Retards, difficultés, incidents se multiplient dangereusement.
Il n’est plus un seul grand programme aéronautique qui ne souffre de sérieuses difficultés techniques ou industrielles, faisant s’envoler les retards de production, reportant les livraisons ŕ des clients mécontents. Du côté militaire, il est ŕ peine besoin de rappeler que l’A400M a longuement défrayé la chronique, au point de déstabiliser EADS. Aujourd’hui, l’amendement au contrat multinational étant enfin paraphé, experts et analystes peuvent ŕ nouveau tourner leur regard vers les Etats-Unis et s’intéresser plus particuličrement ŕ l’ambitieux Lockheed Martin F-35, alias Joint Strike Fighter, lequel accuse des retards sans cesse renouvelés. Les partenaires européens du programme s’en inquičtent ŕ juste titre et, du coup, on résiste difficilement ŕ l’envie de leur reprocher vertement d’avoir choisi un fournisseur américain…
Côté civil, la situation est pire. Ainsi, les problčmes qui affectent le Rolls-Royce Trent 900 sont tout ŕ la fois graves et étonnants. Le gros moteur britannique a en effet connu une entrée en service dépourvue de heurts. Aussi une explosion Ťnon contenueť frappe-t-elle les esprits, d’autant qu’il apparaît que l’A380 de Qantas a subi des dommages qui auraient pu le mettre en grand danger. L’enquęte progresse tandis que le motoriste britannique dissimule au mieux l’inquiétude qui, ŕ n’en pas douter, l’envahit. Son image souffre de l’incident et, bien entendu, puisque telle est la rčgle, il est dit et répété que les conséquences financičres de l’incident seront, elles, contenues. Actuellement, 21 Airbus A380 dotés de Trent 900 sont exploités par Singapore Airlines, Lufthansa et Qantas. Lesquelles se seraient évidemment bien passées de cela.
Autre incident, tout aussi grave, lui aussi trčs technique, celui survenu ŕ un A321 de la compagnie britannique BMI. Dans ce cas, c’est l’information qui a été contenue pendant plusieurs semaines et c’est avec retard qu’il est apparu que les écrans des deux pilotes se sont éteints, que le vol entre Beyrouth et Khartoum a continué avec les seuls moyens de secours. Qui plus est, la commande de trim s’est déclenchée inopinément, semble-t-il. Faute de disposer d’informations suffisamment précises, il serait malvenu d’aller plus loin, si ce n’est pour affirmer qu’un tel problčme ne devrait en aucun cas se produire. Une affirmation ex cathedra qui fera évidemment bondir les hommes de l’art mais qui résume la perception extérieure de l’incident.
Plus loin de nous, c’est le nouvel avion régional chinois ARJ21 qui est entré dans la tourmente : au cours des essais statiques de résistance de la cellule, la voilure s’est brisée en-dessous de la limite théorique. Comac devra reprendre ses calculs, étudier les modifications requises, travail qui retardera considérablement certification et premičres livraisons.
Au męme moment, du bout des lčvres, Airbus reconnaît enfin que l’A350XWB prend du retard. Trčs optimiste, l’avionneur européen n’en affirme pas moins que le biréacteur long-courrier entrera quand męme en service ŕ la mi-2013. Wait and see…
Nous avons gardé le meilleur pour la fin. Le Boeing 787 Dreamliner ne fait plus du tout ręver. Tout au contraire, il suscite perplexité et impatience. Déjŕ trčs en retard, il est maintenant cloué au sol, aprčs l’incendie d’origine électrique survenu ŕ l’un des cinq avions participant aux essais en vol. Les dirigeants de Boeing gardent leur calme olympien tandis que des sources journalistiques crédibles évoquent un retard supplémentaire qui pourrait atteindre une dizaine de mois. Et, entre-temps, le 747-8 ne progresse que lentement.
De lŕ ŕ mettre en doute la crédibilité de l’industrie aéronautique tout entičre, il n’y a plus qu’un petit pas ŕ franchir. D’un côté, elle maîtrise, dit-elle, les technologies de pointe, prétend ętre un vecteur de progrčs. De l’autre, elle expose de singuličres faiblesses qui, par moment, font peur. Est-ce le résultat de l’influence exagérée des financiers ? C’est l’hypothčse la plus répandue, alors qu’eux-męmes ont échoué. A quand le premier acte de contrition ?
Pierre Sparaco - AeroMorning