Article écrit pour TechCrunch France par Pierre-Henri Deballon, co-fondateur et CEO de Weezevent, solution de billetterie en ligne. Fort de cette expérience, il nous livre ici son analyse du récent rachat de Ticketnet.
Cela n’a pas encore fait beaucoup de bruit, et pourtant l’opération n’est pas anodine. La société américaine Live Nation Entertainment, valorisée près de 2 milliards d’euros au New-York Stock Exchange, et véritable mastodonte du spectacle à l’échelle mondiale, vient de racheter le français TicketNet.
Le montant de l’acquisition n’a pas filtré, cependant avec près de 7 millions de billets de spectacle vendus par an, on peut imaginer que la transaction s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros (en comparaison le suisse Ticket Corner racheté 68 millions d’euros en février 2010 par Eventim écoule 9 millions de billets de spectacles par an). TicketNet appartenait jusqu’à présent, au groupe Horode et à une holding composée d’Hachette, Auchan et Virgin.
Live Nation Entertainment qui n’en est pas à son coup d’essai, avait déjà défrayée la chronique en 2009 lors du rachat de Ticketmaster.com (3° site de e-commerce au monde selon Live Nation avec 140 millions de billets/an) qui fût un temps retardé par la loi américaine antitrust…
Car, c’est toute la stratégie d’expansion à 360° de Live Nation, avec une diversification effrénée à coups d’acquisitions verticales, qui fait craindre une position de monopole. Gestion de salles de spectacles, management d’artistes, produits dérivés, gestion de fans clubs, vente de billets, contrats publicitaires, e-commerce … Live Nation Entertainment contrôle peu à peu toute la chaîne.
Autant d’éléments qui inquiètent l’univers du spectacle vivant français. Producteurs en tête, ils voient d’un très mauvais oeil, l’arrivée de ce mastodonte sur le 5° marché mondial de la musique. Ces mêmes producteurs, qui critiquent déjà la main-mise des distributeurs français : France Billet, Digitick et… TicketNet. En 2009, lors du rachat de TicketMaster, les Inrocks titraient assez justement “un inquiétant géant est né“. En réponse, des regroupements de producteurs tentent de voir le jour, notamment pour reprendre la main sur la distribution des spectacles et leur promotion, mais ces initiatives pleines de bon sens se heurtent souvent à la réalité du terrain : l’ancrage fort et historique de distributeurs comme FranceBillet (la Fnac) d’une part, et la difficulté à mettre en oeuvre une stratégie web ambitieuse portée par des intérêts divergents d’autre part.
Pour Live Nation Entertainment, l’opération semble très judicieuse à bien des égards. En effet, après avoir mis un pied en France par le rachat du Main Square festival d’Arras et celui de producteurs français, deux stratégies s’offraient à eux pour poursuivre leur expansion : créer un nouveau réseau de distribution ou acheter un acteur implanté.
Or, France Billet qui porte l’activité musicale de la Fnac avec une belle rentabilité et près de 14 millions de billets/an aurait coûté bien plus cher, si toutefois l’activité avait été à vendre ! Et, nous sommes en droit d’en douter tant l’activité de billetterie reste liée aux réseaux physiques. En effet, la vente en magasin représentait encore en début d’année, près de 60% des ventes de billets selon Bertrand Gstalder, le Directeur Général de France Billet. La preuve de la pertinence de la stratégie « clic et magasin » de la Fnac, c’est-à-dire qu’Internet et les magasins sont parfaitement complémentaires, se répondent l’un l’autre, et permettent de faire beaucoup de choses que les gens qui n’ont qu’un site Internet ou qu’un réseau de magasins ne peuvent pas faire.
Digitick, la start-up qui a lancé le e-ticket en France après avoir levé 2 Millions d’euros en 2006 (SFR) puis 6 millions d’euros en 2007 (Partech, High Co Venture, CM-CI Capital privé, CIC Fiannce) aurait pu faire figure de cible. Mais, il semble que les difficultés à se créer un réseau de distribution physique comparable à FranceBillet ou TicketNet, conjuguées à un déficit de notoriété d’une part et un positionnement full web avant-gardiste, aient calmés les ardeurs américaines. C’est donc une belle porte de sortie qui vient de se fermer pour l’équipe d’Emmanuel Guyot, qui risque de voir débarquer prochainement un concurrent sur-vitaminé par un catalogue de stars (Madonna, U2, Jay-Z, …) et une puissance marketing et financière de feu.
A l’inverse de Digitick, TicketNet créée en 1997 n’était certes pas très “web 2.0″ mais possédait un très beau réseau de distribution physique avec 750 magasins (E.Leclerc, Auchan, etc.) et une implantation auprès des acteurs locaux. C’est donc en toute logique que l’équipe dirigeante et notamment François Thominet sont conservés pour permettre à Live Nation de gagner un temps précieux et une légitimité déjà bien bâtie. De plus, fort de son savoir-faire, Live Nation devrait en toute logique importer une stratégie web très poussée, inspirée par les recettes à succès de TicketMaster.
Je résume : légitimité + réseau de distribution physique + site web 1.0 + recettes e-commerce de TicketMaster = Cheval de Troie. Un beau coup selon moi, reste maintenant à connaître la réaction des fiers gaulois toujours prompts à défendre l’exception culturelle.