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Anthologie permanente : Pierre Morhange (et Franck Venaille)

Par Florence Trocmé

Jeux d’écho autour des belles pages que Franck Venaille, dans C’est nous les Modernes (Flammarion, 2010) écrit à propos de Pierre Morhange. 
 
 
« Pierre Morhange et la souffrance active. Face à cette poche noire qui hantait Artaud, cette enveloppe charnelle et mentale ne contenant que vide et visions du néant, à l’intérieur de ces ténèbres qui, sûrement, transportent avec elles tout un pan d’anxiété, un homme souffre. Chaque évènement imprévu le blesse et s’il choisit la solitude, c’est qu’il a bien compris que la douleur morale s’accepte, se dompte et s’apprivoise, se combat mieux dans le silence, le renfermement, le repli en bon ordre de soi [...] Devant ces visions et les sensations ressenties, il appelle la mort, convoque la folie, qui, très vite, lui paraissent indignes de lui. Alors, pour lutter, faire face à la cruauté ambiante et à l’angoisse qui en découle, il écrit. Voilà le travail auquel se livre l’alchimiste Morhange : opérer une transmutation telle de ses sentiments qu’ils puissent devenir autre chose et pourquoi pas un poème ! Dès lors sa vie active se tient là : dans les mots, l’écriture de textes hachés, acerbes, heureux parfois, "nés d’un coup" disait-il, mais travaillés et repris jusqu’à l’usure de la pointe de son crayon, poèmes d’une sorte de visionnaire de l’Histoire, qui prédit, dénonce, hurle de rage. » 
Franck Venaille, C’est nous les Modernes, Flammarion, 2010, p. 99 
 
 
Le poème sorti du vide 
 

 
Nom de Dieu, j’en parlerai du vide, 
Je le dirai ce que c’est à nous,  
Poètes d’aujourd’hui, le vide, notre aigle, 
Notre patrie, notre air, notre chemin, 
Notre mère, notre lit, 
Là où nous nous reposons et avons peur, 
Là où nos cris ne sont pas entendus 
Mais là d’où nous sortons 
Illustrement abondants de vie. 
 
II 
 
Vide comme une plaine, 
vide comme un écho, comme une clameur de trompe ? 
Ô vides qui courent dans le monde,  
Grondant le vide, le vide.  
 
Vide dans le thorax, dans le corps du poète ! 
Qu’est donc ce vase de sang et de peau, 
Qu’est donc cette forme qui ne se dissout pas 
Quand le vide tout puissant s’y installe ? 
Qui regarde et maintient ce corps et ce thorax, 
Qui maintient la forme de son corps 
Et pourquoi et pourquoi ce cœur encore bat-il ?  
Pourquoi ce cœur bat-il encore : 
N’a-t-il pas vu qu’il bat seul dans le vide 
Et qu’il est envahi comme par la nuit, 
Dans les ténèbres du sang et des côtes ? 
L’esprit tondu et refroidi 
Est roulé comme une araignée morte, 
Le cerveau est une chambre sans meubles et sans tapis 
Qui résonne, où la poussière, seule habitante, tombe lentement sur le parquet. 
Et le cœur bat ! Comme un ouvrier modèle, 
Il continue de frapper et de tirer le fil du souffle, 
Alors devant cette merveille 
Jaillit le poème 
Voluptueusement. 
Et d’un seul coup, cette tripe vide et indigne 
Résonne plus qu’un autre antre du monde 
Du bruit glorieux et humain de la vision, 
Couleurs, chants, cris, l’espoir et l’abondance, 
La fureur, la bravoure et le vaste regret 
Étaient entrés. Ils n’entrent jamais, 
Il faut croire qu’ils étaient ici de toute éternité 
Qu’ils choisirent ce lieu, que c’est le temple 
De la joie, de la science, de la conquête.  
 
Moi seul, le poète, je sais que c’était 
Plus que le désert désolé. 
 
Pierre Morhange, La Vie est unique, Gallimard, 1933, 1960, p. 75.  
 
Pierre Morhange dans Poezibao :  
bio-bibliographie ext. 1 


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