Les dernières heures...
Samedi, le premier ministre est allé voir son patron, le matin, à l'Elysée, par une porte dérobée. L'après-midi, Fillon remit sa démission, évidemment acceptée. Sarkozy le raccompagna sur le perron pour se faire filmer lui serrant longuement la main. Le lendemain matin, dès 10h, le monarque le reconduit, sans attendre lundi. Quel maîtrise du suspense ! Pendant la nuit de samedi à dimanche, la France n'avait donc pas de gouvernement.
« En application de l'article 8 de la Constitution, M. François FILLON a présenté au président de la République la démission du gouvernement. Le président de la République a accepté cette démission et a ainsi mis fin aux fonctions de M. François FILLON. »Fillon publia dans la foulée un communiqué de presse exagérément laudateur : « Je mesure l’honneur qui m’est fait de pouvoir continuer à servir la France. Je mesure aussi la responsabilité qui m’incombe en cette période difficile. La décision du Président m’oblige envers tous les Français.» Mieux : « La fidélité de mon engagement aux côtés de Nicolas Sarkozy, en réponse à sa confiance, s’inspire de ma profonde estime personnelle et de mon adhésion à son action pour le pays.» Décryptez cette dernière phrase, qui conclut le communiqué: la fidélité de Fillon est une réponse à la confiance de Sarkozy. Donnant-donnant. On l'a échappé belle !
Présidence de la République, samedi 13 novembre« En application de l'article 8 de la Constitution, le président de la République a nommé M. François FILLON, Premier ministre. Le président de la République a demandé au Premier ministre de lui proposer un nouveau gouvernement. »
Présidence de la République, dimanche 14 novembre
« Le remaniement, c'est comme une mise à jour iTunes : tu vois pas la différence, mais tu as le sentiment de te faire baiser ». Ce commentaire, lu sur Twitter en fin de matinée dimanche 14 novembre, résumait bien le sentiment général. Sarkozy a pris de vitesse son propre camp, en accélérant le remaniement dès ce weekend. Pris de court, Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, l'était assurément. Invité d'Anne-Sophie Lapix à Dimanche+, il devait user de toutes les contorsions verbales imaginables pour éviter tout commentaire définitif. Incertain sur son propre sort (« j'irai là où le président de la République me jugera le plus utile »), il ne pensait sans doute pas avoir à commenter un remaniement en cours : « le choix, c'est celui du Président de la République (...) Je ne suis pas là pour livrer un scoop. ». Il avait du mal à expliquer en quoi ce remaniement changerait quoique ce soit : « je n'ai pas vocation à commenter ». Y aura-t-il changement de cap ? « la volonté du président de la république, c'est qu'on travaille jusqu'au bout.»
En cours d'émission, Xavier Bertrand a tenté une diversion, en se félicitant de la libération de la dissidente birmane Aung Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1991. Anne-Sophie Lapix a saisi la balle au bond : « et Liu Xaobo, le prix Nobel de la Paix 2010 ? » Le secrétaire de l'UP devient tout rouge, bégaye quelques phrases de bois : « avec les Chinois, le plus efficace, ce sont les entretiens directs » plutôt que la médiatisation. Anne-Sophie Lapix insiste : « c'est l'accord qui vous lie avec leparti communiste chinois qui vous empêche de féliciter Liu Xaobo pour son Nobel.» Bertrand s'étrangle : « Mais pas du tout ! Avec les autorités chinoises, c'est le dialogue qui donne les résultats les plus efficaces. »
Sur RTL, un autre (ancien) proche du président commente son propre sort. Eric Woerth, défait par son affaire Bettencourt depuis juin dernier, épuisé par les polémiques, aimerait rester. On s'en doute. Il n'est même plus trésorier de l'UMP. « J'ai toujours dit que je désirais rester (...). Je pense que j'ai été un ministre du Budget efficace, et un ministre des Affaires sociales également. C'est au président de choisir, ses décisions seront les bonnes, par principe.»
On se croirait en Corée du Nord.
... pour rien...
En fin de journée, à 20h15, Claude Guéant, sur le perron de l'Elysée, a pris sa voix grave pour annoncer un à un le nom des heureux élus, les membres du « gouvernement de combat » tel que Sarkozy le qualifiait voici 6 mois, pour cette ultime séquence politique avant le scrutin de 2012. Depuis samedi, on commente les allées et venues. Jean-François Copé aurait refusé l'intérieur. A 16h40, Jean-Louis Borloo annonce qu'il refuse de rester ministre. Un peu plus tard, Hervé Morin, ex-ministre de la Défense, fait de même. Les centristes lâchent Sarkozy. Un vrai gâchis, et du vrai théâtre.
Voici donc les ministres de ce troisième gouvernement Fillon, chargé de 30 ministres ou secrétaires d'Etat. On compte dix arrivées et dix-sept départs, mais finalement peu de changements.
Ceux qui partent :
Eric Woerth, déchiré, quitte le gouvernement. Il y a 6 mois, on le croyait futur premier ministre. L'affaire Bettencourt est passé par là. Fadela Amara, inutile fausse grande gueule, et Jean-Marie Bockel, débauché du PS en 2007, cire-pompe jusqu'au bout, sont éjectés, sans strapontin de secours. Bernard Kouchner, usé par son inefficacité, est remercié. Rama Yade, gaffeuse systématique, part aussi. Christian Estrosi, maire cumulard et « motodidacte » deviendrait président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, en remplacement de Copé devenu secrétaire de l'UMP.
Ceux qui changent de porte-feuille :
1. Michèle Alliot-Marie dure, mais aux Affaires Etrangères, un ministère sans envergure car sous contrôle étroit de l'Elysée.
2. Nathalie Kosciusko-Morizet remplace Borloo à l'Ecologie et au développement durable, sans avoir le titre de ministre d'Etat de son prédécesseur. Et elle perd l'Energie. Un comble !
3. Michel Mercier, l'inexistant ministre des Territoires débauché du Modem l'an dernier reprend la Justice
4. Brice Hortefeux conserve l'Intérieur mais récupère l'immigration. Un ministère sur-mesure depuis le discours de Grenoble. Le grand ministère de l'Identité nationale ... disparaît. Incroyable ! On croyait que c'était une innovation majeure de Nicolas Sarkozy.
5. Chantal Jouano, adepte du jogging et ex-champion de karaté passe ... aux Sports.
6. Roselyne Bachelot-Narquin, Solidarité et Cohésion sociale, s'occupera de la dépendance. Il lui faudra soigner les plus âgés des séniors, c'est-à-dire le coeur de cible électoral de Sarkozy pour 2012.
7. Eric Besson récupère l'Industrie et l'Economie numérique (qu'il avait en charge en 2007-2008).
8. Henri de Raincourt reprend le très stratégique ministère de la Coopération (Françafrique, etc).
9. Laurent Wauquiez, ex-secrétaire d'Etat au chômage, s'occupera d'Europe.
10. Nadine Morano lâche la Famille pour l'Apprentissage. Une promotion ?
11. Pierre Lelouche abandonne l'Europe (on se souvient de ses saillies anti-Roms) et devient secrétaire d'Etat chargé du Commerce Extérieur.
12. Norah Berah, inexistante aux Aînés, récupère la Santé et la gestion de la grippe.
Ceux qui ne changent pas :
1. Christine Lagarde : Economie et Finances.
2. Luc Chatel : Education nationale
3. François Baroin : Budget et réforme de l'Etat, et ... porte-parole du Gouvernement
4. Valérie Pécresse : Enseignement supérieur
5. Bruno Le Maire : Agriculture
6. Frédéric Mitterrand : Culture
7. Benoist Apparu: Logement
8. George Tronc: Fonction Publique
9. Marie-Luce Penchard : Outre-Mer
Ceux qui arrivent :
1. Alain Juppé, ministre d'Etat, en charge de la Défense, est la « grosse » prise chiraquienne du moment, numéro deux du gouvernement.
2. Maurice Leroy, porte-parole du Nouveau centre, arrive à la Ville. C'est l'un des rares centristes du gouvernement.
3. Xavier Bertrand arrive au Travail, en remplacement d'Eric Woerth. Il reprend aussi la Santé, dont il a déjà été ministre sous Chirac. Il a surtout été éjecté de l'UMP, à peine 18 mois après sa nomination, faute de résultats.
4. Patrick Ollier (compagnon à la ville de Michèle Alliot-Marie) : ministre des Relations avec le Parlement. Le couple au gouvernement, Sarkozy neutralise d'éventuelles fuites dans l'affaire Clearstream.
5. Marie-Anne Montchamp, aux Relations avec le Parlement, un ministère technique pour une villepiniste pure souche, le signe que Sarkozy a peur, vraiment peur de l'offensive Villepin.
6. Thierry Mariani, aux Transports. Le député sudiste, grande gueule et toujours prolixe en matière insécuritaire, est remercié... par un strapontin.
7. Frédéric Lefebvre parvient enfin à ses fins, aux Commerce, Artisanat, Tourisme et professions libérales.
8. Jeannette Bougrab prend la Jeunesse. Elle lâche la Halde, qui disparaîtra bientôt.
9. Philippe Richert, président de l'unique région UMP de France (l'Alsace) devient ministre des Collectivités locales.
... et les vraies leçons
On imagine le bonheur de Fillon. Depuis samedi, tout le monde commente son succès, sa résurrection, son habileté. Bridé puis étouffé par l'omni-président depuis 2007, donné partant il y a 6 mois, il s'est lâché en confidences (« Nicolas Sarkozy n'a jamais été mon mentor ») et petites phrases (« il n'est pas question de changement de cap »). Puis, voici 10 jours, il a pulvérisé Jean-Louis Borloo, le prétendant sorti du bois trop tôt, trop maladroitement, trop brutalement. François aurait réussi à s'imposer à Nicolas.
Vraiment ? Sa reconduction à la tête du gouvernement a plusieurs significations.
1. Ce remaniement n'intéressait que l'UMP. Il s'agissait de souder un clan pour préparer la prochaine élection. Les Français ont d'autres préoccupations. Ce remaniement n'a aucune signification pour l'action gouvernementale des mois à venir. Sarkozy voulait consolider sa base. Il l'a rétréci, au fil des échecs et des surenchères.
2. Ce remaniement n'inquiétait que l'UMP : ministres démotivés, conseillers en recherche d'emploi, Nicolas Sarkozy est parvenu à geler l'activité gouvernementale pendant 6 mois, à deux exceptions majeures prêts, la réforme des retraites et le budget 2011. Pour le reste, les agendas des ministres et secrétaires ont été gelés par ce suspense sans intérêt. A droite, on parle de cauchemar, ou on craint le statu-quo. Sarkozy est même parvenu à créer une compétition inutile et improbable entre Fillon et Borloo. Le management du changement s'apprend dans les écoles de commerce. Tout est question de dosage. Mais Sarkozy a montré cette fois-ci et une fois de plus qu'il était un piètre manager de ses propres troupes.
3. Sarkozy a peur de son bilan. En nommant Fillon, il créé une distance. Co-responsable des promesses non tenues, des revirements et des échecs, Fillon le dégage de l'action quotidienne. En langage élyséen, on appelle cela une « re-présidentialisation ». En fait, Sarkozy normalise son positionnement.
4. Plus que jamais, Sarkozy conservera le monopole de la parole. On a du mal à croire qu'il abandonne quoique ce soit. Narcissique, agité et extraverti, il ne pourra s'empêcher de revendiquer sa place de Chef, de tirer en permanence la couverture à lui.
En confirmant Fillon à Matignon, Sarkozy s'achète surtout son silence et une tranquillité politique interne évidente. Il le cornaque bel et bien. Fillon, une seconde fois, s'est fait avoir.