Dans un climat économique et social difficile, le microcrédit s’impose comme une solution pragmatique, répondant à une véritable mission sociale de développement, tout en conservant un but lucratif. Malgré un fort développement ces dernières années, le microcrédit, et notamment celui s’adressant aux ménages les plus modestes, est à la recherche d’un second souffle que seul le système bancaire national semble être à même de permettre.
Retour sur le concept de microcrédit
Le microcrédit s’adresse à une population ne pouvant souscrire à une demande de prêt dans un établissement bancaire classique. Comme tout crédit, il engage la responsabilité de l’emprunteur par une obligation de remboursement assorti d’un échéancier et d’un paiement d’intérêt. Il ne s’agit en aucun cas d’une aide ou d’une subvention. Cependant, il doit être associé à un projet que le microcrédit a pour unique but de faire vivre. Si le projet survit, il permettra ainsi à son bénéficiaire d’avoir recours par la suite au système bancaire classique.
On distingue deux types de microcrédits. Le premier est destiné à financer la création, le rachat ou la consolidation d’une petite entreprise artisanale ou commerciale, et permet à son dirigeant de créer ou de conforter son propre emploi. Il s’agit ici d’un microcrédit professionnel pour lequel le financement ne va pas au delà de 25 000€. Le second, appelé microcrédit personnel, concerne les ménages à faibles revenus, les personnes interdites bancaires ou inscrites au FICP[1]. Le montant de ce type de microcrédits varie entre 300€ et 3000€ et permet de financer des projets de réinsertion sociale (accès à l’éducation, mobilité, équipement informatique…) Il permet souvent une réinsertion professionnelle et par conséquent la possibilité pour les plus pauvres de se projeter à nouveau dans l’avenir. Ce type de microcrédit est récent en France et connaît une forte croissance – 473 dossiers financés en 2006 pour 5520 en 2009.
Le microcrédit est dit « extra-bancaire » lorsqu’il est octroyé par des institutions de microfinance (IMF) de type associatives, et « bancaire » lorsque le distributeur est un établissement de crédit.
Typologie du microcrédit en France
La France bénéficie d’une antériorité certaine en Europe en termes de microcrédits professionnels, grâce à la création de l’ADIE en 1989. Depuis plus de vingt ans, l’association, reconnue d’utilité publique, a octroyé plus de 80000 microcrédits, pour un montant dépassant les 220 millions d’euros. Son activité aura ainsi permis le financement de plus de 65000 entreprises et la création de près de 80000 emplois. Avec 130 antennes et 380 permanences réparties sur l’ensemble du territoire, l’ADIE dispose d’une couverture et d’une offre nationale. Précurseur en la matière, son action aura permis de favoriser, dans son sillage, l’entrée de nouveaux acteurs dans ce marché et notamment la mise en place systématique d’un accompagnement lié au projet de l’emprunteur. Les accompagnants sont des acteurs de la solidarité ayant signé une charte de partenariat avec le distributeur (Secours Catholique, Restaurants du cœur, réseaux France Active…) Pierre angulaire de la gestion du dossier, ils jouent un rôle d’encadrement, de conseil et d’éducation auprès d’emprunteurs qui ne sont pas toujours familiers avec le mécanisme du crédit et de l’attitude responsable qu’ils doivent adopter.
Fort de cette expérience, le modèle français s’est construit en se distinguant fortement de celui appliqué dans les autres pays. En effet, les personnes dites « à faibles revenus » en France bénéficient non seulement d’une protection sociale et de minimas sociaux, mais aussi d’une reconnaissance et d’un appui conséquent de la législation pour la réinsertion sociale et la création d’entreprise. Cette volonté publique se précise en 2001 avec La loi des nouvelles régulations économique. Elle autorisera les IMF à se refinancer auprès des banques pour les prêts consentis aux chômeurs et titulaires de minimas sociaux. En 2005, l’effort se poursuivra avec la loi pour la cohésion sociale. Celle-ci créera le Fonds de cohésion sociale, dont le rôle est d’apporter sa garantie à hauteur de 50% auprès des établissements bancaires, relativement aux prêts octroyés aux chômeurs et aux bénéficiaires de minima sociaux désireux de créer une entreprise. Enfin, la loi pour la modernisation de l ‘économie en 2008 autorisera une IMF à emprunter auprès des banques pour augmenter ses fonds propres et ainsi développer son offre de prêt.
Une volonté de développer ce type de produit
Le total des microcrédits consentis sur le territoire est lui en pleine croissance, atteignant 63 M€[2] en 2009, pour près de 30 000 dossiers financés, il a triplé en 3 ans. Les résultats sont au rendez-vous, puisqu’en agrégeant les résultats des trois principaux canaux de distribution du microcrédit en France (L’ADIE, France Active et France Initiative), le microcrédit a permis en 2008 la création ou la consolidation de plus de 51 000 emplois, ainsi que la création ou la reprise de plus de 27 000 entreprises. Enfin, selon l’ADIE, le taux d’insertion des personnes financées[3] avoisinerait les 80%. Le microcrédit n’est donc pas la solution miracle, mais constitue en revanche un dispositif solidaire efficace offrant des solutions pragmatiques et d’actualité pour les personnes les plus touchées par la crise.
Le constat reste néanmoins mitigé en termes de types de microcrédit. Si le microcrédit professionnel est aujourd’hui bien implanté en France, le microrédit personnel souffre de la faiblesse des dispositifs mis en place. Essentiellement distribué, quant à lui, par le réseau bancaire et les banques coopératives et mutualistes, et même s’il est en forte progression aujourd’hui, il porte encore sur un nombre d’opérations très faibles. En effet, alors que 28 863 dossiers de microcrédits on été octroyés en 2009 pour un encours moyen de 5 287 euros, seuls 5 520 concernaient des microcrédits personnels. Les banques restent encore réticente à élargir leur offre de microcrédits personnels, dans la mesure où les montants en jeu sont très faibles et les coûts de gestion par dossier élevés.
Par ailleurs, le canal de distribution associatif, semble parvenu à ses limites naturelles sur certains segments. Après 20 ans d’expérience, la gestion des coûts demeure une problématique sensible, voire cruciale et ralentit fortement le développement du microcrédit En effet, les IMF abordent le microcrédit en termes de coûts complet du fait de leur forte spécialisation, les banques raisonnent en termes de coût marginal. A titre d’exemple, le coût de gestion d’un microcrédit consenti par Créasol est 1,4 fois supérieur[4] à celui du « parcours confiance » des Caisses d’Epargne. Autre exemple, sur le segment des ménages les plus modestes : pour atteindre l’équilibre financier et amortir les coûts de gestion sur ce type de microcrédit[5], l’association devrait tripler son volume de prêt ou pratiquer des taux d’intérêt avoisinant les 32%[6].
C’est pourquoi le marché du microcrédit resterait largement sous-exploité avec une demande pouvant atteindre 300 000 prêts par an (selon l’AIDE). En effet, 5 à 6 millions de personnes demeurent exclues du circuit bancaire traditionnel, et 20 à 30% de la population ne peut avoir accès au crédit classique en raison de nombreux critères exigés. Les effets de la crise se greffent à ces difficultés, en durcissant les conditions d’octroi du crédit.
Ainsi, nombreux sont les spécialistes du secteur à prôner une entrée résolue du secteur bancaire dans le champ du microcrédit.
Sia Conseil / Source : Le Baromètre du microcrédit 2010 et le Rapport IGF 2009 – Microcrédit
Sia Conseil / Source : Le Baromètre du microcrédit 2010 et le Rapport IGF 2009 – Microcrédit
Une place à prendre pour les banques
C’est dans ce contexte que les banques peuvent tirer leur épingle du jeu. Le développement à plus grande échelle d’une offre de microcrédit pourrait en effet avoir plusieurs retombées positives :
- Conquête de clientèle : le microcrédit est un levier pour l’accessibilité future au crédit bancaire. Son développement est stratégique pour les établissements bancaires puisqu’il permettrait d’attirer un nouveau canal de clients qui à court et moyen terme pourront réintégrer le circuit bancaire. Dans la mesure où les clients sont prescrits par les accompagnants et qu’ils assurent de plus une pré-instruction des demandes, les banques bénéficient de coûts d’acquisition de clientèle et de gestion de dossiers réduits en matière de microcrédit.
- Prévention d’une nouvelle réglementation contraignante : Une démarche proactive des banques pourrait permettre d’anticiper la mise en place d’une règlementation contraignante pour augmenter l’offre de crédits bancaires aux plus pauvres sur le modèle du Community Reinvestment Act mis en place aux Etats-Unis en 1977.
- Enjeux d’image et de développement durable : Le microcrédit personnel est un produit fondé sur un modèle économique permettant rentabilité et aide aux personnes les plus affectées par la crise. En cela il s’agit d’un produit économiquement et socialement viable.
- Risques limités : Il ne s’appuie pas sur des produits spéculatifs, et bien que s’adressant à une population peu solvable, le risque bancaire semble raisonnablement maîtrisable par la mise en place d’un accompagnement adapté, à laquelle s’ajoute la garantie apportée par le FCS.
Par ailleurs, les établissements de crédit pourrait proposer des conditions plus avantageuses que les IMF, ainsi qu’une accessibilité accrue, en capitalisant sur leur l’implantation régionale, leurs moyens financiers, humains et technologiques. Les banques peuvent activer le levier du volume pour avoir une meilleure gestion des coûts que les IMF. Les banques pourraient atteindre un niveau d’équilibre, selon la Caisse des Dépôts, avec des taux entre 12% et 14%.
Plusieurs points clefs seraient cependant à prendre en compte pour le déploiement à grande échelle d’une telle offre. Les banques ne disposant pas de réseau d’accompagnement interne, elles devront tout d’abord mettre en place ou renforcer les partenariats avec ces derniers. Ensuite, elles devront trouver le moyen de distribution le plus efficient : le point de contact le plus efficace en termes de fidélisation pourrait être l’agence bancaire, mais cela impliquerait une formation à grande échelle des conseillers. Enfin, il faudrait mettre en place les processus et incentives adéquats pour éviter que ce produit, ne soit distribué en remplacement de crédit à la consommation, qui bénéficie de taux moins élevés.
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