Adulée pour ses scènes d’action surpassant de loin celles des deux autres films de la série, mais jugée infidèle à l’esprit de ces dernières pour sa seconde partie, cette suite à Mad Max 2 : le défi n’a laissé personne indifférent chez les fans de la première heure. On peut néanmoins s’accorder à dire qu’elle présente quelques éléments supplémentaires qui permettent de mieux cerner l’univers de la trilogie tout en le prolongeant à travers l’exposition d’une évolution de cet avenir possible – au contraire de ce qu’affirment les détracteurs du genre, quel que soit le média sur lequel il s’exprime, Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre démontre bien que le post-apocalyptique ne se répète pas sans cesse mais peut très bien esquisser lui aussi, au moins à sa manière, une « Histoire du Futur » (1) ou en tous cas quelque chose qui y ressemble beaucoup.
Le premier de ces éléments, qui saute aux yeux, c’est la civilisation. À la barbarie sauvage et généralisée du volet précédent de la série succède un premier pas vers l’urbanisation soumise à des lois pour assurer le « vivre ensemble » : ainsi Barter Town se pose en lieu d’échanges et de troc – balbutiement du commerce qui contribua beaucoup, dans l’antiquité, à permettre l’enrichissement des cultures à travers la transaction des biens. Mais cette ville en reste à un stade assez primitif sous ses illusions de technologies mues par énergie à base de fientes de porcs dont est extrait le méthane, un gaz à fort rendement explosif : par exemple, les différents se règlent sous le « Dôme du tonnerre » par un affrontement direct entre les deux partis en désaccord, dans ce qui a tout l’air des jeux du cirque romains ; les conflits personnels et vendettas de tribus trouvent là de quoi se résoudre sans dommages collatéraux, de manière presque pacifique donc.
Cette civilisation basée sur une forme primitive de commerce se double naturellement de prémisses de société de consommation, ou assimilés. Outre l’utilisation d’énergie déjà évoquée, on y trouve des harangues de vendeurs farcies de ce qu’on peut appeler des slogans publicitaires – même s’il s’agit surtout de vestiges de la civilisation précédente qui transparaissent à travers ceux qui en conservent le souvenir. Il y a aussi des enseignes lumineuses, pour les bars notamment – même si ça semble assez anecdotique sur le fond. Mais on peut aussi voir des jeux sous forme d’une sorte de loterie avec son cortège d’hôtesses en petite tenue comme dans les émissions télévisées aujourd’hui : une « Roue de la Fortune » destinée à résoudre un autre genre de conflit, celui de l’accord non respecté – la sentence va du pardon à la mort, avec toutes les étapes intermédiaires. Max aura bien sûr à l’affronter et, pour une fois, il aura de la chance : j’y reviens plus loin…
Et toute cette politique – puisque ce terme désigne avant tout l’art de régir la cité – s’accompagne bien sûr de son cortège d’accords, d’arrangements, de rivalités pour le pouvoir, de complots enfin… Car Entité ne dirige pas Barter Town seule : la production du précieux méthane se trouve entre les mains de Maître Bombe qui sait combien cette civilisation dépend de lui, de ses cochons et de son bon vouloir à en extirper ce dont Barter Town tire sa modernité. On en revient à la problématique de départ de la série des Mad Max : l’énergie comme base incontournable de la civilisation industrielle, que les politiciens de jadis poussèrent au désastre suite à leur gestion lamentable – échec qui semble ici bien près de se répéter. Ainsi Au-delà du dôme du tonnerre s’articule-t-il autour de cette simple question : les habitants de Barter Town peuvent-ils vraiment attendre une solution d’un moyen qui s’est en fin de compte avéré un fiasco ?
L’actualité récente a bien démontré que non. Entre d’une part les privilèges que s’octroient les puissants en refusant de partager leurs richesses, seules à même de permettre d’envisager des technologies nouvelles et moins tributaires des énergies non renouvelables, mais aussi d’autre part à travers la seconde guerre du Golfe, dont on sait bien qu’elle a surtout servi pour les compagnies américaines à mettre la main sur les gisements pétrolifères d’Irak, c’est notre système politique global qui s’avère défectueux ; en bref, notre rapport à l’autre, à ses besoins et à leur expression comme à leur satisfaction – c’est-à-dire la nécessité de réinventer la démocratie au final : dans Au-delà du dôme du tonnerre, les habitants de Barter Town n’ont recréé la civilisation que pour reproduire les schémas autophages responsables de la destruction de l’ancien monde ; leurs modes de pensée restent inchangés et c’est bien ce qui les menace…
Voilà pourquoi le film s’oriente par la suite, d’une manière somme toute assez logique, je veux dire sur le plan narratif comme sur celui des idées, vers cette deuxième moitié tant décriée par les fans de la première heure. Peut-être parce que leur découverte de la série des Mad Max remonte à leur adolescence, puisqu’on se penche rarement sur ce genre de productions avant cet âge, qui d’ailleurs se caractérise souvent par un état d’esprit assez misanthrope : si les deux premiers films de la trilogie correspondent assez bien à cette conception de la vie, ce troisième s’oriente dans une direction bien différente, d’une part à travers les divers éléments déjà évoqués – mais qui restaient assez dans la continuité des réalisations précédentes pour ne pas décevoir les attentes – et d’autre part avec la prochaine rencontre de Max dans son odyssée – des jeunes gens et des enfants bien à l’abri dans une oasis au milieu du wasteland résidu de l’apocalypse qui a englouti la civilisation.
Bien que pour le moins surprenant, car en apparence hors de propos par rapport au reste de l’histoire mais en réalité dans sa continuité logique, cet élément représente bien sûr l’espoir de la fondation d’un monde nouveau à travers les yeux d’enfants affranchis des erreurs de leurs parents – ces adultes qui ont certes connu le monde d’avant mais qui ont ici disparu, laissant ainsi leur progéniture libre du poids d’un passé où prennent racine ces passions responsables de la chute de la civilisation. C’est donc une vision positiviste que propose ce troisième opus, en ouvrant l’univers de Mad Max vers un avenir prometteur ; aspect renforcé par l’influence de ces enfants sur Max lui-même : en les guidant hors de l’oasis, image évidente du giron de la mère, il en fait des adultes et remplit ainsi ce rôle du père que lui a jadis volé le gang des « Aigles de la Route » en assassinant sa famille (2) – à travers cet ultime épreuve, Max trouve une forme de rédemption, de salut qui lui permet d’effacer enfin ses cicatrices.
Ce sont donc d’assez nettes évolutions que propose en fin de compte Au-delà du dôme du tonnerre, à la fois sur l’univers de Mad Max comme sur Max lui-même : en ouvrant le récit – pris dans la globalité que représente les trois films – vers un avenir où le plus beau viendra sans aucun doute, mais aussi en dépeignant un personnage principal redevenu héros car enfin parvenu à vaincre ses démons, Au-delà du dôme du tonnerre s’affirme comme le plus brillant des opus de la trilogie, et une conclusion (3) bien à la hauteur d’une série devenue un classique incontesté de la science-fiction.
(1) dans le vocable de la science-fiction, terme désignant une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment.
(2) élément narré dans le tout premier Mad Max.
(3) conclusion longtemps restée définitive mais qui connaîtra très certainement une séquelle, Mad Max 4: Fury Road, dont la sortie est planifiée aux États-Unis pour 2012.
Note :
Si on sait depuis le prologue de Mad Max 2 : le défi que la situation politique internationale esquissée dans le tout premier Mad Max a dégénéré jusqu’à une guerre entre les deux grandes puissances de cet avenir hypothétique, c’est seulement dans Au-delà du dôme du tonnerre qu’est confirmé l’usage d’armes nucléaires au cours de ce conflit. Cet élément a priori anecdotique – du moins à cette époque où le spectre d’une troisième guerre mondiale, entre les USA et l’URSS, restait vivace – soulève néanmoins un problème épineux : un tel conflit ne devrait en théorie laisser aucune forme de vie sur la planète – hormis certaines espèces insensibles aux radiations, comme les scorpions. Pourtant, ce film démontre bien qu’il y a eu des survivants…
En laissant de côté le fait que le seul moyen de prouver qu’une guerre nucléaire détruirait effectivement toutes formes de vie sur Terre serait d’en lancer une, expérience bien sûr impossible à envisager, la seule explication qui s’offre est que cette guerre ne vit qu’un usage limité des armes nucléaires – disons assez pour détruire les villes principales mais trop peu pour rendre le monde inhabitable – avant que la chaîne de commandement des deux pays en conflit s’effondre en totalité, rendant ainsi la poursuite des bombardements impossible ; par la suite, les gangs devenus pillards plus ou moins organisés auraient achevé ce qu’il restait de la civilisation.
Ceci explique pourquoi il est fait plusieurs mentions de l’apocalypse nucléaire au cours du film : des missiles sont bien tombés, des gens en ont vu, mais il y a eu des rescapés pour le dire et transmettre la mémoire de cette fin du monde aux survivants et aux nouvelles générations. C’est dans les limites qui sont les miennes la seule explication possible que j’ai pu trouver aux divers éléments présentés dans le film.
Chroniques de la série Mad Max :
1. Mad Max
2. Mad Max 2 : le défi
3. Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre (le présent billet)
Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre (Mad Max Beyond Thunderdome)
George Miller & George Ogilvie, 1985
Warner Home Video, 2008
107 minutes, env. 10 €
- d’autres avis : Critictoo, Ciné Borat
- Mad Max Movies : site de fans avec de nombreuses FAQ (en anglais)