Philippe Montargès, Président de l'open World Forum et dirigeant d'AlterWay débat avec Jean-Pierre Laisné, President de l'OW2 et responsable open source chez Bull. J'ai eu le plaisir, non dissimulé, d'animer ce débat autour de la question: "innovation ouverte et des les logiciels libres / open source: Parle-t-on réellement de la même chose ?"
Pour appuyer les termes de ce débat, je vous proposons une synthèse , sous le lien vidéo, des travaux de recherche de Henry W. Chesbourg qui est Professeur à l'Havard Business School de Boston et à l'origine du concept d'innovation ouverte (ce passage est issu de mes travaux de recherche au sein du Centre de Recherche en Management de l' IAE de Toulouse, Université Toulouse 1).
Cette vidéo sur Intelli'N TV
Mr Chesbourg propose un nouveau modèle pour conceptualiser les liens entre l'innovation et l'entreprise. Pour démontrer la pertinence de son modèle, l'auteur l 'oppose à celui plus conventionnel de l'innovation fermée. Le modèle traditionnel de l'innovation fermé est celui qui a été le plus couramment utilisé au cours du vingtième siècle. Le principe consiste à investir dans la recherche au sein d'un service R&D interne et de garder secret les résultats afin de ne pas faire bénéficier les concurrents de ses découvertes. Il correspond à un marché dominé par de grandes firmes qui maintiennent de fortes barrières à l'entrée grâce à des investissements technologiques et humains importants et en s'appuyant sur une forte opacité de leurs résultats scientifiques. Le leitmotiv est « les meilleures innovations sont celles qui sont maîtrisées ».
Autrement dit les entreprises veulent maîtriser le développement mais aussi la fabrication, la distribution et les services associés de leur invention. Cette approche prône l'intégration complète des processus avec comme mot d'ordre « Si tu veux bien faire, fais-le toi-même. ».
Elle correspond à une vision restrictive de l'innovation, qui a prévalu des années durant et qui consiste à penser qu'il n'existerait qu'une seule bonne façon de mettre à profit une technologie, une innovation. Cette conception a d'ailleurs particulièrement bien fonctionné durant la plus grande partie du siècle dernier. Elle a permis à de nombreuses firmes d'avoir une politique d'innovation pro-active et ainsi de s'imposer sur leurs marchés grâce à des innovations souvent les plus efficientes. Cette politique a, de plus, généré des retours sur investissement importants grâce au monopole de droit sur l'innovation. Monopole d'autant plus appuyé, que ces firmes avaient une utilisation agressive de la propriété intellectuelle contre d'éventuelles exploitations de l'innovation par des compétiteurs. A la fin du vingtième siècle plusieurs facteurs ont peu à peu sonné la fin de la pertinence de ce modèle. Par exemple, la croissance de la mobilité des salariés : ils emportent avec eux une partie de l'expertise de l'entreprise et favorisent la diffusion de leurs recherches. Un autre est l'importance d'entreprises spécialisées dans le financement qui aide des petites structures à créer et à commercialiser des innovations en dehors des circuits classiques.
A l'opposé, se trouve un modèle défini comme plus moderne, car il correspond aux problématiques actuelles des entreprises innovantes : c'est le modèle de l'innovation ouverte. Dans ce modèle, les entreprises commercialisent aussi bien leurs propres innovations que celles dérivées de leurs activités sur des marchés nouveaux et utilisent les idées des acteurs du marché pour les intégrer dans leur processus d'innovation. L'entreprise est poreuse à son environnement, ce qui lui permet de mutualiser ses connaissances avec l'ensemble des savoirs disponibles sur son marché mais aussi dans des filières nouvelles.
Cette approche favorise de nouveaux comportements entrepreneuriaux, par exemple une politique de propriété intellectuelle plus souple, favorisant les externalités via les licences. D'autres possibilités s'offrent aussi aux entreprises comme les coentreprises ou tout autre arrangement leurs permettant de mettre à profit leurs technologies.
Une autre différence majeure entre les deux modèles est l'étude des opportunités des projets. Dans une entreprise fermée, on valorise les idées en fonction des contraintes techniques, de distribution et de commercialisation de l'entreprise. Ainsi de « bonnes idées » peuvent être mises de côté au profit d'idées qui correspondent davantage au profil de la structure. Cette sélection se fait de la même façon dans une entreprise ouverte, la différence étant que l'on va étudier les possibilités de développement de l'idée dans des filières externes à l'activité principale. Le taux de rentabilité de la R&D augmente donc car plus d'idées sont viabilisées sur de nouveaux marchés. Mr Chesbourg constate que toutes les industries ont, ou vont, migré vers l'innovation ouverte. Il s'agit là d'une continuité pour assurer l'efficience de l'activité. Des exemples tel que la pharmacologie, l'informatique, le cinéma, les biotechnologies et les télécommunications en autres.
Ce qui ressort de ce modèle est que l'entreprise, et à travers elle le processus d'innovation, dépend de l'ouverture de celle-ci sur son environnement. Les innovateurs ouverts intègrent les sources externes et développent grâce à elles des avantages compétitifs sur les autres firmes du secteurs.