe lancés, pinceaux et appareils photos en main, dans le "Grand tour" [de l'Italie] pour traquer découvertes archéologiques, richesse historique et lumière méditerranéenne. Dès les années 1820-1830, ils usaient le concept de "Rome-destination finale" en rallongeant leurs itinéraires jusqu'à Constantinople. A Bruxelles, le visiteur les suit à la trace.
NB : Très peu de textes accompagnant les tableaux, il faut penser à se munir à l'entrée du livret de l'exposition (gratuit) et à faire un tour sur le site internet, très complet.
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, 3 rue de la Régence, 1000 Bruxelles. du mardi au dimanche de 10h à 17h, fermés les lundis, le 25 décembre et le 1er janvier. Tarifs : 9 euros / 6,5 euros pour les séniors / 2,5 euros pour les moins de 26 ans.