A un moment où la probable candidate verte aux présidentielles françaises de 2012, Eva Joly, parle ni plus ni moins de « refonder une civilisation » ( !), au moment où le directeur du FMI, Dominique Strauss Khan, parle d’une voie de gauche sur une gouvernance mondiale, il me paraît intéressant de confronter ces options avec …. le dernier Goncourt Michel Houellebecq, encensé par la presse internationale, et dont le regard ne peut pas ne pas nous interpeller, quoiqu’on pense de l’auteur.
Houellebecq fustige la promesse de bonheur de la modernité, soumise à l’adhésion à ses dogmes : relativisme, individualisme, matérialisme. Il montre que, débarrassé de toute entrave morale spirituelle et collective, l’homme est devenu une particule élémentaire, animé par une trajectoire, condamné à la solitude et à l’égoïsme radical. Cet homme passe alors son existence à assurer sa survie dans une quête pathétique de jouissance, forcément décevante. Le bonheur devient une injonction paradoxale, une imposture, un parfait outil d’aliénation.
Le progrès n’est plus dans le contenu des choses mais dans la nouveauté.
Et la critique de Houellebeck ne s’arrête pas là. L’homme sans futur (celui des Punks) est aussi un homme sans passé qui ne se sent débiteur de rien. Il ne peut donc accéder à l’autonomie qui devient alors une arnarque sans nom. Il se maintient dans un présent pathétique espérant secrètement le miracle du lendemain.
Le culte contemporain est celui du vide. Le progrès technologique est le nouvel opium du peuple. La destruction des entraves a ramené le désir à la pulsion, donc au plus bas niveau de jouissance. Le sentiment amoureux s’est volatilisé dans la consommation effrénée de la chair ( Une palme spéciale, au passage, à monsieur Berlusconi qui réduit Strauss Khan à un enfant de cœur, dans des partouzes qui continuent de séduire l’italien moyen!). Le libéralisme économique s’est étendu au domaine sexuel. La valeur d’un humain se mesure par son efficacité économique et son potentiel érotique.
Pour conclure brièvement : L’entreprise est devenue une fabrique de crétins et l’école ne fait que courir derrière.
Bernard Maris a bien raison de dire, dans son dernier livre, que le capitalisme survit parce qu’il est la seule organisation à jouer de la pulsion de mort par la promesse de toujours plus de consommation ( et lorsqu’il parle devant 500 chefs de petites entreprises, de cette hypothèse, il est très écouté ).
Houellebeck est dans la lignée des idées de Lovercraft, écrivain de science fiction du début du 20 ème siècle, lui même influencé par Spengler qui théorise le pessimisme et estime que « l ’homme est loin de tenir une place privilégiée dans la hiérarchie infinie des formes de vie », idée qui répétée à outrance est très dangereuse et sert de fond de commerce à certains écologistes « radicaux » qui souhaitent ainsi la mort de l’homme.
« Tout peut arriver dans la vie et surtout rien » voilà le blême des temps modernes résumé par l’écrivain, faisant peut-être écho à Georges Perrec pour qui « le pire dans le pire c’est l’absence de pire ».
Si l’on prétend refonder une civilisation, avoir une politique de gauche au plan mondial, il n’est pas possible de faire l’économie de la mesure de l’ampleur du désastre, et, en ce sens Houellebeck nous est précieux, comme sont à analyser les excès de l’intégrisme dans le monde et les poussées violentes de nationalisme.
En fait, tout le monde (quoique !) sait plus ou moins consciemment que la notion de progrès est arrivée à un tournant ; quasi personne ne l’a remplacée par un défi attractif.
La « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi semble la seule alternative connue susceptible de relever le niveau. Mais quid du côté excessif de l’homme, quid de la tragédie, quid de la pulsion de mort ?
C’est pourquoi nous préférons l’expression « d’individu attentionné ».
L’individu attentionné comme condition de la société relationnelle qui se profile, mais dont les finalités sont incertaines.
Société relationnelle, parce qu’elle alchimise l’information venue de partout en dégageant la singularité de chacun, et créé ainsi les conditions d’une homéostasie, base d’une intelligence collective supérieure.
« L’individu attentionné » fonde l’humanisme sur le partage des manques et petitesses et recrée ainsi du collectif non fasciste en mobilisant chacun pour œuvrer à l’ énonciation des causes multiples et profondes d’un problème donné, avant de s’attaquer à l édification des alternatives.
De toute façon, dans le cas Pierre Rabhi et le notre, il s’agit d’une posture qui met la responsabilité au cœur de tout.
Ré- enchanter le monde passe ainsi par un drastique effort de transformation personnelle.
Effort qui doit absolument prendre en compte les trois dimensions du temps pour ne pas le réduire au passé (mythe du paradis perdu), au présent (fuite dans l’immédiateté), ou au futur (utopies meurtrières).
Les conditions d’un collectif plus écologique, au sens noble du terme, passent par nettoyer la psyché humaine, en douceur et en profondeur, de façon collective !
Cette crédibilité écologique au sens large passe donc d’abord et avant tout par une écoute des initiatives de la base, par la multiplication des groupes d’échanges sur les pratiques. Le tout fondé sur une méthodologie immuable : exposition des difficultés de chacun, accueil des suggestions des autres, tri personnel, appel à l’élaboration de réponses en étapes, articulant les trois dimensions du temps.
Alors peu à peu les contours de ce qui est véritablement de l’ordre du vote citoyen et de ce qui est de l’ordre du consensus à obtenir par des voies radicalement nouvelles se dégageront.
Et nous aurons montré sur le terrain que, quelle que soit la météo locale, il est possible d’acquérir la triple pêche : pragmatique, amoureuse et conceptuelle, fondement d’un espoir partageable.