Scène ordinaire de la vie tokyoïte. Dimanche, cinq heures du matin dans le premier métro quittant le quartier animé de Shibuya. Quelques Japonais partent travailler, d’autres se sont assoupis, visiblement fatigués d’une longue soirée arrosée. Certains sont particulièrement ivres comme cet homme en costume-cravate allongé par terre, le visage écrasé contre la porte gauche du wagon. Celle-ci s’ouvre brusquement, puis se referme sur les cheveux du malheureux qui reste coincé pendant les quatre stations suivantes, où seules les portes de droite s’ouvriront. Pourtant, c’est à peine si le bougre – rôti comme une dinde de Noël – réalise ce qui lui arrive.
Au Japon, les hommes d’affaire vont boire entre collègues après leur journée de travail. Les breuvages alcoolisés se déclinent à tous les temps et les formules à volonté pendant plusieurs heures abondent. Les pubs géantes vantant les mérites du whisky Suntory vous sautent aux yeux à tous les coins de rue, jusque dans le métro. Tout laisse penser que le Japon est un pays d’alcooliques…
Ce serait bien sûr exagérer la vérité. Mais une récente étude médicale montre que 0,6 % des Japonais, soit 800 000, sont touchés par l’alcoolisme. Si ce pourcentage est inférieur à celui des Etats-Unis ou de l’Europe, la propension de femmes et de personnes âgées se mettant régulièrement minables augmente de manière inquiétante. La consommation d »alcool a baissé ces dernières années dans les pays industrialisés, mais elle a quadruplé au Japon depuis 1960 . Par ailleurs, il est très difficile d’établir des chiffres précis, particulièrement dans un pays où le gouvernement fait la sourde oreille face à la montée un phénomène. En réalité, la consommation d’alcool par habitant était déjà en 2005 aussi élevée qu’aux Etats-Unis et n’a dès lors cessé d’augmenter. La mort récente de l’ancien ministre des finances Shoichi Nakagawa, peu de temps après qu’il ait été obligé de nier publiquement son évidente ébriété lors du sommet du G8 à Strasbourg, a contribué à éveiller les consciences à ce sujet.
Alcoolisme se dit en japonais aruchûdo, une contraction de l’anglais Alcohol et du mot Chûdoku veut dire dépendance ou empoisonnement. La langue japonaise a tendance à utiliser les mots d’origine anglaise pour adoucir le sens d’une expression jugée trop forte ou dérangeante. Une manière sans doute de détourner les yeux du problème.
(cette photo fait partie d »une campagne de prévention dans le métro de Tokyo)