Histoire du Christianisme: Des temps modernes à nos jours

Par Argoul

Suite de notre compte-rendu de ce livre très dense, consacré à « L’histoire du christianisme », qui vient couronner une série de notes sur  croyance et société, ou la foi et le siècle.

3/ Les temps modernes, du 16ème au 18ème siècle, l’apprentissage du pluralisme ?

La Réforme fait creuser le dogme : Erasme et Luther, liberté ou servitude de l’être humain ? « Luther et Calvin rompirent avec l’Eglise catholique parce qu’ils l’accusaient d’être pélagienne*.  Pour eux, l’homme ne pouvait être justifié devant Dieu que par la grâce et la foi, non par ses œuvres, car il était dépourvu de mérites à cause de sa nature corrompue. Le protestantisme a donc été, au départ, un retour résolu à un strict augustinisme, y compris chez Calvin, à la doctrine de la prédestination. » p.126 Les radicaux des réformes veulent aller jusqu’au bout de l’Ecriture. Calvin, évêque d’Amiens avant de s’exiler à Genève, prône élection, vocation et travail. La voie moyenne anglicane est une lente construction. Rivalités et combats marquent l’époque : Ignace de Loyola et l’aventure jésuite, les Inquisitions, les liturgies nouvelles, la mystique du cœur, du feu et de la montagne, la mystique de l’Incarnation et de la servitude, le jansénisme entre séduction rigoriste et mentalité d’opposition.

Il s’agit aussi d’évangéliser et d’encadrer le monde. « Ignace (de Loyola) demande aussi aux Jésuites de « s’adapter aux sociétés indigènes et de comprendre leurs mœurs. Il demande enfin que des lettres lui soient envoyées régulièrement. Celles-ci, dont le but premier est « d’édifier » la Compagnie, bouleversent aussi les acquis de l’Antiquité. Opposant à l’autorité des livres les certitudes de l’expérience elles ouvrent, au-delà de l’ancien monde, d’immenses horizons d’où naît le sentiment de l’illimité de l’espace. Mais ce qui, dans la découverte des autres, frappe le plus ces hommes du 17ème puis du 18ème siècle, c’est leur ressemblance avec eux-mêmes. La pensée moderne procède dans une large mesure de cette rencontre de l’humanisme et de cet espace nouveau. » p. 333 L’image tridentine se veut ordre et beauté. Rome et Genève deviennent nouvelles Jérusalem de la communication. « Le grand élan éducatif qui soulève la chrétienté à partir du 16ème siècle, est inspiré par deux idées directrices : les hommes et les femmes pèchent et se perdent par ignorance et le remède doit commencer par les enfants (…) le catéchisme et l’école. Il y a des choses qu’il faut savoir pour être sauvé. Cette idée n’a cessé de s’imposer depuis la fin du Moyen-Âge. On ne peut plus se contenter de la foi « implicite » par laquelle les fidèles adhèrent à « ce que croit l’Eglise », sans trop savoir l’énoncer et encore moins le comprendre. Il est nécessaire qu’ils sachent ce qu’ils doivent croire, et même qu’ils sachent en rendre compte. » p. 341 « On ne naît pas homme, on le devient », écrit vers 1500 Erasme, le prince des humanistes (bien avant Simone de Beauvoir, dont tout le monde reprend le propos sur les femmes !)

Des horizons nouveaux de sensibilité apparaissent : Bach et sa musique sans frontières, la critique biblique, le renouveau protestant du piétisme au pentecôtisme en passant par les réveils. Les Saints investissent leur nation des 14ème au 20ème siècle. « Avec près de 60 500 Saints, dénombrés par André Du Saussay en 1626, la France ne doute pas de mériter son titre de fille aînée de l’Eglise. » p. 369 L’Orthodoxie russe va du monolithisme aux déchirures durant les 16ème-18ème siècles.

« C’est dans le monde musulman qu’on trouve aujourd’hui la fidélité la plus explicite à des principes qui furent augustiniens avant d’être islamiques : l’affirmation sans concession de l’absolue transcendance divine, l’acceptation paisible de la volonté de Dieu et l’attente du salut par sa seule miséricorde. » p.128

4/ Le temps de l’adaptation au monde contemporain est le lot des 19ème et 21ème siècles.
 
L’exégèse biblique et les formes de la piété évoluent. La Bible se soumet à  l’histoire mais émergent de nouveaux bienheureux comme Jean-Marie Baptiste Vianney, curé d’Ars (1786-1859). La théologie et le culte marial se renouvellent avec Thérèse Martin, dite de l’Enfant-Jésus ou de Lisieux, (1872-1897). Elle doit son succès à « la crise moderniste : Rome favorise, contre l’intelligence suspecte et condamnée, la révélation de l’intime, la voie du cœur, le recours à la communion fréquente, voire quotidienne. »p. 397 Pie X, soucieux de l’enfance spirituelle, instaure la communion privée.

La doctrine chrétienne, face au monde moderne, se crispe avant de s’adapter en renouvelant le Message. « L’intransigeance touche au plus profond du dispositif intellectuel, mental et affectif des catholiques du 19ème siècle. Essentiellement, elle se définit par le refus de toute transaction, c’est-à-dire de tout recul, de toute concession, de tout accommodement, de tout compromis, de toute compromission, qui mettrait en péril la conservation et la transmission de la foi, des dogmes et de la discipline catholique ; l’intransigeance est aussi, tout à la fois, défensive et offensive, affirmation et condamnation, parfois aussi provocation ou agression. » p. 410 Le catholicisme intransigeant de Pie IX (1846-1878) édite le Syllabus des Erreurs Modernes. Il s’agit de conserver et de transmettre intact « le dépôt de la foi » : l’élan missionnaire est régulé par la congrégation de la Propagande de la Foi ; la personne même du pape est exaltée à travers la presse et l’imagerie catholique ; le Dogme de l’infaillibilité pontificale est proclamé en juillet 1870.

L’Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII (1891) « affirme la légitimité de l’intervention de l’Eglise en matière sociale « dans toute la plénitude de Notre droit ». L’Eglise doit réconcilier les riches et les pauvres « en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels et, avant tous les autres, ceux qui dérivent de la justice. » Aux ouvriers d’honorer le contrat de travail et de refuser la violence, aux patrons de ne point « traiter l’ouvrier en esclave », de respecter en lui la « dignité de la personne », de « donner à chacun le salaire qui lui convient ». L’Etat est fondé à intervenir au nom de sa mission, qui est de « protéger la communauté et ses parties ». » p.417« L’Eglise de Rome (…) continue de voir en (le libéralisme politique de la Révolution) la source de toutes les erreurs modernes, la mère de toutes les hérésies. Elle le tient pour responsable et de la déchristianisation et des maux qui affligent la société. Elle lui reproche essentiellement le rationalisme qui oppose la démarche de l’esprit critique à l’enseignement dogmatique, et l’individualisme qui érige en règle la volonté de l’individu. Cette dénonciation du libéralisme restera longtemps encore la référence pour l’appréciation des autres systèmes. Elle explique certaines sympathies pour des idéologies qui exaltaient l’autorité ou assujettissaient l’individu aux exigences collectives, comme elle été responsable de complaisances prolongées pour des régimes qui se définissaient par opposition au libéralisme. » p.420

Le concile Vatican II (1962-1965) rassemble par convocation du pape Jean XXIII la totalité des archevêques, évêques et supérieurs d’ordres religieux du monde entier en tant que successeurs des Apôtres disposant de la capacité de discuter les matières d’Eglise touchant la foi et les mœurs. Le christianisme est désormais aux dimensions de la planète. Il a subsisté à l’époque ottomane (15ème-19ème siècle), a connu l’action missionnaire des 19ème et 20ème siècles, l’extension du protestantisme en Amérique du Nord. Il erre désormais entre œcuménisme et  interreligieux.

L’histoire et la croyance, la sensibilité et la culture s’entremêlent. Nul ne peut se permettre d’ignorer l’histoire du Christianisme s’il veut comprendre quoi que ce soit aux débats contemporains en France. De l’hérétique franciscain Besancenot au nouveau Saint François Hulot, en passant par la Madone ou par le Cardinal activiste devenu roi – tous anti-libéraux obstinés tel que le définit l’Eglise ! - chacun trouvera sans aucun doute des échos contemporains à cette longue durée…

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Note : * Doctrine du moine Pélage : «  La grâce et le secours de Dieu ne sont point accordés pour chaque acte isolément; mais ils consistent dans le don du libre arbitre, dans la connaissance de la loi divine et de la doctrine chrétienne. - Le libre arbitre n’existe pas s’il a besoin du secours de Dieu : chacun possède dans sa volonté le pouvoir de faire ou de ne pas faire une chose. - La grâce divine nous est attribuée selon nos mérites. - Le pardon est accordé aux repentants, non en vertu de la grâce et de la miséricorde de Dieu, mais selon leurs mérites et leurs efforts, quand, par leur pénitence, ils sa sont rendus dignes de pardon. - La victoire nous vient du libre arbitre, non du secours de Dieu. »