Pièces de théâtre
Âgé de 16 ans, Tagore expérimente pour la première fois le théâtre en tenant le rôle principal dans une adaptation par son frère Jyotirindranath du Bourgeois Gentilhomme de Molière. À 20 ans, il écrit son premier opéra dramatique Valmiki Pratibha (Le Génie de Valkimi). À travers cette œuvre, Tagore explore avec vigueur un large palette de style et d'émotion dramatiques. Une autre pièce célèbre, Dak Ghar (Le Bureau de Poste), raconte comment un enfant qui s'efforce d'échapper à un étouffant confinement finit par "tomber endormi" (ce qui suggère sa mort physique). Cette histoire remporta un succès international, recevant des critiques enthousiastes en Europe
La pensée de Tagore
Tagore a eu une influence considérable. Romain Rolland écrira : Rabindranâth Tagore est pour nous le symbole vivant de l'Esprit, de la Lumière et de l'Harmonie -- le chant de l'Eternité s'élevant au-dessus de la mer des passions déchaînées."
Tagore a toujours pensé que l’éducation avait un rôle primordial dans le devenir des peuples. Dans le même temps, il n’a jamais renié la culture occidentale. Dans un texte écrit en 1928, Tagore explique son projet d’université internationale :
« L'Inde a eu sa renaissance. Elle se prépare à apporter sa contribution au monde de l'avenir. Jadis, elle a créé une haute culture; et maintenant elle a aussi beaucoup à donner au Monde Nouveau qui surgit du naufrage de l'Ancien. C'est là une période capitale de son histoire, grosse de possibilités précieuses. Fortement pénétré des demandes et des besoins auxquels chaque individu doit aujourd'hui répondre dans la mesure de ses forces, j'ai créé aux Indes le noyau d'une Université internationale, y voyant un des meilleurs moyens de favoriser la compréhension mutuelle entre l'Orient et l'Occident. Suivant le plan que j'ai dans l'esprit, cette Institution devra inviter des étudiants occidentaux à s'initier aux différents systèmes de philosophie indienne, à la littérature, à l'art et à la musique du milieu où ils se trouveront, les encourageant à poursuivre des recherches.
Les Universités occidentales offrent à leurs étudiants les moyens d'apprendre ce que tous les peuples européens ont apporté à leur culture d'Occidentaux. Par là, la pensée de l'Occident s’est révélée au monde d'une façon lumineuse. Pour compléter cette diffusion de lumières, il faut que l'Inde réunisse ses propres flambeaux dispersés, et en offre la clarté au monde ».
Tagore a beaucoup voyagé et il connait l’Europe ; il ne peut s’empêcher de comparer les deux civilisations : « Votre civilisation, absorbant toutes vos énergies dans cette lutte à la conquête de l'or, de la position et des plaisirs matériels, m'étonne beaucoup ; elle est si contraire à l'esprit contemplatif et imaginatif de l'Hindou. Votre vie est trop remplie de sensations multiples pour vous permettre de jouir pleinement et profondément de la beauté de l'Art, ne pouvant non plus vous donner la tranquillité que réclame la vie spirituelle. »
L’engagement politique
En 1930, à propos de la colonisation, Tagore écrit :
« L'Angleterre ne pourra
mentir à sa nature véritable, à tout ce qui l'a fait grandir. Devra-t-elle accorder l'indépendance complète?... Mais c'est
plutôt d'interdépendance qu'il faut parler...
Seulement il nous est
difficile (à nous Hindous)
de reconnaître ce qu'il
y a de meilleur dans la civilisation occidentale et de l'accepter alors que nous vivons dans l'humiliation, dans l'ombre aveugle de la domination occidentale... Je vous
le demande encore, rêveurs
de l'Orient et de l'Occident, gardons une foi solide dans la vie qui crée et non dans la machine qui construit; dans la puissance qui cache sa force et s'épanouit en beauté, non dans la puissance qui retrousse ses manches et qui ricane de son aptitude à se rendre nuisible.
Sachons que la machine
est bonne quand elle
aide la vie, non
quand elle l'exploite... »
En 1905, lord Curzon, le vice-roi britannique, décide de la partition du Bengale. Cette décision amène Rabindranath Tagore à prendre publiquement position pour la première fois pour des motifs politiques. Il devient en effet un des principaux porte-parole des opposants à cette mesure. L’écrivain estime alors que cette division entre hindous et musulmans ouvre en fait la voie à des affrontements religieux au sein de la communauté bengalie. Après la réunification du Bengale en 1911, il dénonce dans le même temps toutes les formes de protestation violentes qui se développent en Inde contre la souveraineté britannique.
Fort de cette nouvelle notoriété, il gagne les États-Unis, prononçant lors de son séjour une série de conférences, publiées sous le titre de Sadhana (L'Accomplissement de la vie) en 1913. De retour en Inde après ce tour du monde, Tagore est de nouveau au Japon, puis en Amérique en 1916. Ses convictions politiques ont alors évolué. En effet, l’écrivain prend publiquement position en faveur de l’indépendance de l’Inde, toujours sous la domination du grand Empire britannique. Ces conférences sont publiées en deux volumes sous les titres de Nationalism (Nationalisme) et de Personality (Personnalité) en 1917. Dans ces textes, le poète indien dénonce également la recherche effrénée du profit économique en l'Occident, au prix selon lui de l'abandon de toute morale. Deux années plus tard, à la suite du massacre d'Amritsar au cours duquel des troupes britanniques tirent sur la foule des manifestants, Rabindranath Tagore renonce solennellement au titre de Knight (chevalier) que lui avaient conféré les Britanniques en 1915. L’écrivain renonce peu à peu à ce nationalisme étroit. Il songe ainsi à mettre son pays en contact avec le reste du monde, la richesse et l’ancienneté de la culture indoue étant le meilleur des arguments à opposer au colonialisme. Au mois d’octobre 1921, l’homme de lettres publie ainsi un essai intitulé The Call of Truth, par lequel il se démarque de la politique de non-coopération prônée par Mohandas Gandhi. Conscient des faiblesses de ses contemporains et de son pays, Tagore sait ainsi que l’Inde ne pourra dans l’avenir se replier sur soi, se passer de l’aide internationale et ignorer le reste du monde occidental.
Nous citons un extrait du discours que Tagore prononça à l’Université Impériale de Tokyo en 1917.
"S’il s’agit d’une simple reproduction de l’Occident, la grande espérance qu’elle aura éveillée ne sera pas réalisée car il y a de graves questions que la civilisation occidentale a posées devant le monde et auxquelles elle n’a pas complètement répondu : les conflits entre l’individu et l’Etat, le travail et le capital, l’homme et la femme, les conflits entre l’avidité du gain matériel et la vie spirituelle de l’homme, entre l’égoïsme organisé des nations et les idéaux les plus élevés de l’humanité. Tout cela doit se résoudre en harmonie. Comment ? On ne peut encore même pas le concevoir. La civilisation politique qui a grandi sur le sol de l’Europe et a envahi le monde comme une mauvaise herbe prolifique, est fondée sur l’exclusivisme. Elle veille à parquer dans un coin les étrangers ou à les exterminer. Elle est carnivore et cannibale dans ses tendances. Elle puise sa nourriture dans celle des autres peuples, forçant les races d’hommes plus faibles à demeurer éternellement faibles. C’est une civilisation scientifique et non humaine. Elle est puissante parce qu’elle concentre ses forces vers un unique but comme un millionnaire qui augmente sa fortune au prix de son âme. Elle trahit sa foi, elle trame ses filets de mensonges sans honte, elle dresse dans ses temples de gigantesques idoles au profit et prend grand orgueil des cérémonies coûteuses de son culte. Nous prophétisons sans hésitations que cela ne peut continuer. L’Orient avec son multiple idéal, au sein duquel se sont amassés les siècles de soleil et le silence des étoiles, peut attendre patiemment que l’Occident, poursuivant l’immédiat, perde haleine et s’arrête. L’Orient sait qu’il réapparaîtra maintes fois dans l’histoire de l’homme avec son breuvage de vie. Voici venue l’heure où nous devons faire du problème du monde notre propre problème, où nous devons établir l’harmonie entre l’esprit de notre civilisation et l’histoire de toutes les nations de la terre."
Ce que Tagore condamne ici n’est pas l’Occident de Shakespeare, de Hugo, de Mozart, de Spinoza ou de Michel-Ange, mais bel est bien l’Occident moderne du matérialisme et de l’impérialisme colonisateur.