Théâtre - Editions Stock - 87 pages - 10 €
Résumé : Un homme seul tire un énorme paquet auquel il semble tenir plus que tout. Que renferme-t-il donc ? Le corps de sa femme qu’il aurait assassinée ? Les seuls biens qui lui restent ? Ses souvenirs, ses rêves, ses joies ? Les débris d’une vie ? Nos lâchetés, nos abandons, nos laideurs ? Tous nos maux et nos mots impuissants ?Lorsque le monde s’effondre, la question n’est pas de savoir ce que l’on sauve, mais ce dont on ne peut se débarrasser...
Tentateur : La bibliothèque, pourquoi pas ?!
Fournisseur : La même bib'
Mon humble avis : Whaou... J'en ai encore la gorge nouée, je suis sans voix. Heureusement, il me reste les mots, et c'est ce qui nous réunit ici.
L'année dernière, je me sentais bien seule en lisant "Le rapport de Brodeck", énorme succès de l'auteur Philippe Claudel. Je détestais ce livre que j'achevais par "conscience professionnelle". Le livre concourait pour un prix littéraire dont j'étais membre du jury. Il le remportad'ailleurs (le prix des lecteurs Livre de Poche). Claudel et moi n'étions pas partis sur de bonnes bases alors. Laissons passer le temps... Septembre 2010, Claudel est présent pour la rentrée littéraire, mais son dernier roman absent de ma bibliothèque... Alors me voici avec "Le paquet" en main.
C'est une pièce de théâtre, mise en scène également par l'auteur au Petit Théâtre de Paris en janvier dernier. Un monologue et un seul personnage joué par Gérard Jugnot.... Et je vous jure que j'ai vu Jugnot, je l'ai entendu m'interpeller, m'apostropher dans ma chambre, dans une salle d'attente, dans mon salon pendant que je lisais. En fait, il me poursuivait ou me suppliait de le poursuivre, comme s'il était ma conscience, où la conscience de chacun de nous.
Un homme entre sur scène. Il est seul et traîne péniblement un lourd paquet. Au début, il paraît inquiétant. Ne serait-ce pas le corps de sa femme qu'il porterait là ? Puis il se présente, explique, raconte, divague. Il regarde sa vie qui se noie dans le monde et le monde qui noie sa vie. On ne sait plus si devant nous se tient un PDG d'une multinationale ou un pauvre type inintéressant. Vous me direz que le premier statut n'empêche pas le deuxième. Cet homme ne sait plus qui il est, broyé par un système. Est il Monsieur Toulemonde ou un peu de tout ce monde ? A moins qu'il ne soit personne.
A travers cette pièce, Philippe porte un regard réaliste, aigu, acerbe, cynique, touchant et drôle sur notre société et ses multiples travers. Il s'interroge sur le sens que chacun donne à sa vie. Et surtout, il laisse s'exprimer celui qui n'est rien parmi le tout mais qui est Un hors de tout cela, celui qui n'a pas sa place.
C'est extrêmement bien écrit, bouleversant. Magistral ! Comme c'est curieux, à la fin de la lecture, j'ai eu la furieuse envie d'écouter mon CD empoussiéré de Starmania...
Et dire que je j'ai emprunté à la bib.... Grrrr, je vais devoir le rendre.... je sens que je vais guetter une sortie poche pour l'acheter et le garder comme un trésor... A ce train là, mon inscription à la bib' risque de ne pas rester très économique...
Je ne résiste pas à vous noter certains passages, que vous puissiez y goûter aussi et savourer...
Extrait drôle :
"Nous sommes vraiment un très petit pays, dirigé par un très petit homme. Nous méritons d'être ce que nous sommes devenus. C'est à dire rien. Rien du tout. Un peuple fatigué et arrogant. Oublieux. Sans reconnaissance. Notre monde s'est effondré. Notre culture est calcinée.....Nous sommes passés, en l'espace de cinquante ans à peine, du mètre quatre-vingt-treize du Général de Gaulle aux ridicules 1670 millimètre de l'actuel résident du Faubourg Saint-Honoré. J'exige une minute de silence."
Extrait cynique :
"C'est agréable les imbéciles... ils sont toujours heureux. Ce sont des leçons de bonheur. Ils nous appaisent. En leur compagnie, on n'est pas obligé de penser, ni de réfléchir.... On devrait toujours avoir un imbécile avec soi. Il devrait être remboursé par la Sécurité Sociale..... L'imbécile donne de l'espoir. C'est sa mission sur terre. C'est d'ailleurs pour cela que dans bien des pays progressistes et démocrates, nous en élisons un à la tête de l'Etat."
Extrait touchant :
" Je n'ai plus rien. Je n'ai plus que mes mots et encore, souvent, je n'ai pas les bons. Je prends ceux qui traînent. Ce ne sont pas les miens. Ce sont ceux des autres. Ceux que je trouve à droite à gauche, dans les cafés, sur les murs, sur les tables, à la radio....... J'emprunte. Je n'ai pas de parole. Rien ne m'appartient..... Rien n'a été pensé par moi, créé par moi. Je suis tellement perméable.... C'est dur de n'avoir que sa vie quand elle est vide de tout, mais coupante comme un éclat de verre."
L'avis de Midola