Suite à ma note en forme de coup de gueule contre les bourrins d'Internet, j'ai décidé d'interviewer des blogueurs anonymes pour qu'ils m'expliquent comment ils font pour préserver leur anonymat. A la différence des dits gros bourrins, qui laissent des traces partout avec leurs pieds sales.
Interviewer des blogueurs anonymes comme Inzecity ou Joe La pompe, c'est tout simple. Vous récupérez un numéro de téléphone par mail consulté dans un web café à Barbès. Vous appelez ce numéro et vous prenez rendez-vous avec un certain Saïd, sous le métro aérien, dans un coin qui sent la pisse et la dope à plein nez. Là, on vous force à monter dans une voiture en vous collant un calibre dans les côtes. Mais avant, on vous confisque votre portable et vos papiers d'identité. Vous êtes à la place du mort, avec un balafré pas causant au volant et un serial killer taiseux derrière qui n'a qu'une envie : vous coller un grand coup de pic à glace sur le melon si vous avez le malheur de demander où on va.
Une heure après, vous arrivez en forêt de Chantilly. Là, on vous sort sans ménagement de la caisse et le mastar qui vous secoue prend bien soin de vous montrer le Beretta 92 qu'il porte à la ceinture. Puis on vous bande les yeux, on vous attache les mains derrière le dos et vous marchez pendant un temps indéterminé. La pause pipi, vous pouvez oublier, ça fait toujours bizarre de soulager sur soi. Puis vous entrez dans une sorte de cabane ou de maison, car le son change autour de vous. On vous fait allonger face contre terre battue. Et là, une voix s'élève :
- «Alors comme ça, tu veux nous voir ?». Ça, ce doit être Joe La Pompe, car effectivement, à ce moment-là, je prends un grand coup de pompe dans le buffet, qui m'asphyxie pour le compte. Je me mets à râler...
- «Tu ne manques pas d'air...» Cet humour fin, cette voix féminine, et surtout cette botte à talon aiguille qui écrase ma joue et s'enfonce dans ma nuque, ça doit être Inzecity.
L'interview peut commencer.
Pourquoi choisir l'anonymat ?
Joe La Pompe : «Travaillant dans la publicité, et étant donné le caractère provocateur, insolent et polémique du site, il est vite devenu évident que cette activité allait interférer trop fortement avec mes activités. Que ce soit de manière négative aussi bien que positive. De plus, la notoriété "personnelle" que pourrait m’apporter ce site n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Dans la pub, les égos sont très developpés, je fais donc un petit pied de nez supplémentaire à ce métier. La discrétion que je m’efforce d’avoir me permet aussi de faire plus sereinement mon travail de collection et me permet de me dégager de toutes sortes de pressions, menaces ou intimidations qui pourraient être effectuées à mon encontre.»
Inzecity : «Trois raisons au choix de l’anonymat. La première : pour savoir ce que je vaux vraiment. Cet anonymat est jusqu’au-boutiste : même mes proches ne connaissent pas mon identité numérique. L’objectif est de démarrer à zéro et de se constituer une audience méritocratique. Tu as sans doute remarqué que si tu mets un statut sur Facebook, tes "amis" (familles, amis, parents...) "Like" ta prose même si tu es mauvais. [Là, je dis «Ah bon?» et je me reprends un coup de pompe dans le ventre. Ne pas interrompre Inzecity quand elle parle. Je note]. Si tu démarres anonymement, il faut faire tes preuves, durer dans le temps, fidéliser ton audience. Donc, donner le meilleur de soi. Avec le temps, on t’apprécie pour ce que tu produis et non pour qui tu es. Finalement, en deux ans je me suis créé un personnage de la scène pudique. Cette forme d’anonymat permet de ne pas s’imposer un auto-contrôle ou une auto-censure. Se dire que son boss, ses parents, des collègues, clients, etc. peuvent te lire implique que l’on se mette consciemment ou inconsciemment des freins psychologiques et sociaux. Tu écris du «consensuel». C'est pas ma came [Là, j'évite de renifler pour ne pas perdre mon tympan gauche].
«Deuxième raison : pour séparer vies personnelle et professionnelle. Aujourd'hui, il suffit de taper un prénom et un nom dans Google pour voir émerger différents contenus. On peut voir ton CV, tes photos, tes vidéos, tes critiques de ciné, tes tweets, bref, un régal pour qui a envie de se documenter avant de t’embaucher ou pour un futur propriétaire qui loue son appart... Le choix de l’anonymat, c’est aussi se préserver «IRL». Parce qu’après tout, un nom, c’est aussi une famille qui porte le même et qui n’a pas demandé à faire la Une d’un quotidien à cause d’une vidéo, d’un statut Facebook ou d’un billet…»
Inzecity - La silhouette du web
«La dernière raison, c’est l’impartialité. Un nom, un visage, une profession, un statut social fait perdre l’impartialité. Dans une rue, tu choisiras d’aller vers la personne qui te paraît la plus avenante, la plus sexy même si c’est la moche d’à côté qui te correspond le mieux en termes d’affinité. C’est humain. L’anonymat montre ta beauté intérieure [«Mais euh, je ne ris pas, je râle, non, pas frapper...»].»
«Sur Internet, les gens donnent une image d’eux qui est faussée, trafiquée, orientée. Tout le monde est beau et hyperactif quitte à perdre sa vraie identité. Finalement l’avatar et l’anonymat sont davantage les reflets d’une personnalité qu’un faceduck sur Facebook. En faisant fi des aspects physiques, d’un statut social, d’une profession, on gagne un lectorat de qualité et élargi, des gens désintéressés donc des relations plus saines et plus directes.»
- Est-ce difficile de préserver son anonymat ?
Joe La Pompe : Ça dépend des moments. C'est difficile d'un point de vue technique, mais c'est relativement faisable avec quelques précautions [Là, je pense : «Faut juste louer deux tueurs à gages...». Mais je me garde bien de le dire]. Le plus dur c'est de ne pas trop en parler autour de soi, aux amis, qui vont en parler à leurs amis et ainsi de suite... C'est dur parfois de refuser des interviews ou des passages TV car j'ai envie de parler de mon travail, mais pas envie de me montrer. Parfois aussi, j'entends des gens en parler devant moi et j'ai envie d'intervenir... C'est devenu plus un jeu qu'une réelle contrainte, ceci dit.
Inzecity : Oui et non. Oui, si les gens que tu rencontres dans la vraie vie jouent le jeu du secret parce que tu as expliqué ta démarche. Si elle est louable et que tu as choisi les bonnes personnes, il n’y a pas de souci. Non, si tu entres en conflit avec ton «autre moi» parce que tu deviens «populaire» et que tu as envie de t'approprier les lauriers de ton e-gloire. La grosse tête existe aussi sur le Net et c’est généralement dans ce type de cas que tu risques de perdre ton anonymat. J’admire Joe la Pompe qui est pour moi le seul qui soit un parfait anonyme.
- Est-ce que c'est un combat permanent ou une seconde nature ?
Joe La Pompe : «Je suis d'un naturel assez discret, c'est donc une seconde nature. Ça frise parfois la schizophrénie, mais j'essaie de bien cloisonner mes activités.»
Joe la Pompe - Sans légende.
Inzecity : «Ni l’un ni l’autre. C’est une tournure d’esprit, une gymnastique. Etre anonyme ne signifie pas être schizophrène. Toutefois, c’est un vrai combat pour celui qui doit lutter pour sa liberté d’expression où l’anonymat est une sécurité, une armure… vitale.»
- Quels problèmes ça pose d'avoir un avatar ?
Joe La Pompe : «Je n'ai pas pu signer de dédicaces pour mon livre... Plus sérieusement, ça m'a un peu manqué d'avoir un contact direct avec mon lectorat, de pouvoir en discuter de vive voix... Et puis il faut accepter que son double soit plus connu, plus apprécié, plus sollicité que l'original. De quoi faire la fortune d'un psychanalyste...»
Inzecity : «Aucun problème s’il est cohérent avec sa philosophie et s’il ne heurte pas la sensibilité des plus jeunes.»
- Comment préserver son anonymat, quelles règles à observer sur les contenus publiés, la gestion de la technique, etc.
Joe La Pompe : «C'est une attention de tous les instants. Ne jamais laisser de traces, faire attention à ce que l'on dit et à ce que l'on écrit... Il ne faut jamais relâcher la vigilance, même après avoir bu des coups, ni même pour brancher une très belle fille qui commence à vous poser plein de questions. Il faut toujours garder la tête froide.»
Inzecity : «Eviter de s’inscrire sur les sites avec sa vraie identité. Tout avoir en double avec des accès différents. Verrouiller ses Whois, ne pas bloguer sur son lieu de travail en laissant sa fenêtre ouverte, ne pas fréquenter les soirées de blogueurs, les apéros Twitter, etc. Mais malgré sa vigilance, on n’est pas à l’abri d’être démasqué.»
- Des gens ont des ennuis (pro, perso) avec leur activité sur les médias sociaux. Quand tu en entends parler, qu'avez-vous envie de leur dire ?
Joe La Pompe : «Grâce à ce site que j'ai commencé il y a plus de 10 ans, j'ai pris très tôt l'habitude de faire attention aux traces numériques que je laissais derrière moi avec un gros souci de respect de mon anonymat. Ça m'a servi à ne pas écrire n'importe quoi et à me poser des questions avant d'écrire sur le web... Ça peut être une bonne chose d'utiliser un pseudo, mais pas pour en abuser et écrire n'importe quoi ! Je ne me cache pas derrière pour être méchant, blessant ou diffamer mais pour me permettre plus de liberté sans être jugé à la lumière de qui je suis (ou pas) en réalité.»
Inzecity : «Ce qu’on nous apprend enfant c’est de réfléchir avant de parler. Il faut faire la même chose avant d’écrire. Car après tout, et c’est encore plus vrai sur Internet, les écrits restent…»
-------
Bon voilà, c'est fait. Je sors du coffre de la voiture des deux gros bras sous le périph à Porte de Clignancourt. On me balourde mes papiers et mon portable dans le dos. Lequel explose en 10 000 morceaux en se fracassant sur le sol. Plus de métro, plus de tacot, des côtes en morceaux... Pas facile d'interviewer des blogueurs anonymes. Mais j'ai maintenant deux indices pour les démasquer : Joe la Pompe doit être droitier au foot et Inzecity a l'air de porter des Louboutins pointues...