SIEL mon salon ! , par Jacques Fournier

Par Florence Trocmé


 

Le logo repris sur l’affiche et le tract m’avait déjà mis la puce à l’oreille : deux plumes plantées (la petite se voulant la fausse ombre de la grande) dans le point du i.  Une seule aurait dû suffire à me faire comprendre. J’y suis allé mû par l’intérêt que je porte au travail de Wanda Mihuleac, l’artiste-éditrice de Transignum, qui y présentait un défilé de ses Habits à lire, une de ses dernières idées faussement farfelues et vraiment artistiques. 
Mais qu’allait-elle donc faire dans cette galère ? 
Au 18e étage de la tour est de la BNF, dans les salons Belvédère (cela eût pu être à soi seul une des raisons du déplacement, mais la vue sur Paris et ses environs était hélas prémonitoirement bouchée par un temps gris et pluvieux), le Salon Indépendant des Écrivains et Libraires (SIEL de Paris) accueillait quelque 200 exposants, des centaines d’ « auteurs » (le site en annonçait 462 !) et quelques éditeurs (je ne mets pas de guillemets, certains l’étant vraiment, perdus eux aussi dans ce marécage pseudo culturel, alléchés par le prestige du lieu) qui s’entassaient sur des tables riquiquis (1m10 sur 60 cm* ou ronde format table de bistrot), alignés en quatre colonnes par salle (genre je ne veux voir qu’une seule tête). Une manière radicale de rentabiliser l’espace par une occupation maximale**. 
Dans les allées étroites (mais que fait la sécurité ?), déambulait un public nombreux semble-t-il. Curieux, amis et membres éblouis de la famille des auteurs apparemment satisfaits d’être traité comme des poulets en batterie. 
L’usage de guillemets autour de « auteurs » se justifie par le fait que la très grand majorité de ceux qui exposaient étaient soit autoédités soit édités à compte d’auteur. Ma connaissance assez fine du milieu me permet d’affirmer qu’il y avait là peu d’auteurs publiés à compte d’éditeur. Et le comportement de la plupart d’entre eux me le confirmait : on avait droit à un véritable harcèlement de leur part, ainsi qu’on en peut subir dans une foire commerciale : apostrophe au chaland (« Vous aimez la poésie ? » , « Vous connaissez l’histoire de…. », etc.) ; distribution de cartes de visite portant l’obligatoire mention : écrivain, poète, romancier, conférencier, etc. ; distribution de tracts proposant l’intégrale de la première page du dernier livre et la reprise d’un article élogieux paru dans la page d’une feuille de chou locale, rédigé on le sait la plupart du temps par l’écrivain soi-même, le pigiste de service n’ayant pas eu le temps de le faire, trop retenu qu’il est sur les évènements sportifs et les anniversaires à la maison de retraite ; tract tendu à bout de bras au potentiel acheteur (« Si vous êtes là, c’est que vous aimez la lecture ? ») comme un marchand de fruits et légumes tend aux passants des quartiers de la clémentine qu’il n’arrive pas à écouler. Sur les tables, des piles et des piles d’exemplaires du dernier roman historico-romantique de 650 pages, de la dernière plaquette de poésie rimaillée ; du résultat de leurs recherches sur la grande loge, les oiseaux migrateurs, la démonologie, le comportement de leur chat,… ; d’une bande dessinée au trait obsolète et au texte lénifiant ; du témoignage affligeant de leur douleur (sclérose en plaque, cancer du sein, perte d’un enfant, drogue, … (NB : le SIDA n’y a pas bonne presse, semble-t-il), et de leur résurrection grâce, en vrac, à Dieu, aux médecins, au mari compatissant, à la phytothérapie, au bon air de la montagne, au dépassement de soi, et j’en oublie.
 
Le défilé des merveilleux Habits à lire de Wanda Mihuleac (vêtements de tissus et papier imprimés de poèmes dus à des poètes – j’allais dire : des vrais - d’aujourd’hui) s’est déroulé dans des conditions pitoyables, tant pour les « mannequins » que pour le comédien et diseur de textes Denis Parmain (il est vrai rompu à l’exercice sur les marchés et dans les rues où parfois il exerce toujours avec talent son art), que pour le public, entassé au fond de la deuxième salle, face à une estrade trop basse pour être une scène, au milieu du brouhaha incessant et naturel de ce genre d’environnement, avec une sonorisation de conférencier, non de spectacle. Quand on pense que des « conférences «  se sont tenue sur cet espace, cela laisse pantois… 
Le tableau serait incomplet si je n’évoquais l’apostrophe indélicate d’une dame patronnesse et organisatrice (madame la présidente ?) au public lui enjoignant plus que l’invitant (il était 16h30) à quitter les lieux à 17h précises afin que les personnes ayant une gommette bleue (ciel ?) sur leur badge puissent profiter à 18h du cocktail (payant, comme l’ont été les nappes en tissu anti-feu proposées aux exposants !). 
Je terminerai par le souci que causa la descente dudit public vers le rez-de-chaussée par le biais de deux ascenseurs trop étroits mais bien heureusement rapides, et, m’a-t-on dit, l’embouteillage qui se créa au rez-de-chaussée où s’entassaient dès 16h30 de potentiels visiteurs bloqués par un vigile scrupuleux. 
Transignum et d’autres rares éditeurs de qualité présents sur ce pseudo salon littéraire ont été attirés dans ce guet-apens par le prestige du lieu. Ils doivent encore s’en mordre les doigts. 
Si ce salon fut apparemment un succès public (mais le site du SIEL ne donne aucune information quant à la fréquentation, ni d’ailleurs n’affiche aucun bilan, alors que les commentaires le plus souvent négatifs fusent de toutes parts sur la blogosphère), il n’en reste pas moins un fiasco organisationnel et littéraire. 
À qui la faute ? 
À l’association, trop heureuse de faire parler d’elle dans un lieu connu de tous (et paradoxalement difficile à trouver car mal indiqué !), mais incapable d’assurer une qualité d’organisation professionnelle ? Les bonnes intentions (mais n’est-ce que cela qui meut les dirigeants de l’association ? Revoir la note de bas de page **) ne suffisent pas à faire un bon salon. 
À la direction de la BNF qui a loué*** un lieu mal adapté à ce genre de manifestation ? 
Justement, la direction de la BNF devrait se poser des questions au regard de ce qui s’est tenu là. 
Mais cela doit-il se faire au risque de véhiculer une image dévalorisée de ce que peut être la littérature ? La BNF propose-t-elle à son public des expositions de « peintres du dimanche » ? Pourquoi alors accepte-t-elle que soit ainsi montrer des « écrivants » du même acabit, qui s’autodéclarent indépendants parce que leurs proses ou leurs poèmes ont été refusés par les « grandes » maisons d’édition (devenues dès lors leurs ennemis jurés puisque responsables de l’abandon de leurs ambitions littéraires et de leur besoin de reconnaissance voire de gloire), écrivants auxquels je ne dénie absolument pas le droit d’écrire, les mots appartenant à tout le monde (ou peu s’en faut), mais qui, sous prétexte qu’ils ont payé pour être édités, s’arrogent le titre d’écrivain, voire de poète, vidant ainsi ces termes de toute leur substance et de tout ce qui fait leur sens. 
 
Ce qui aurait pu être le 18e ciel de la littérature s’est avéré finalement une foire de bas étage à laquelle ont participé quelques gogos trop contents d’être vus et peu regardant sur les moyens d’y arriver, et faisant quelques victimes collatérales dont le visiteur que j’y fus. 
 
Jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines et président de la Fédération européenne des maison de poésie / MAIPO

 
 
* Une éditrice qui avait fait plus de 250 km et réservé deux nuits d’hôtel, a, à la présidente de l’association, fait la remarque que la taille de la table était inférieure à ce qu’on leur avait « vendu » lors de l’inscription. Elle s’est entendu répondre : « Si cela ne vous convient pas, nous pouvons vous rembourser, il aura toujours quelqu’un pour reprendre votre table », arguant que la taille des tables avait été imposée par la sécurité de la BNF ! Faux argument puisqu’il suffisait d’avoir moins d’exposants et de leur octroyer le linéaire proposé en matérialisant sur les tables les limites de chacun. 
** L’occasion fait le larron. Quel aura été le bénéfice pour l’association organisatrice à 100 € la table pour les auteurs, 150 € pour les éditeurs (je n’ai pas vu de stand de libraires, mais je peux n’avoir pas tout vu) ? Je demanderais bien leurs comptes de fin d’exercice pour avoir la confirmation de mes soupçons. 
*** Je ne pense que la BNF prête gracieusement ses locaux.