Première scène : Prudence (Léa Seydoux) est prise en flagrant délit de vol à l’étalage dans le centre commercial Belle-épine, au sud de Paris. Elle est emmenée au centre de surveillance pour être fouillée et soumise aux questions de la responsable de la sécurité.
“- Il est où ton père?
- En déplacement au Canada…
- Et ta mère ?
- Elle est morte…”
Le dialogue rappellera sans doute aux cinéphiles une scène fameuse des Quatre-cents coups, où l’Antoine Doisnel de Truffaut cherchait à excuser ses bêtises en prétextant la mort – imaginaire – de sa mère.
Pourtant, cette fois-ci, c’est vrai… La mère de Prudence vient bien de décéder, laissant toute sa famille dans le désarroi. Le père est parti régler des affaires de famille au Canada, et a confié Prudence aux bons soins de sa soeur aînée (Anna Sigalevitch).
Mais cette dernière, ravagée de chagrin et incapable de rester dans cet appartement chargé de souvenirs, part s’installer avec son fiancé. Prudence, apparemment plus solide, moins touchée émotionnellement, choisit de rester seule dans l’appartement. Livrée à elle-même, elle est libre de faire les pires bêtises…
Au centre de surveillance, elle fait connaissance avec Marilyne, une adolescente rebelle et délurée. Celle-ci l’entraîne avec elle à Rungis, où chaque soir, de jeunes motards se livrent à des courses de motos illégales et dangereuses (1).
Prudence est fascinée par cet univers inconnu, excitée par le danger, troublée par les mâles qui règnent ici en maîtres.
Un monde très éloigné de son environnement habituel, que l’on peut imaginer au travers des scènes de repas de famille chez son oncle et sa tante : milieu juif très pratiquant et traditionnaliste, petite-bourgeoisie parisienne sans histoires…
Prête à rentrer de plain pied dans l’âge adulte, la jeune fille va profiter de ses quelques jours de liberté, pour s’émanciper, pour s’affirmer, et découvrir les choses de la vie. Mais avant de pouvoir tourner cette page de sa vie, encore faut-il réussir à faire le deuil – de sa mère, de son enfance, de son innocence…
Le canevas est assez “simple”, mais il permet à la cinéaste de montrer toute la palette d’émotions contradictoires qui secouent son personnage, jeune fille en perte de repères, écartelée entre la mort de sa mère, plus douloureuse qu’il n’y paraît, et la soif de vie propre à sa jeunesse, tiraillée entre raison et sentiments, et surtout minée par la solitude.
La meilleure idée de Rebecca Zlotowski, c’est d’avoir confié le rôle à Léa Seydoux. On ne doutait certes pas du talent de la jeune actrice, admirée, surtout, dans La Belle personne de Christophe Honoré, mais on n’imaginait pas qu’elle s’empare de ce rôle-là avec autant d’intensité, de fougue, de passion.
Son visage à la fraîcheur toute juvénile, portant encore l’innocence de l’enfance, et pourtant déjà frappé d’une certaine gravité, d’un brin de lassitude, d’une maturité affirmée, correspond parfaitement à ce personnage à la croisée des chemins, prise dans un tourbillon de vie et de mort, de passion, dans tous les sens du terme…
De tous les plans – ou presque – la jeune actrice impressionne et supporte seule toute la charge émotionnelle du film.
Cela dit, ses partenaires sont eux-aussi très justes : Agathe Schlencker, Anaïs Demoustier (2), Anna Sigalevitch, Marie Matheron, Marina Tomé, côté dames ; Johan Libéreau, Guillaume Gouix, Michaël Abiteboul, Nicolas Maury (3), Carlo Brandt, côté hommes…
Et la mise en scène de la jeune Rebecca Zlotowski, oscillant entre naturalisme façon Pialat, liberté de ton façon Nouvelle Vague et une forme de poésie onirique, tient plutôt bien la route – c’est le cas de le dire – pour un premier long-métrage.
Bien sûr, on déplore quelques défauts inhérents à la jeunesse. Des baisses de rythme, des scènes un peu plus appuyées que d’autres.
Et on peut regretter que le final soit aussi abrupt, avec ses ellipses étranges et son montage très sec. Tout comme on peut trouver la scène de retrouvailles fantasmées entre la mère et la fille, signe de l’acceptation du deuil, un peu trop lourdement explicative…
Mais cela n’enlève rien au charme de ce premier film très prometteur, remarqué à Cannes lors de sa présentation à la Semaine Internationale de La Critique, et à la belle performance de son actrice principal. Rebecca Zlotowski, Léa Seydoux, deux noms à retenir, deux belles fleurs qui ont éclos au-dessus de la Belle Epine…
(1) : Le film se passe à la fin des années 1970. A l’époque, aucune infrastructure n’existait pour que les motards puissent s’adonner à la compétition. D’où l’organisation de ces courses sauvages, de nuit, sans aucune protection, ni barrière de sécurité. Cela devait arriver : de nombreuses personnes ont trouvé la mort au cours de ces “runs” périlleux, forçant les autorités à réagir. Le circuit Carole, du prénom de la dernière victime répertoriée à Rungis, a alors été ouvert, pour que cessent enfin ces courses dangereuses non-encadrées…
(2) : La jeune femme a joué un personnage similaire d’adolescente en deuil dans le très bon L’année suivante d’Isabelle Czajka.
(3) : Celui-ci se sort assez efficacement d’un rôle “casse-gueule” d’homosexuel en rupture avec son environnement familial très conservateur / juif orthodoxe.
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Belle Epine
Belle Epine
Réalisatrice : Rebecca Zlotowski
Avec : Léa Seydoux, Agathe Schlencker, Anaïs Demoustier, Johan Libéreau, Anna Sigalevitch
Origine : France
Genre : Conte cruel de la jeunesse
Durée : 1h20
Date de sortie France : 10/11/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Excessif
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