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L’absurde ordre d’expulsion d’Adedoyin, 3 ans, sans sa mère

Publié le 10 janvier 2008 par Willy
L’absurde ordre d’expulsion d’Adedoyin, 3 ans, sans sa mère

De notre correspondante à Londres KARINE LE LOET - http://www.liberation.fr/

Elle s’agite, babille en anglais, secoue les perles de couleurs attachées au bout de ses tresses. Assise sur les escaliers d’un centre communautaire du nord de Londres, Adedoyin, trois ans, attrape au vol le bras de sa grand-mère, l’appelle «mamie» ou «maman», tour à tour. Sa vraie mère, elle ne la voit que toutes les trois semaines entre les quatre murs du centre de détention pour immigrés de Yarl’s wood près de Bedford. Adedoyin risque une expulsion en solitaire vers les Etats-Unis. Ola (1), sa mère, est menacée de retour forcé vers son pays d’origine, le Nigeria.

L’histoire absurde d’Adedoyin commence avant sa naissance. Lorsque sa mère, en visite aux Etats-Unis, est retenue pour une complication de grossesse et accouche en territoire américain. La petite Adedoyin écope de la nationalité locale. Six semaines plus tard, mère et fille reviennent avec un visa de tourisme en Grande-Bretagne, où Ola réside illégalement depuis 1998. La vie d’Adedoyin et de sa mère s’organisent sur fond de débrouille. Ola enchaîne les petits boulots dans des services clientèle, au noir. Mais en 2005, l’argent manque. La jeune femme pousse la porte d’une agence pour l’emploi avec, en poche, un faux passeport, dans l’espoir de décrocher le droit de travailler légalement. Elle se fait prendre. Et est condamnée en février 2007, à dix mois de prison ferme. Elle en purgera cinq.

Débarquée de l’avion. Sa propre mère débarque alors du Nigeria pour s’occuper de la petite Adedoyin pendant l’intervalle carcéral. Mais à sa sortie de prison, Ola est transférée vers le centre de détention de Yarl’s wood, où les immigrés illégaux s’entassent. Le 24 septembre, elle est emmenée à Heathrow et poussée dans un vol vers l’Afrique. Mais la jeune femme résiste. «Ils m’ont battue, insultée. Je me suis mise à hurler que je ne partirais pas sans ma fille. A la fin, le pilote a demandé à ce qu’on me débarque. Je suis revenue à Yarl’s wood», raconte Ola, silhouette immense et verbe précis, dans la salle des visiteurs du centre de détention. Devant elle : une pile de rapports et d’ordres d’expulsion, résumé de sa vie en ordres officiels.

L’article 9 de la convention des Nations unies sur les droits de l’enfant engage les Etats signataires - dont la Grande-Bretagne - à ne pas séparer les enfants de leurs parents. Pourtant, «ces douze derniers mois, nous avons été confrontés à de plus en plus de séparations, confie Amanda Shah, directrice adjointe de Bail for immigration Detainees (BID), une association luttant contre la détention des immigrés et des demandeurs d’asile. Très souvent les parents sont placés à Yarl’s wood pendant que leurs enfants sont laissés à la charge d’un membre de la famille ou des services sociaux.»

Comme des centaines d’autres, Ola attend de pouvoir quitter le centre, où elle survit depuis cinq mois. Mais le 16 octobre, nouveau coup de poignard: ce jour-là, son enfant reçoit une lettre du ministère de l’Intérieur lui ordonnant de se présenter à Heathrow le 23 octobre pour embarquer sur un vol vers les Etats-Unis. Seule. Citoyenne américaine, Adedoyin ne peut être expulsée de force vers le Nigeria avec sa mère. Unique solution au casse-tête: la renvoyer seule dans son pays d’origine. En principe, la chose est légale. Car aucune limite d’âge n’existe en Grande Bretagne à condition que l’accueil des mineurs soit organisé à l’arrivée. Pour faire passer la pilule, les autorités assurent à sa mère qu’Adedoyin sera prise en charge par les services sociaux sur place. «Mais je ne veux pas les laisser envoyer ma fille de trois ans dans un pays où elle ne connaît personne et où elle n’a pas de famille.»

Soins quotidiens. Entre-temps, la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné aux autorités britanniques de stopper les procédures jusqu’à nouvel ordre. Depuis son intervention, le ministère de l’Intérieur a mis de l’eau dans son vin, tentant d’organiser le rapatriement légal de la fillette, avec sa mère, au Nigeria. Sous réserve que les autorités locales acceptent de fournir des papiers officiels à la petite Américaine. Ola, elle, s’inquiète d’une telle solution. Car Adedoyin souffre d’un urétérocèle, une maladie rénale congénitale la contraignant à une surveillance quotidienne. «Je ne suis pas sûre que mon pays puisse offrir le traitement nécessaire à ma fille», souligne Ola.

Celle-ci a jusqu’au 11 janvier pour transmettre des informations relatives à la santé de son enfant à la Cour européenne. Au-delà, elle risque de se retrouver très rapidement à l’aéroport d’Heathrow. Contacté sur le cas d’Adedoyin, le ministère de l’Immigration britannique a répondu mardi par un communiqué : «Nous prenons le bien-être de l’enfant extrêmement au sérieux et nous traiterons toujours leur cas avec attention et sensibilité. Lorsque des familles sont impliquées, nous faisons le maximum d’efforts pour qu’elles demeurent ensemble. Cependant, dans des cas extrêmement rares, les familles peuvent tenter d’utiliser leurs enfants pour entraver les lois sur l’immigration.»

(1) Le prénom a été changé.


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