ARTE diffuse ce soir la troisième et dernière partie d’une trilogie documentaire américaine.
Au cours des premiers « épisodes », diffusés le samedi d’avant, cette trilogie avait abordé l’émergence des premiers hominidés, vers 6 à 7 millions d’années, sur le continent africain, le redressement bipède (accompagné du début de la régression du système pileux) des australopithèques (êtres vraiment intermédiaires entre le singe et l’homme, « singes en haut, humains en bas ») dans la Vallée du Rift, le changement climatique ayant, vers 2,5 millions d’années, entraîné l’apparition d’Homo Habilis et la fabrication, par lui, de ce qu’on pense (pour le moment) être les tout premiers outils, puis celle de l’être qui passe pour notre ancêtre direct, Homo Erectus, bipède accompli de surcroît très doué pour la marche et la course de fond (en raison de sa capacité de transpirer, unique chez les primates, et elle-même due à la perte du pelage) qui pratiquait vraisemblablement déjà la chasse (une chasse de poursuite visant à épuiser le gibier) et fut sans doute le premier hominidé à utiliser le feu pour se chauffer et éloigner les fauves, mais aussi pour cuire les aliments et les rendre, ainsi, plus faciles à mâcher et plus digestes ( ce qui eut pour effet le rétrécissement des mandibules et l’ « humanisation », au sens actuel, de la face).
Maintenant, la trilogie va s’intéresser aux espèces d’hominidés (connues) les plus récentes et aux rapports qu’elles ont pu entretenir.
Evidemment, une espèce retient son attention : l’espèce des hommes de Neandertal.
D’où vient cette étrange espèce ?
Pour le savoir, il y a lieu de revenir en arrière. Voici près de deux millions d’année, ce grand marcheur et coureur de fond d’Homo erectus quitte l’Afrique ; des restes datant de – 700 000 ans, à titre d’exemple, attestent de sa présence en Chine.
« Le plus célèbre des Homo Erectus, nous dit-on, est le garçon de Turkana » ; « avec lui, ajoute-t-on, on assiste à l’émergence de la nature humaine ».
En Europe, les ancêtres de Neandertal ont été identifiés : il s’agit d’une espèce (ou sous-espèce d’Homo Erectus) que les savants ont baptisé Homo Heidelbergensis.
Le fil du récit nous conduit alors vers le Massif d’Atapuerca, en Espagne. Ce site, qui recèle des « habitations vieilles de plus d’un million d’années », consiste en des labyrinthes de grottes qui aboutissent finalement à ce qu’on appelle « La Fosse aux Os » (« La Sima de los Huesos »).
Les paléontologues, au passage, confient que « ce n’est pas facile d’y travailler », vu qu’ « un puits vertical de quinze mètres mène à la fosse ». Dans cette dernière, cependant (récompense bien méritée de leurs durs efforts), on commença par découvrir des « fragments minuscules d’os humains » qui, très vite, donnèrent aux chercheurs l’intuition de « l’importance du gisement ». Et en effet : « de nombreux squelettes complets » vieux de 500 000 ans (époque attribuée à Homo Heidelbergensis) finissent par être exhumés au bout d’une dizaine d’années de recherche !
Les savants en sont convaincus : « ils ont été déposés intentionnellement », et nous avons affaire là, sans l’ombre d’un doute, à « un site d’enterrement primitif des morts » avec , au surplus, « indice d’un possible rituel funéraire ». L’ « indice » en question, c’est le fameux « biface en quartzite rouge », qui apparaît aux savants comme une « offrande », un « objet symbolique ». Car pourquoi aller jeter un biface extrait d’une pierre remarquable dans une fosse commune, sur un tas de corps ?
Pour les spécialistes, l’affaire est donc tranchée : « ces populations étaient capables de planifier ».
Pour revenir à la question qui nous occupait au départ, ils ajoutent, là aussi avec assurance, qu’ « Homo Heidelbergensis va continuer d’évoluer vers Homo Neandertalensis ». Nous voici fixés !
Michel TOUSSAINT nous montre ensuite le premier crâne de néandertalien à avoir été découvert, dans le courant du XIXe siècle.
Les années 1970 virent ce qu’on nomme maintenant « la réhabilitation des néandertaliens », longtemps considérés, auparavant, comme des brutes simiesques.
Les recherches sur Neandertal se poursuivent très activement et l’on emploie désormais, pour le mieux connaître, les moyens les plus modernes.
Dans cette démarche de meilleure connaissance, « un jeune garçon mort voici 100 000 ans découvert dans la vallée de la Meuse, en Belgique », s’avéra particulièrement utile.
La grotte de SCLADINA (Wallonie) fut le théâtre d’un véritable « travail de titan » de la part des archéologues.
Mais, comme à Atapuerca, ce dur labeur porta ses fruits, en aboutissant à la découverte de la mandibule du fameux enfant (dit encore « enfant de Scladina »).
L’enfant de Scladina « vivait dans les bois et dans les grottes de la vallée de la Meuse avec sa famille élargie ».
Ses restes furent envoyés à l’Institut Max Planck de Leipzig, en Allemagne, où un « scanner à très haute résolution » sonda la structure interne de ses dents et de ses os.
On nous explique : « les dents d’enfant nous renseignent sur la vitesse de croissance d’une espèce ». En ce qui concerne celles de l’enfant de Scladina, le scannage nous révèle qu’il a trouvé la mort vers l’âge de huit ans et qu’il avait, sans nul doute, « une croissance plus rapide que la nôtre ».
D’autres indices sur l’Homme de Neandertal nous viennent de l’étude des « moulages endocrâniens ». Ces moulages pointent de « nombreuses similitudes entre eux et nous », notamment au niveau du lobe frontal et de l’aire de Broca.
Pourtant, des numérisations en 3D des crânes viennent les contredire : d’après elles ( et elles sont formelles) « Neandertal ne nous ressemblait pas physiquement ». Les comparaisons parlent : son crâne était « bas et allongé ». Ses lobes temporaux et pariétaux (lobes qui jouent un rôle essentiel dans le langage, la mémoire, ainsi que la spatialisation) avaient une « taille réduite » !
Michael RICHARDS, lui, travaille sur le régime alimentaire de l’enfant de Scladina. Ses déductions ? « Les néandertaliens étaient presque exclusivement carnivores » et « partout (dans tous les territoires où ils ont vécu) ils mangeaient pareil ».
De plus, ils possédaient une « technologie rudimentaire », sans « lances ni flèches ».
Le « projectile » leur étant inconnu, ils devaient s’approcher très près de leur proie, ce qui rendait – on l’imagine - la chasse extrêmement périlleuse. C’est la raison pour laquelle on constate, sur les squelettes néandertaliens masculins, des « fractures multiples ».
Il est bien admis maintenant que ces êtres menaient une « vie difficile et courte ».
Cela n’empêcha pas cependant leur espèce de se maintenir « bien plus longtemps que la nôtre » ne s’est maintenue à ce jour.
Alors, l’éternelle question : pourquoi diable ont-ils disparu ?
Retour dans ce saint des saints de la paléontologie humaine qu’est la Vallée du Rift.
Là (une fois de plus) furent retrouvés, assez récemment, les vestiges des tout premiers représentants de notre espèce, des Homo Sapiens de 200 000 ans d’âge ; les outils qui accompagnaient leurs restes étaient en tout point analogues à ceux de l’Homme de Neandertal.
Voici qui ne plaide pas pour un état de bien grand avancement au plan cognitif, culturel, symbolique.
Mais, il y a quelques 140 000 ans, la donne changea ; le climat se mit de la partie : « les glaciers descendent vers le sud » et l’Afrique s’assèche, de façon dramatique, voire tragique.
Les généticiens, en étudiant l’ADN humain, ont été frappé, en le comparant avec de l’ADN simien, par son singulier « manque de diversité ». Leurs recherches leur ont fait, par la suite, identifier ce que, dans leur jargon, ils nomment un « effet de goulot ».
Cet « effet de goulot » génétique est, à n’en pas douter, la marque d’une diminution quasi catastrophique des populations africaines, à l’époque qui nous intéresse.
Tout concourt à le dire : il y a 140 000 ans, au bord de l’extinction totale, « nos ancêtres ont été contraints de se réfugier sur le côtes et les plateaux » d’Afrique.
« Toutes les populations actuelles descendent de 600 individus qui vivaient sur le littoral d’Afrique du Sud » !
Un fait est notable : « ces hommes se nourrissaient des produits de la mer » (lesquels, chacun le sait, ont de très bons effets sur l’intelligence).
Un site préhistorique sud-africain nous dit qu’il y a 76 000 ans, on cuisait les fruits de mer. Or, les fruits de mer en abondance se récoltent toujours à marée basse. Voici qui peut impliquer une surveillance des marées, donc de la lune. Et, ce faisant, suggérer « une certaine complexité cognitive ».
Nos ancêtres se livraient aussi à la « récolte de baies et de racines », et à la chasse. Le côté omnivore de leur régime fut certainement, pour eux, un fort atout.
Il y a 71 000 ans, ils se mirent à tailler des outils de plus en plus perfectionnés : des « lances longues et effilées » et « toute une variété d’outils spécialisés » émergent ; on est là en présence d’une « évolution » nette. Les outils en pierre revêtent un « aspect plus complexe », voire « symbolique ».
Le site de BLOOMBOS, toujours en Afrique du Sud, nous a livré des « blocs d’ocre », des « traits obliques et des lignes horizontales striant des strates » (qui marquent la naissance du dessin et de la représentation abstraite), ainsi que des coquillages percés qui devaient être enfilés en colliers.
A coup sûr, « les hommes se peignaient le corps » et portaient des parures.
« A mesure que le climat s’améliore, nos ancêtres sont prêts à quitter l’Afrique ».
Les voilà qui s’enfoncent en Asie, puis, pour finir, en Europe, où ils font la rencontre des néandertaliens.
Mais revenons à ces derniers…et à l’Institut Max Planck de Leipzig.
Le généticien Svante PAABO s’est lancé dans le séquençage du génome de Neandertal. Contre toute attente (car l’entreprise tient un peu du défi !), il est parvenu à en décoder pas moins de 60%.
C’est ainsi qu’il a pu isoler, dans les gènes de cet être, le gène FOXp2 que nous savons, chez nous, associé au « développement de la parole et du langage ».
« Unique en son genre », la version humaine du gène FOXp2 gère, en fait, « les capacités motrices de la parole articulée ». Or, « on a trouvé chez Neandertal un FOXp2 identique au nôtre ».
Reste à savoir qui était l’ancêtre commun de Sapiens et de Neandertal.
Pour cela, il nous faut faire appel à l’ horloge moléculaire des généticiens.
Cette dernière nous indique une « fourchette de 300 à 400 000 ans », ce qui tendrait à valider l’hypothèse désignant Homo Heidelbergensis.
Resté en Afrique, Heidelbergensis aurait donné Homo Sapiens ; immigré en Europe, il aurait donné l’Homme de Neandertal.
Quant à la disparition de ce dernier, on reste dans le flou presque total.
Les savants soupçonnent que « nous avons chassé Neandertal de son habitat naturel ».
Ils développent : « la croissance démographique » est un élément déterminant de l’expansion de notre espèce.
Face à nous, Neandertal, pourrait-on dire, ne « faisait pas le poids ».
Ses handicaps ? Une « densité de population très faible » et, au plan physiologique, une trop importante dépense d’énergie.
Grâce à leurs armes de jet (lances), les Sapiens chassaient plus efficacement, ce qui leur permettait de cibler une bien plus grande variété de gibiers.
Nous le savons tous, le Sapiens gère son environnement « de façon agressive ». Sa tendance très nette à le « surexploiter » explique sans doute les disparitions de grandes espèces animales , telles que le mammouth laineux, le lion des cavernes en Europe, ou encore les plus gros animaux du continent australien, qui, comme par hasard, coïncident avec son arrivée.
« L’Homme de Neandertal, nous est-il précisé, n’est qu’une des espèces qui se sont éteintes avec l’arrivée d’Homo Sapiens »
Si l’on regarde bien, l’Homme ne s’est pas contenté de rayer de la carte les animaux trop grands ; il a aussi éliminé toutes les autres espèces d’Hominidés !
Quoiqu’il en soit, « c’est par la culture que l’Homo Sapiens s’adapte » et, en conséquence, « l’interaction entre évolution culturelle et évolution génétique » est ce qui nous caractérise.
De plus, « notre espèce est encore jeune ; nous avons tout l’avenir devant nous ».
Que demander de plus à la vie ?
P.Laranco