Kanye West possède le pouvoir. Même s’il déclare que « No one should have all that power », le rappeur américain qui vit dans le 21ème siècle, a été élu le cinquième homme le plus influent du monde, devant des personnalités aussi connus que Jay-Z, Barack Obama ou encore George Clonney. Rien que ça. Sondage réalisé auprès de 500.000 personnes par le magazine américain en ligne Askmen.com, voici un bon moyen de mettre la pression à un Kanye qui est à une semaine de sortir son quatrième album. Que l’on aime ou que l’on déteste l’homme, il sait faire parler de lui, qu’il se retrouve dans un épisode de South Park, un clip de Duck Sauce ou qu’il vole le micro d’une chanteuse insipide à une cérémonie siglée MTV. T.Pusha, Jay-Z et Kid Cudi font partie des featurings de ce nouvel opus qui sent bon un mélange entre repas de famille musicale et repas de potes improvisé, le tout orchestré par un Kanye en forme. Ce dernier, qui supplante l’ensemble, nous plante un décors difficile à oublier une fois qu’on la entraperçu. Loin des gamineries qui l’avait opposé en 2004 à 50 Cent – pour savoir qui allait vendre le plus de disques, loin des pleurnicheries sorties des années 80 en 2007 -pleurnicheries qui avait composé un très bon album, nous voici face à une nouvelle galette de Kanye West et face à un nouveau Kanye West qui aura eu le temps de se préparer après trois ans d’attentes et d’interrogations.
En 2010, nouvelle décennie oblige, le Kanye a décidé de faire parler de lui d’une manière beaucoup plus subtile et fine. Fini les gamineries, fini les pleurnicheries, Nicki Minaj et Hype William sont appelés en renfort pour participer au nouveau court-métrage du rappeur afin de lui donner une certaine crédibilité artistique. L’histoire ? Aucune idée, il faut seulement avoir assez d’images pour y apposer des chansons et, ainsi, commencer à distiller dans les oreilles des auditeurs les futurs sons de My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Quoi de mieux que d’annoncer aux médias 35 minutes de vidéos, d’appeller à la rescousse un mannequin, de produire des images sur une histoire de Phoenix descendu sur Terre histoire de promouvoir un album qui sortirait un mois plus tard ? Quoi de mieux aussi, pour l’auditeur, que d’avoir déjà en tête et en image les dessous de l’album, d’avoir déjà le film en tête avant la bande-originale ? 90% des morceaux du court étant repris sur l’album, voici une belle manière de faire du marketing en agitant un leurre transformé en vidéo pour faire miroiter un futur album. Une pop star oui, mais un très bon communicant en premier lieu. Kanye en a dans la tête et connait assez le rôle des médias pour en user à bon esciens. Les différentes pochettes présentées pour My Beautiful Dark Twisted Fantasy, certaines évidemment censurées pour faire parler, en sont l’exemple parfait. Le court long, c’est la cerise sur le gâteau.
Pour connaître le véritable Kanye West, oubliez donc sa vidéo Runaway, apologie du vide de 35 minutes, concentrez vous seulement sur la bande-son. Une bande-son qui annonce un album de treize chansons dont une interlude ainsi que cinq chansons en bonus. La casquette de compositeur et de producteur seyant plus à Kanye West que celle de réalisateur, la qualité, le corps et la profondeur de ce quatrième album sont bien au rendez-vous. Contenant le titre Power, premier single dévoilé, l’on savait déjà que l’album n’allait pas aller par quatre chemin et ne pas emprunter celui de la mièvrerie à l’image d’un Heartbreak assez poussif sur le précédent 808s and Heartbreak. À l’image de la guitare qui vous déchire la gueule à la 36ème seconde du morceau Power sans que l’on s’y attende, le dernier album de Kanye West se révèle rythmé, épique, suintant la sueur et les combats de gladiateurs nommés Jay-Z, RZA, Pete Rock, Pusha-T, Bon Iver, Common, Curtis Mayfield et Charlie Wilson, qui participent violemment aux chansons musclées produites à l’aide, il me semble, d’un cargo d’amphétamines gonflées à bloc.
Power (feat. Dwele)
Colin Powells, Austin Powers
Lost in translation with a whole f-ckin’ nation
They say I was the obamanation (abomination) of Obama’s nation
Well, that’s a pretty bad way to start the conversation
Des guitares aussi chaudes que froides suivent une batterie savamment frénétique et schizophrénique que l’on retrouve autant dans la composition d’un Power (lui donnant autant cette violence que cette hésitation avant le coup porté) que du morceau Gorgeous en featuring avec Kid Cudi. Dans Wolfgang Amadeus Phoenix, Christian Mazzalai parlait d’une « vision européenne d’Hawai » pour les guitare d’Armistice. De la même manière, Gorgeous pourrait utiliser le même principe d’une certaine vision hawaïenne, ici bien américaine, grâce à l’imagination de Kanye West. Comme si la chaleur des tropiques avait paisiblement débarqué sur un beat hip hop bien salé.
Gorgeous (Feat Kid Cudi & Raekwon) :
All of the lights est dans la droite lignée de la direction prise par un album vitaminé à des combats de trompettes et de rythmes effrénés surplombés par la voix d’une Rihanna parfaitement placé. Le son est évidemment torturé, pris dans les mouvances de la vie, représentée par cette lumière qui semble non pas aveugler, mais attirer dans une arène où les altercations, la vitesse, la drogue, la casse et la violence sont de mise.
All of the lights (feat. Rihanna)
Cop lights, flash lights, spot lights
Strobe lights, street lights
Fast life, drug life
Thug life, rock life
Every night
Les Devil in a new dress et Runaway sont alors là pour reprendre le flambeau d’un Kanye West qui sait faire en mélodies et en harmonies – tout comme le très beau featuring avec John Legend – tandis que Monster et So Appelled, toutes les deux à la suite, forment les bases hip hop de My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Le rythme de Devil in a new dress est lent, la tension est palpable et l’on entre assez facilement dans ces nappes de synthés dans lesquelles on aime se noyer. Runaway, entêtant dès la deuxième écoute, semble représenter la façade sombre de la galette du rappeur de Chicago vite contrebalancée par un Hell of a Life avec sa basse pesante et son refrain catchy aux prises d’une mitraillette affolée. Pour finir l’album, Kanye West convie un autre chicagoan en la personne du grand Gil Scott Heron qui chante tout seul sur un Who Will Survive in America, un morceau complètement hypnotisant et délivrant une odeur de souffre durant 1 minute et 38 secondes, dans la droite lignée du I’m new here de Gil Scott Heron. À l’inverse, les titres See me now (feat. Beyonce) et le remix de Power par Jay-Z, qui sont proposé en bonus, sont carrément dispensables.
So Appelled (feat. RZA, Jay-Z, Pusha T, Swizz Beatz & Cyhi the Prynce) :
Le dernier album de Kanye West se révèle ainsi être d’une très grande maturité, bien plus complexe, désordonné -et à la fois cohérent, que ne l’était son avant dernier 808s and Heartbreak. Bien loin des affres stupides auquel il peut parfois être convié, Kanye West, lorsqu’il se concentre sur ses productions et ses compositions, réussit encore à étonner, alors que My Beautiful Dark Twisted Fantasy ne devait être qu’un EP de collaboration avec les rappeurs Jay-Z et T.Pusha. On en retient de cette album une très bonne cohérence bordélique, une envie de grandiloquence jamais vu chez le Chicagoan et une cinquième place bien méritée d’homme le plus influent du monde. Musicalement, c’est mérité.
Blame Game” (Feat. John Legend & Pusha T) :
Tracklist :
1. “Dark Fantasy”
2. “Gorgeous” (Feat. Kid Cudi and Raekwon)
3. “POWER” (Feat. Dwele)
4. “All Of The Lights” (Interlude)
5. “All Of The Lights” (Feat. John Legend, The-Dream, Ryan Leslie, Tony Williams, Charlie Wilson, Elly Jackson, Alicia Keys, Fergie, Kid Cudi, Rihanna & Elton John)
6. “Monster” (Feat. Jay-Z, Rick Ross, Nicki Minaj, and Bon Iver)
7. “So Appalled” (Feat. Jay-Z, Pusha T, CyHi the Prynce, Swizz Beatz, and RZA)
8. “Devil In A New Dress”
9. “Runaway” (Feat. Pusha T)
10. “Hell Of A Life”
11. “Blame Game” (Feat. John Legend & Pusha T/“The Best Birthday”
12. “Lost In The World”
13. “Who Will Survive In America” (Feat. Gil Scott-Heron)