Sarkozy a réussi un exploit avec son remaniement. A rebours de ceux qui y voient une défaite et la marque de l'impuisssance, Sarkozy a en réalité enterré et l'affaire Woerth et l'opposition des français à la réforme des retraites. In fine, ces deux événements ont moins intéressé les chroniqueurs parisiens que le fait de savoir si tel ou tel allait garder son poste - le fameux "remaniement".
Tout est donc prêt pour la "séquence" suivante, avec un Sarko en chef de manoeuvre face à une gauche éclatée.
Pourquoi la gauche politique et syndicale reste-t-elle amorphe face à tant de scandales, c'est une énigme sur laquelle se pencheront plus tard les historiens.
J'avais pour ma part, avancé l'idée que pour le PS, côté "gauche" politique, son silence vient, au minimum sur les retraites, du fait que la réforme provenant d'orientations européennes, il sait qu'elle est inéluctable dans un cadre européen (cf. Non à la réforme Sarkozy-Jospin). Hors le PS veut boire le cadre européen jusqu'à la lie.
Ce que je n'avais pas vu, c'est que les syndicats ont aussi été, en réalité, complices de la réforme des retraites.
Lorsque Chérèque, le 25 octobre dernier, annonce à Parisot qu'il veut négocier sur l'emploi des jeunes et autres sujets annexes, il enterre l'opposition à la réforme des retraites - au moins pour la CFDT.
Ce qui est formidable c'est qu'à ce moment là, au lieu de traiter de jaune celui qui vient d'abandonner, les autres confédérations, FO et CGT, se taisent. Elles ont donc, elles aussi, validé la réforme avant même son vote définitif.
En réalité, à aucun moment les syndicats n'ont entendu arrêter la réforme. Ils ont failli être dépassés par leurs bases, ça oui, mais les trois grandes confédérations ont orchestré un simulacre de protestation, faisant prendre l'air aux manifestants tous les 15 jours sans jamais engager de bras de fer réel avec le gouvernement.
Je comprends mieux cette position, après avoir lu, grâce à Fred Delorca, que la Confédération Européenne des Syndicats, à laquelle appartiennent nos trois confédérations syndicales, a approuvé le principe des fonds de pension - donc les grandes orientations européennes en matière de retraites qui sont appliquées par Sarkozy - en mai 2003. Daniel Shapira en juin 2003, exposant cette forfaiture, citait les textes adoptés par la CES, en ajoutant ses commentaires :
« Il faut adapter les régimes de protection sociale aux nouvelles formes de travail, à l'évolution des structures familiales et au vieillissement démographique. Les droits à la protection sociale doivent être des droits individuels. »
Il s'agit là très exactement des arguments de la Commission européenne et des gouvernements pour justifier l'allongement de la durée de cotisation. Et cela ne s'arrête pas là : « La défense
de la pérennité des régimes de pension publics, reposant sur la solidarité entre les générations et financés par répartition, reste notre priorité absolue. En raison du vieillissement
démographique, les États membres doivent se préparer à une hausse des coûts des pensions. Il faut constituer des réserves pour soutenir les régimes statutaires à long terme. Les fonds de pension
professionnels ne peuvent constituer qu'un second régime de pensions. »
Donc la CES accepte les fonds de pension… et, par là même, la liquidation des retraites par répartition.
Voilà donc le degré de déliquescence où nous amène le consentement à l'Europe. La politique française devient un théatre, mais du théatre joué en japonais qui ne serait pas sous-titré. Les français ont cru assister à un bras de fer entre la droite conservatrice représentée par Sarkozy, face à la gauche politique et syndicale représentée par le PS et les trois grandes centrales. En réalité, tous, Sarko, PS et syndicats, savaient que, la pièce ayant été écrite à Bruxelles près de dix années auparavant, il ne s'agissait que de mettre en scène un conflit, en évitant les dérapages. Parce que tous ont accepté le jeu européen. En réalité donc, les syndicats ont fait passer la réforme des retraites, en organisant une protestation de pure forme. Et il y aura bien peu de commentateurs pour expliciter cette manipulation, tant la force inhibitrice de l'Europe est grande.
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Je suis cependant persuadé qu'un jour viendra où les spectateurs de cette médiocre pièce demanderont des comptes.